

L'odyssée du mildiou de la vigne
L'Europe, berceau de la viticulture a vu sa production menacée par le mildiou, un parasite venu d'Amérique qui a colonisé le monde.
Une naissance aux confins de l'Europe et de l'Asie

La vigne (Vitis vinifera) forme un exemple frappant de culture menacée par des ravageurs envahissants. La domestication de la vigne a commencé il y a 8 000 ans à partir de populations de V. vinifera subsp. sylvestris dans la région Caucasienne. Des variétés cultivées ont ensuite été introduites dans tout le pourtour méditerranéen par les grandes civilisations de l'Antiquité. La culture de la vigne s'est répandue par les colons européens depuis le XVII ème siècle à travers la mer vineuse, en Amérique, Afrique du Sud, Australie et Nouvelle-Zélande.
De Charybde en Scylla
Au XIX ème siècle avec le développement des échanges transocéaniques, le vignoble européen a été fortement menacé par plusieurs vagues épidémies dévastatrices causées par des agents pathogènes envahissants originaires d'Amérique du Nord :
- l'oïdium de la vigne causé par Erysiphe necator (1845)
- le puceron phylloxéra transmis par le sol (1860)
- le mildiou Plasmopara viticola (1878)
- le black-rot Guignardia Bidwelli (1885)





symptômes mildiou, oïdium, pylloxéra, galles phyloxériques et black-rot crédit photo Mélissa Anne et Isabelle Demeaux (INRAE SAVE)
Le porte-greffe, cheval de Troie du mildiou
Le mildiou de la vigne, l'une des maladies les plus dommageables pour la vigne, est également causé par un pathogène envahissant d'origine nord-américaine, Plasmopara viticola. Le nom français provient d'une adaptation phonétique de l'anglais mildew (moisissure). Cet oomycète apparenté aux algues, a été introduit en Europe dans les années 1870, probablement avec les espèces sauvages américaines de Vitis qui ont été importées en Europe dans le but de générer des hybrides résistants au phylloxéra.
Cet agent cryptogame, invisible à l’œil nu, obéit à un cycle annuel dans les conditions tempérées. Les contaminations invisibles provoquent après une période d'incubation de 10 à 20 jours l'apparition de symptômes sur les feuilles et les fruits pouvant entrainer des dégâts importants sur la récolte.
Symptômes sur feuilles (mosaïque) et sur grappes (coup de pouce)
Après sa première description en France (1878 à Coutras), le mildiou de la vigne a rapidement atteint le sud et le centre de l'Europe avant d'être signalé quelques années plus tard, dans presque tous les pays producteurs de vin dans le monde.
L'Odyssée du mildiou
Les analyses génétiques des populations ont révélé une très faible diversité génétique dans les populations envahissantes de mildiou dans le monde entier. Toutes les populations envahissantes provenaient d'une seule des cinq lignées indigènes d'Amérique du Nord, celle qui parasite le raisin d'été sauvage (V. aestivalis). Après une introduction initiale en Europe, les populations européennes envahissantes ont servi de source secondaire d'introduction dans les vignobles du monde entier, y compris en Chine, en Afrique du Sud, et deux fois indépendamment, en Australie. Seule l'invasion de l'Argentine représente probablement une introduction tertiaire, à partir de l'Australie. Ces résultats fournissent un exemple frappant d'une invasion mondiale de pathogènes résultant de la dispersion secondaire d'une population invasive réussie.
Propagation du mildiou d'après Fontaine et al., 2021
Heureux qui, comme Millardet, a fait une belle trouvaille
La bouillie bordelaise à base de sulfate de cuivre fut la première parade contre le mildiou. Elle a été découverte en 1885 dans le bordelais par le botaniste Alexis Millardet, l'homme aux mille ruses, déjà célèbre pour avoir utilisé les porte-greffes américains pour combattre le phylloxéra. La bouillie est toujours utilisée notamment en agriculture biologique par pulvérisation sur le feuillage et les grappes. Ce produit de contact a le défaut d'être lessivable sur des pluies importantes.
Ensuite, au cours de la deuxième partie du XX siècle, les produits chimique de synthèse pénétrants et systémiques ont offert un niveau de protection inégalé, en dépit d’une demande sociétale de réduction.
Alexis Millardet sur son 31 à l'UMR SAVE de l'INRAE de Villenave d'Ornon
Le talon d'Achille de la protection
Cependant, l'application des produits doit se faire lors de la contamination, au moment où les symptômes sont invisibles. Les traitements curatifs restent peu efficaces. Des modèles de simulation ainsi qu'une surveillance attentive du vignoble et des conditions climatiques, sont nécessaires pour décider des fenêtres optimales de pulvérisation afin d'éviter un trou dans la protection. Le SIG d'épidémio-surveillance l'IFV, baptisé Epicure , rassemble les informations avec un dashboard de monitoring sur ArcGis Online
Attaque de mildiou observée le 05 juin 2024 sur le réseau Epicure
Eole
L' UMT SEVEN impliquant l'IFV et l'INRAE de Bordeaux, explore maintenant l'étude des millions de spores émises par le mildiou dans l'air comme signe avant coureur des épidémies. Le réseau participatif VISA a été monté avec des exploitations partenaires en Nouvelle Aquitaine. Une centaine de capteurs de spores ont été disséminés dans le vignoble. Les échantillons prélevés sont analysés plusieurs fois par semaine par tests génétiques de type qPCR pour quantifier la présence du parasite dans l'air. Les résultats sont agrégés dans un tableau de bord à destination des exploitations partenaires afin d'établir une stratégie de protection optimale pouvant économiser des traitements inutiles.
La dispersion aérienne des spores de mildiou est étudiée à l'échelle de la parcelle ainsi qu'à l'échelle du vignoble dans le cadre d'une thèse.
Capteur de spores, analyse qPCR, interface de signalisation et tableau de bord de restitution
Pour conclure
Après plus de 150 ans de présence sur le sol Européen, le mildiou de la vigne n'a pas encore livré tous ses secrets. La profession viticole a appris à s'adapter avec l'aide de la recherche. Les nouveaux défis doivent anticiper le retrait de certaines molécules phytosanitaires et l'adaptation de la vigne et de ses parasites au changement climatique.