Sur les sentiers de l'agroécologie africaine
Suivez celles et ceux qui œuvrent pour poser les bases d'une transition agroécologique en Afrique sub-saharienne.
L'Afrique est confrontée à un défi sans précédent : construire avant 2050 un nouveau modèle agricole capable de nourrir plus d'un milliard de bouches, tout en protégeant la biodiversité et le climat. Pour faire face à cet enjeu colossal, des femmes et des hommes embrassent le chemin de l'agroécologie. Reportage avec Raphaël Belmin, chercheur-photographe au Cirad et membre de la DyTAES, la Dynamique pour une Transition Agroécologique au Sénégal.
Les soldats de l'armée verte
L'agroécologie africaine, c'est d'abord une constellation de "chercheurs aux pieds nus" qui, chacun dans leur champ, innovent avec les moyens du bord.
Chapitre 1 : résilience face au changement climatique
Un climat menaçant
Entre changement climatique, sur-pompage et pollution chronique, les agricultrices et agriculteurs sahéliens assistent impuissants à la disparition programmée de leurs ressources hydriques.
Cette année encore, mes récoltes de tomates seront très faibles car les pluies sont arrivées trop tard.
L'eau, un avenir en commun
Les productrices et producteurs africains mobilisent une large palette de méthodes d'irrigation, dont certaines sont peu économes en eau. L'avenir de l'eau au Sahel dépend pourtant de son utilisation parcimonieuse.
Les ressources naturelles ne nous appartiennent pas, nous devons les transmettre aux générations futures.
Des pionniers qui reverdissent le Sahel
Face au changement climatique et aux tensions sur les ressources, de nombreux agriculteurs et agricultrices transforment leur ferme pour économiser l'eau et produire plus intelligemment.
Les solutions agroécologiques doivent être dynamiques, durables et diversifiées.
Remonter à la source des problèmes
En 2019, la DyTAES a sillonné le Sénégal à la rencontre des communautés rurales, dans le but de comprendre leurs réalités et leurs problèmes. Au total, plus d’un millier de personnes ont été consultées et 32 sites ont été visités.
Chapitre 2 : la santé des sols
Les sols en sursis
L'Afrique sub-saharienne est le théâtre d'un processus continu de désertification, résultat du changement climatique et de la pression liée aux activités humaines. Les populations rurales doivent survivre dans un environnement de plus en plus hostile.
On a basculé dans un environnement austère, caractérisé par une paupérisation, une déforestation et une destruction avancée de la biodiversité.
Faire renaitre la vie du sol
L'agroécologie propose un ensemble de techniques pour restaurer la fertilité des sols dégradés. Celles-ci incluent la jachère, les apports de fumure animale et de compost, la couverture du sol, la rotation des cultures et les associations culturales.
Nous avons appris comment fabriquer du fumier et des engrais naturels. Nous avons réussi à arrêter complètement les produits chimiques.
Une grande muraille verte face au désert
Alors que les zones arides ne cessent de gagner du terrain sur le continent africain, un pari fou a été lancé : construire une grande muraille verte pour stopper l'avancée du désert.
Il faut éveiller les consciences au respect de la nature, aux dangers de la surexploitation des richesses naturelles.
Les femmes montrent la voie
Les femmes sont des actrices incontournables de l’agroécologie. Elles sont impliquées non seulement dans la production agricole, mais aussi dans la transformation et la valorisation des produits agro-alimentaires.
Dans toutes les zones visitées par la DyTAES, les femmes sont proactives et centrales dans les projets de transition agroécologique. Et ce malgré les difficultés financières et logistiques existantes et les inégalités socioéconomiques dont elles sont souvent victimes.
Chapitre 3 : vers la protection agroécologique des cultures
Dans le piège du tout chimique
Les pesticides chimiques ont fait une irruption massive dans les campagnes africaines. En les utilisant sans précautions, les agricultrices et les agriculteurs se sont enfermés dans un modèle de production inefficace et dangereux.
Conséquence de cinq décennies d’utilisation répétée des produits phytosanitaires, les maraîchers africains se retrouvent dans une impasse technologique.
Une mouche qui mobilise
Depuis le début des années 2000, une mouche invasive détruit les récoltes des producteurs de mangue africains. Les scientifiques travaillent aux côtés des productrices et des producteurs afin de trouver une réponse agroécologique au problème.
Ce n'est pas un produit, une technique ou une méthode qu'il faut utiliser contre la mouche : c'est un cortège !
Protéger sans empoisonner
Les agronomes du Cirad ont découvert qu'en cultivant les légumes sous des filets anti-insectes, il était désormais possible de se passer complètement de pesticides.
Le filet représente une stratégie universelle de protection des cultures : il fonctionne comme une barrière qui bloque les insectes nuisibles et crée un microclimat favorable à la croissance.
Le constat partagé d'un déséquilibre
Après chaque visite de site par la DyTAES, la communauté locale se rassemblait sur la place du village pour approfondir le diagnostic. Les témoignages ont souligné l'urgence d'une transition agroécologique.
Les consultations zonales de la DyTAES ont montré que l’agriculture sénégalaise souffre d’un déséquilibre structurel. Les agricultrices et les agriculteurs font une utilisation excessive des ressources comme l’eau, les sols et les forêts.
Ces dynamiques semblent inexorables car elles sont mues par des processus sur lesquels l’agriculture familiale et les politiques publiques n’ont pas toujours de prise, à savoir la croissance démographique, l’urbanisation ou le changement climatique. Les communautés rurales paient un lourd tribut face à cette dégradation généralisée de leur environnement.
Seule une politique volontariste pourrait inverser la tendance.
Chapitre 4 : des systèmes agro-alimentaires en mutation
Le pastoralisme à l'épreuve du changement
Partout en Afrique, les derniers peuples d'éleveurs transhumants sont forcés de s'adapter à un monde en rapide évolution.
Le mode de vie pastoral optimise l'usage des ressources dans des contextes fortement incertains.
La prison du genre
L'agriculture et l'alimentation sont en première ligne dans la lutte pour l'égalité des sexes et l’autonomisation des femmes africaines.
Le combat des femmes ne peut et ne doit pas être abordé uniquement par les femmes.
Des pertes qui pèsent lourd
La majorité des fruits produits en Afrique sont perdus avant même d'avoir atteint l'assiette du consommateur. Un challenge logistique et organisationnel pour les filières fruitières africaines.
Chaque année, la mouche des fruits me fait perdre environ 15% de ma récolte.
Les ruraux prennent la plume
Consulter la base pour faire remonter des priorité politiques au niveau de l'Etat : tel est le mode d'action de la DYTAES.
La démarche de la DyTAES a consisté à consulter la base pour comprendre les problèmes et faire remonter des recommandations politiques au niveau national. Les populations rencontrées partout au Sénégal ont émis des propositions de réformes politiques, qui ont été compilées dans un rapport remis au gouvernement à l'occasion des Journées de l'Agroécologie 2020.
Le rapport indique que l’agroécologie est un levier puissant pour inventer de nouvelles relations entre agriculture, environnement et sociétés. Mais pour réussir, la transition agroécologique devra nécessairement s’appuyer sur une intervention de l’Etat.
La DyTAES appelle à la construction d’une politique intégrée et holistique, capable de prendre en compte le caractère multidimensionnel et transversal de la transition agroécologique.
Chapitre 5 : l'arbre au cœur du vivant
Un allié à l'ombre bienveillante
De par ses fonctions alimentaire, matérielle, énergétique et culturelle, l'arbre occupe une place centrale dans les sociétés africaines.
Notre patrimoine forestier est inestimable.
La forêt en fumée
L'Afrique connait un recul significatif de ses forêts et de ses savanes arborées sous l’effet d’une conjonction de facteurs anthropiques et climatiques. Malgré la volonté politique de protéger les arbres, ces derniers disparaissent à un rythme effréné.
Les coupeurs du bois manquent d'alternatives pour subvenir aux besoins de leur famille.
Le retour de l'arbre dans les champs
Quand arbres et cultures font bon ménage, les agroécosystèmes retrouvent enfin l’équilibre. L'agroforesterie ouvre d'immenses perspectives d'innovation pour l'Afrique.
En conservant des arbres dans mes parcelles, j'ai réussi à améliorer ma production.
Une voix pour l'agroécologie sénégalaise
Mariam Sow est sans doute la plus grande porte-parole de l'agroécologie sénégalaise. Son combat a démarré dans les années 1970 et a abouti au rayonnement de la DyTAES dans les plus hautes instances internationales.
Née en 1953 dans un petit village de la vallée du fleuve Sénégal, Mariam Sow vient d'une famille d'agro-pasteurs attachés à leur terroir. Après avoir terminé ses études secondaires, elle devient animatrice rurale pour les Maisons Familiales Rurales dans la région de Thiès. C’est là qu’elle apprend les rudiments de l’approche participative, de l'appui aux organisations paysannes et qu’elle comprend toute l’importance des savoirs et savoir-faire paysans.
En 1983 elle intègre Enda Pronat, une ONG sénégalaise. On lui confie un programme de sensibilisation sur les dangers des pesticides chimiques et les alternatives agroécologiques. A partir de 1996, Mariam Sow prend la coordination de Enda Pronat. Elle occupera également les fonctions de Secrétaire Exécutif de Enda Tiers Monde (2007-2009) et de Présidente du conseil d'administration depuis 2013. Elle est également membre du conseil d'administration d'instituts de recherche nationaux et internationaux (Ipar, Cirad).
Malgré ses hautes fonctions, Mariam Sow est toujours restée très proche des paysans et des paysannes. Elle est devenue une farouche défenseuse du foncier rural et du droit des femmes.
En 2019, elle a été l'une des principales forces motrices qui ont permis aux acteurs de l'agroécologie sénégalaise de se réunir au sein de la DyTAES. Elle continue aujourd'hui d'incarner l'agroécologie sénégalaise dans des instances locales, nationales et internationales.
L'agroécologie se base sur les connaissances paysannes, mais a besoin d’une démarche scientifique pour être plus légitime et pouvoir convaincre et influencer les politiques.
Mariam Sow, secrétaire exécutive de l'ONG Enda Pronat, présidente du conseil du réseau international Enda Tiers-Monde.
L'agroécologie africaine dans l'œil du photographe
Pour le chercheur-photographe Raphael Belmin, science et photographie constituent deux moyens complémentaires et indissociables pour comprendre le monde qui nous entoure.
Chaque prise de vue est un choix crucial - conscient où non - qui amène à concentrer son attention sur un éclat particulier du réel : un paysage, un tour de main, une parcelle, un détail sur une chaine de transformation... Une fois regroupés et organisés, les éclats ramassés ça et là dessinent une riche mosaïque. Mission après mission, année après année, ces mosaïques s'entrecroisent et s'assemblent pour composer une large fresque du monde rural africain contemporain.
Raphaël Belmin, agronome-photographe au Cirad.