Chefs-d'œuvre des églises parisiennes : les vitraux

Au sein des 40 000 œuvres conservées dans les 96 lieux de culte dont elle est propriétaire, la Ville de Paris est l’héritière d’un ensemble inestimable de vitraux anciens et contemporains. La Conservation des œuvres d’art religieuses et civiles (COARC) de la Ville de Paris a pour mission d’inventorier, de restaurer et de valoriser le patrimoine municipal. Elle veille à la préservation de ces œuvres fragiles et précieuses, intimement liées à l’architecture des églises, qu’elles viennent magnifier.

Si la quasi-totalité des verrières médiévales des églises de Paris a disparu (celles de la cathédrale Notre-Dame et de la Sainte-Chapelle étant propriété de l’État), la présence de plus d’une centaine de verrières des XVI e  et XVII e  siècles témoigne d’un véritable âge d’or du vitrail parisien, où l’exceptionnelle maîtrise technique des peintres-verriers se met au service de vastes compositions colorées. Cette période d’épanouissement prend fin à partir de la seconde moitié du XVII e  siècle. De grandes campagnes d’éclaircissement sont alors menées : les verrières colorées sont détruites, pour être remplacées par des vitrages blancs qui font entrer plus de lumière dans les édifices. Puis la période de la Révolution voit simultanément la destruction de nombreux édifices religieux, et la progressive prise de conscience de la valeur patrimoniale des œuvres qu’ils abritent, ouvrant la voie à une redécouverte de l’art de la peinture sur verre.

Le XIX e  siècle est le temps d’un grand renouveau du vitrail, stimulé à Paris par les restaurations de la Sainte-Chapelle et de Notre-Dame, et par les constructions d’églises nouvelles. Très répandues dans les sanctuaires parisiens, les verrières du XIX e  siècle sont caractérisées par une iconographie qui emprunte à celles des siècles précédents. Enfin, le vitrail du XX e  siècle dialogue avec les grands courants de son temps, comme l’Art déco ou l’abstraction lyrique, dont il livre une interprétation originale avec les moyens qui lui sont propres.

Nous recommandons à tous ceux qui souhaiteraient aller voir ces vitraux sur place de se munir de jumelles, afin d’en apprécier chacun des détails.

Prises de vues : Claire Pignol, Jean-Marc Moser, Emmanuel Michot : COARC / Direction des affaires culturelles / Ville de Paris :

Église Saint-Séverin, 5 e 

Verrière provenant de Saint-Germain-des-Prés, fin du XIV e  siècle.

Les vitraux des XIV e  et XV e  siècles de l’église Saint-Séverin figurent parmi les plus anciens de Paris. Les premiers proviennent de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés : en 1856, Victor Baltard décide de faire déposer plusieurs verrières anciennes de l’église pour les placer à Saint-Séverin. Prosper Lafaye, peintre-verrier, est chargé de les restaurer et de créer des compléments : les verrières sont en effet trop petites par rapport aux remplages. Il dessine donc des niches architecturées et remodèle quelque peu les personnages, jugés trop petits dans leur nouvel environnement. Situées dans les premières travées proches de l’orgue, elles sont reconnaissables à leurs grandes figures de saints et à leurs deux lancettes. Les autres fenêtres hautes de la nef, à trois lancettes, ont été réalisées après l’incendie de 1450.

Très rares également sont les baies hautes du chœur, seuls exemples subsistants à Paris de l’art du vitrail parisien entre 1450 et 1475. Bien souvent, les auteurs des vitraux anciens restent anonymes car les artistes ne signent pas leurs œuvres et les archives ont souvent disparu. Cependant, par comparaison avec des tableaux et des miniatures, trois baies de Saint-Séverin ont pu être attribuées au maître de Coëtivy.

Les sept sacrements, 1964-1969. Jean Bazaine (1904-2001).

En 1964, le curé de Saint-Séverin prend l’initiative de contacter Jean Bazaine, figure de proue de l’abstraction lyrique, pour la création de vitraux qui viendraient remplacer les verrières basses du chœur datant du XIX e  siècle. Le projet est osé car c’est l’une des premières occurrences d’intégration de verrières contemporaines abstraites dans un édifice classé monument historique, et qui plus est, l’un des plus anciens de Paris.

Jean Bazaine (1904-2001) dessine huit vitraux ayant pour thème les sept sacrements : le Baptême, la Confirmation, l’Eucharistie, le Mariage, l’Onction des malades, la Pénitence et l’Ordre. Les vitraux ont entre eux des « correspondances colorées » comme le précise l’artiste : le choix des couleurs dominantes, bleues ou oranges, est lié au sacrement représenté mais également à l’orientation de l’église et à l’étude de la lumière dans l’édifice. Chaque verrière présente des modulations éclatantes et raffinées qui traduisent un sens du sacré présent dans toute l’œuvre de Bazaine. Le peintre, qui a fourni les cartons, collabore avec le maître-verrier Henri Déchanet pour la réalisation de cet ensemble achevé en 1969.

Église Saint-Gervais-Saint-Protais, Paris Centre

Verrière des Vies de sainte Isabelle et de saint Louis, entre 1510 et 1517.

L’église Saint-Gervais-Saint-Protais possède l’un des plus vastes ensembles de vitraux anciens de Paris, reflétant l’évolution de cet art entre le XVI e  et le XVII e  siècle. Sa particularité est de mêler verrières patrimoniales et vitraux contemporains, créés pour remplacer les verres blancs issus des campagnes d’éclaircissement menées au XVIII e  siècle. Lors de ces campagnes, seuls les ajours situés dans la partie supérieure des baies étaient généralement conservés.

C’est ainsi que cette verrière comporte, en partie basse, des vitraux abstraits créés en 1976 par Anne Le Chevallier, et de splendides peintures sur verre du début du XVI e  siècle en partie haute. Elles représentent les vies de sainte Isabelle et de son frère saint Louis. Née en 1223, Isabelle avait fondé le monastère des Clarisses de Longchamp près de Paris, où elle mourut en 1270. Suite à son enterrement, représenté dans le premier fuseau, sa chemise devint une relique et suscita de nombreux miracles posthumes.

La Sagesse de Salomon, 1531. Noël Bellemare (peintre) et Jean Chastellain (peintre-verrier).

Empreint de verve et de fantaisie, ce vitrail est l’œuvre commune de Noël Bellemare, peintre, enlumineur et auteur du carton servant de modèle, et de Jean Chastellain, peintre-verrier qui était à la tête de l’atelier de vitrail le plus important à Paris sous François I er .

Dans le panneau central, la composition en frise nous entraîne dans l’histoire du jugement de Salomon. Roi d’Israël, il doit départager deux femmes qui revendiquent chacune la maternité d’un nouveau-né, suite à la mort d’un autre, qui gît sur le sol. Salomon ordonne à son bourreau de couper le nourrisson en deux, pour pouvoir en donner la moitié à chacune. L’une des deux se précipite, prête à renoncer à l’enfant pour qu’il soit épargné : c’est à ce mouvement du cœur que le roi peut reconnaître la véritable mère de l’enfant.

L’espace unifié de la scène, savamment structuré par un décor architectural Renaissance, est d’une grande modernité pour l’époque. La vivacité des couleurs, la sophistication des costumes et les postures très recherchées des personnages rattachent ce vitrail au courant du maniérisme anversois. 

Église Saint-Étienne-du-Mont, 5 e 

Vitraux de la galerie des charniers, début du XVII e  siècle.

Entre 1612 et 1622, vingt-quatre vitraux furent installés dans la galerie des charniers de l’église Saint-Étienne-du-Mont ; la moitié à peine en subsiste aujourd’hui. Ils sont exceptionnels à plus d’un titre. Leur technique, l’émail peint, est à la fois rare et précieuse ; elle permet une grande subtilité dans les nuances de couleur. La complexité et la cohérence du programme iconographique, destiné à promouvoir les dogmes catholiques pour lutter contre la Réforme protestante, sont également remarquables, de même que leur exécution. Enfin, il faut souligner la profusion et le raffinement des détails, qui viennent enrichir chacune des scènes représentées. Cette baie met en regard le Christ dirigeant le Vaisseau de l’Église au cœur de la tempête du monde, symbole du Nouveau Testament, avec l’Arche de Noé, épisode de l’Ancien Testament, dans la lunette supérieure. 

Église Sainte-Marguerite, 11 e 

L’Annonciation. Henri Carot (1850-1919).

Ce vitrail, exposé dans l’ancienne chapelle des fonts baptismaux, a été réalisé autour de 1875 par un artiste qui contribua activement à la renaissance des arts du passé. Grand admirateur du Moyen Âge et de la Renaissance, Henri Carot participa en effet à la restauration de nombreux vitraux anciens, dont ceux de la Sainte-Chapelle du château de Vincennes, tout en s’inspirant d’œuvres contemporaines signées par des artistes comme Henri Lerolle, Albert Besnard ou encore Maurice Denis.

Dans ce panneau aux couleurs chatoyantes, le peintre verrier reprend la disposition traditionnelle du thème de l’Annonciation, telle que la codifièrent les artistes des XV e  et XVI e  siècles. Sous la colombe de l’Esprit Saint, Gabriel et Marie, que séparent un vase de fleur de lys et une mince colonnette, prennent place dans un espace architecturé, entouré par une élégante bordure décorative. Face à l’ange qui la salue et prononce le traditionnel « Ave Maria Gratia Plena », mentionné dans le phylactère, Marie s’incline respectueusement, exprimant par son attitude les propos rapportés par l’évangéliste Luc : « Je suis la servante du seigneur ; qu’il me soit fait selon ta parole ». 

Église Saint-Eustache, Paris centre

L’Éducation de saint Louis, présenté à l’Exposition Universelle de 1889. Charles Champigneulle (1853-1905).

Ce grand vitrail narratif est l’œuvre majeure de la chapelle Saint-Louis. Se présentant comme un tableau d’histoire, la scène occupe la totalité de la baie. Au premier plan, la scène de l’éducation du jeune Louis, devenu roi à l’âge de douze ans, au décès de Louis VIII. Son instruction est assurée par un franciscain et un dominicain, reconnaissables à leur tenues, de bure marron pour le premier, noire et blanche pour le second. Ils représentent ces ordres mendiants nouvellement fondés au XIIIe siècle dont Louis IX partageait les idéaux de dévouement, de dépouillement et d’instruction. La scène se passe sous l’œil vigilant de l’autoritaire Blanche de Castille, qui assura la régence jusqu’à la majorité de son fils.

Dans la partie supérieure, trois anges apportent au jeune roi les insignes de la royauté (la couronne, le sceptre et l’épée) rappelant qu’il fut sacré à Reims dès 1226. Les arcades structurant la scène ouvrent sur un vaste paysage qui accentue l’impression de profondeur et d’espace. Cette composition ample et riche est caractéristique du style de Charles Champigneulle, important créateur de vitraux tant civils que religieux. 

Église Saint-Philippe-du-Roule, 8 e 

Verrière zénithale de la chapelle de la Vierge, 1883. Émile Hirsch (1832-1904).

Le peintre-verrier Emile Hirsch est l’un des principaux artisans du renouveau du vitrail à Paris au XIX e  siècle. En 1883, la paroisse Saint-Philippe-du-Roule le sollicite pour la création d'une grande verrière zénithale. Elle est destinée à éclairer la chapelle de la Vierge, jugée trop sombre. Il réalise cette immense baie circulaire sur le thème des litanies de la Vierge. Au centre figurent les initiales de « Sancta Maria », entourées d’un décor éclectique de verres étoilés, fleuris ou ornés d’arabesques. Le vitrail témoigne de son sens de la composition, mais aussi de l’étendue de son savoir-faire technique : Hirsch choisit les différents types de verre selon leur qualité de transparence ou de translucidité, afin d’obtenir la vibration de lumière et de couleur désirée.  Le nettoyage et la restauration de cette baie en 2019 ont permis d’en retrouver toute la qualité .

Église Saint-Christophe-de-Javel, 15 e 

Vitraux d’Henri-Marcel Magne (1877-1944) et Jacques Gruber (1870-1936). 

L’église est unique à la fois par son procédé de construction, premier exemple de blocs de ciment armé préfabriqués puis assemblés, mais également par son décor, tant extérieur qu’intérieur. Les vitraux de l’église sont l’œuvre d’Henri-Marcel Magne (1877-1944) et Jacques Gruber (1870-1936). Ils illustrent parfaitement les préoccupations de l’entre deux-guerres. Le premier, peintre de métier (il a réalisé les peintures du chœur de l’église), est l’auteur des dessins fournis ensuite sous forme de grands cartons à un peintre-verrier qui lui façonne le vitrail. Le second, membre fondateur de l’école de Nancy, est le maître-verrier par excellence de l’Art nouveau.

L’un comme l’autre ont su magnifier ce bâtiment : dans la nef, chaque travée reçoit une verrière qui épouse l’architecture et modernise le motif de la rosace. Magne a choisi de privilégier les couleurs chaudes pour réchauffer les murs de ciment et introduire un maximum de lumière. En 1924, Jacques Gruber écrit « il a fallu la guerre, « la grande pitié des églises de France » pour que nous osions faire du vitrail religieux contemporain ». A la porte du presbytère, il adapte son style et réalise une œuvre résolument moderne dans laquelle la peinture est remplacée par le plomb, qui lui sert de pinceau. Cette « mise en plomb intégrale », Jacques Gruber en revendique la paternité, tout comme pour sa technique de « vitrail mosaïque à plans ouvrés », les verres colorés se superposant et créant ainsi un effet de relief accrochant la lumière différemment.

Église Saint-Pierre de Chaillot, 16 e 

Verrières des frères Mauméjean (1932-1938).

Symbole du renouveau que connurent les arts sacrés pendant l’Entre-Deux-Guerres, les vitraux de l’église Saint-Pierre de Chaillot forment un ensemble d’une grande homogénéité, dont les panneaux aux couleurs éclatantes se déploient dans toutes les parties de l’église. Réalisés entre 1932 et 1938 dans les ateliers parisiens de la manufacture, placés depuis 1921 sous la direction de Charles Mauméjean (1888-1957), leur style géométrique et majoritairement non-figuratif illustre le ralliement de la firme franco-espagnole aux tendances artistiques les plus modernes du XX e  siècle.

Dans le chœur, les quatre lancettes, hautes de six mètres, s’imposent par la richesse de leurs coloris. Dépourvues, à l’instar des autres fenêtres, de toute représentation anthropomorphique, celles-ci sont constituées de neuf médaillons au dessin inspiré par la verroterie cloisonnée du Haut Moyen Âge. De bas en haut, ces derniers présentent, en alternance avec des motifs abstraits, les symboles des quatre évangélistes : le lion de saint Marc, le bœuf de saint Luc, l’ange de saint Mathieu et l’aigle de saint Jean. 

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Chefs-d'œuvre des églises parisiennes : les vitraux

Textes

Conservation des œuvres d’art religieuses et civiles (COARC) / Direction des affaires culturelles / Ville de Paris.

Photographes

Claire Pignol, Jean-Marc Moser, Emmanuel Michot : Conservation des œuvres d’art religieuses et civiles (COARC) / Direction des affaires culturelles / Ville de Paris