
Sur les traces l'Exposition coloniale internationale de 1931
Ce parcours sur les traces de l’Exposition coloniale internationale de 1931 porte un regard contemporain sur la plus importante manifestation coloniale organisée à Paris et en France au XX e siècle. L’objectif de l’Exposition, qui proposait alors de faire le « tour du monde en un jour », était de glorifier l’Empire colonial français. Les visiteurs, peu informés sur la réalité de l’oppression coloniale, venaient s’émerveiller devant cette mise en scène. Certes on ne devenait pas « colonialiste » en visitant le Bois de Vincennes, mais les visiteurs ressentaient une fierté cocardière et s’imprégnaient d’une perception coloniale biaisée. Devant ce spectacle extraordinaire, ils venaient se laisser convaincre de la grandeur de la « Plus grande France ».
Les douze étapes qui ponctuent ce parcours permettent de replacer cette manifestation dans son contexte mais aussi de comprendre les mécanismes qui ont conduit cette génération de l’entre-deux-guerres à croire dans le mythe impérial. Quatre-vingt-dix ans après cet événement, la présente exposition est proposée simultanément dans le Bois de Vincennes sur le lieu même de l’Exposition coloniale internationale ( voir le plan ), et sur le site de la caserne Napoléon, rue de Rivoli, près de l’hôtel de Ville de Paris.
Crédit image d’en-tête : « Un aspect de la Grande Avenue des colonies françaises », 60 aspects de l'Exposition coloniale internationale, photographie de Maurice Cloche, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
Chronologie
1921
Exposition coloniale de Marseille Début de la traversée du Sahara par la mission André Citroën
1924
Ouverture de l’Exposition coloniale de Wembley (Londres) La Croisière noire d’André Citroën
1927
Le maréchal Lyautey est nommé commissaire général de l’Exposition coloniale internationale
1928
Semaine coloniale française dans toute la France Début des travaux pour l’Exposition coloniale internationale [5 novembre]
1930
Centenaire de l’Algérie française
1931
Diffusion du tract Ne visitez pas l’Exposition Coloniale par le Collectif des surréalistes [30 avril] Le ministre des Colonies Paul Reynaud et le président de la République Gaston Doumergue inaugurent l’Exposition [6 mai] Fête de la lumière au Théâtre d’eau [5 juin] Nuit tahitienne sur le lac [19 juin] La Féerie coloniale, grand feu d'artifice avec embrasement du lac [13 juillet] Ouverture de la contre-exposition La vérité sur les colonies [19 septembre] Fermeture de l’Exposition coloniale internationale [15 novembre]
1932
Le Palais permanent des colonies devient le musée des Colonies et de la France extérieure. Le pavillon des missions, démonté, est reconstruit à Épinay-sur-Seine, et devient l’église Notre-Dame-des-Missions
1934
Inauguration du Parc zoologique de Paris [2 juin]
1935
Le musée des Colonies et de la France extérieure devient le musée de la France d’outre-mer Premier salon de la France d’outre-mer au Grand Palais
1937
Exposition internationale des arts et des techniques à Paris (les colonies françaises sont regroupées sur l’île aux Cygnes)
1940
Second salon de la France d’outre-mer au Grand Palais
La plus grande exposition coloniale à Paris au XX e siècle
L’année 1931 correspond à « l’apogée colonial », une époque où nombre de Français sont persuadés des « bienfaits » de la colonisation, ignorant la réalité brutale de la domination coloniale outre-mer. De la fascination pour les pavillons coloniaux dans les expositions nationales ou universelles naît l’idée, à la fin du XIX e siècle, de leur consacrer des expositions spécifiques. Les premières expositions exclusivement coloniales se tiennent à Lyon en 1894 et à Bordeaux en 1895. L’Exposition coloniale internationale de 1931 s’inscrit dans la lignée de ces manifestations. L’idée initiale de sa programmation remonte à 1910 mais elle est sans cesse reportée en raison de la concurrence entre Paris et Marseille.
À gauche : Exposition coloniale internationale. Paris 1931. Le tour du monde en un jour, affiche signée Victor Jean Desmeures, imprimerie Robert Lang, 1931. © Coll. part. À droite : Exposition coloniale Paris 1931, couverture de l’album photographique 60 aspects de l’Exposition coloniale internationale, éditions Braun & Cie, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
En 1906 déjà, les deux villes ont chacune organisé une exposition coloniale et, en 1907, Paris renouvelle l’expérience au Jardin colonial de Paris. En 1912, il est décidé que Marseille aura la primeur sur la capitale, mais la guerre reporte l’événement à 1922. Repoussée après l’exposition des Arts décoratifs de 1925, puis décalée à 1930 avant d’être reportée de nouveau pour laisser place aux célébrations du Centenaire de l’Algérie française et pour ne pas froisser l’allié belge qui prévoit deux expositions internationales cette même année, l’année 1931 est enfin fixée. Au total, 33 millions de tickets sont vendus – représentant environ 8 millions de visiteurs avec le jeu des entrées multiples – pour cette « grandiose manifestation » dédiée aux empires coloniaux et plus spécifiquement à l’Empire colonial français.
1 000 jours de travaux
Le projet nécessite une organisation titanesque. Il faut prolonger la ligne 8 du métro, mettre en place une dizaine de lignes de tramways, prévoir des navettes exceptionnelles en bus qui repartiront chaque soir de l’Exposition, aménager la station « Porte Dorée » pour qu’elle dispose de six escaliers de dégagement, tandis que la porte de Charenton doit être réorganisée pour les visiteurs qui veulent directement débarquer au cœur des pavillons de l’Empire français.
« Porte d’honneur de l’Exposition coloniale internationale », 60 aspects de l’Exposition coloniale internationale, photographie de Maurice Cloche, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
« L’inauguration de l’Exposition coloniale. La construction (reportage) », Vu, article de presse, 1931 [mai]. © Coll. Groupe de recherche Achac
La prise en charge des travaux de construction de l’Exposition est confiée à la direction de l’Architecture, Parcs et Jardins et à la direction des Travaux d’Ingénieurs de la Ville de Paris. De la première dépend le plan général de l’Exposition et la répartition des emplacements des jardins et parcs, ainsi que les décorations lumineuses. La seconde se charge de la viabilité et de la circulation dans l’enceinte de l’Exposition.
Finalement, plus de 110 hectares du bois de Vincennes sont aménagés, avec un jeu de perspectives visant à créer un ensemble spectaculaire et harmonieux. Mille jours de travaux et l’aide de 40.000 artisans, ouvriers spécialisés et prestataires permettent d’inaugurer l’Exposition coloniale internationale le 6 mai 1931. Dominant la porte Dorée, l’immense statue de la France coloniale (sculptée par Léon Drivier) aux dorures éclatantes, symbolise alors la France « protectrice des peuples placés sous son autorité », et reste aujourd’hui un souvenir encore visible de cette manifestation dans le square des Anciens combattants d’Indochine.
La « plus grande France »
La section métropolitaine, carte postale, éditions Braun & Cie, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
Le concepteur de l’Exposition coloniale internationale
En 1927, le gouvernement demande au maréchal Lyautey d’être le commissaire général de l’Exposition coloniale internationale. Il est à l’époque une des figures emblématiques de la France coloniale, ayant exercé son autorité au Maroc ou encore à Madagascar. Il donne son accord pour remplir ce rôle mais pose ses conditions : l'Exposition doit nécessairement inclure la présence et rappeler « l'œuvre » des Missions jusque-là oubliées, et intégrer les autres puissances coloniales étrangères, y compris la Grande-Bretagne et les États-Unis. Pour lui, l’Exposition doit être une « une grande leçon d'action réalisatrice, un foyer d'enseignement pratique ».
Les palais des mondes coloniaux
Section métropolitaine, photographie, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
La Section métropolitaine est un immense bâtiment de plus de 40.000 m 2 qui longe le boulevard Soult sur plus de 500 mètres et regroupe, sous le titre de Groupes industriels, les grandes compagnies des chemins de fer mais aussi les industries lourdes et de transformation, les transports, les énergies et les productions impériales. Il s’agit d’une sorte de « galerie des machines », comme le désigne le guide de l’Exposition, dominée par une immense tour, haute de 85 mètres. C’est le premier édifice qu’aperçoit le visiteur arrivant à la porte Dorée. Avant d’entrer dans le bois de Vincennes ou de parcourir le Musée permanent des colonies, le visiteur est invité à découvrir les richesses économiques de l’Empire et l’importance que celui-ci revêt pour la métropole en ces temps de crise économique mondiale depuis 1929. En présentant le pôle de l’enseignement, celui de l’automobile ou encore celui de l’alimentation, le maréchal Lyautey, commissaire général de l’Exposition, veut toucher de futurs investisseurs et répondre au leitmotiv de mise en valeur de l’Empire.
Aux côtés des industries, un second édifice — qui s’apparente à un palais agricole de 3.000 m 2 — présente l’ensemble de l’agriculture, de l’horticulture et de la sylviculture coloniale. Enfin, un troisième palais est consacré prioritairement aux bois coloniaux, avec deux espaces dédiés à la pêche et à la chasse. Un dernier palais, de 16.000 m 2 , regroupe des exposants ayant une activité outre-mer. L’ensemble de ces bâtiments sont détruits en 1932 à l’issue de l’Exposition mais les bas-reliefs que l’on y trouvait sont aujourd’hui visibles à l’hôtel de Ville de Noyon (Oise).
« Palais du livre » [section métropolitaine], Exposition coloniale internationale de Paris 1931 : Rapport général présenté par le gouverneur général Olivier rapporteur général, délégué général à l'Exposition, photographie de G. L. Manuel frères, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
Le palais permanent des Colonies et son histoire
Le Musée permanent des colonies, dont la première pierre a été posée en 1928, est conçu comme un instrument de diffusion de « l’œuvre coloniale » auprès du public. Rompant avec l'exotisme auquel semblaient voués les pavillons d'exposition coloniale depuis la fin du XIXe siècle, l'architecte Albert Laprade propose au maréchal Lyautey un plan qui « fait l'union des anciens et des modernes ». Répondant à la commande de montrer l’apport des colonies à la France, le sculpteur Alfred Janniot conçoit un bas-relief de 1.100 m2 pour recouvrir le béton armé, réalisant un véritable tableau de pierres. Sur la face droite du bâtiment, apparaissent les noms gravés de quelques « grands coloniaux français ». Au sous-sol, des dioramas retracent l’histoire coloniale française, depuis les croisades de Saint-Louis jusqu'à l’établissement du protectorat français à Tahiti.
Inauguration du musée permanent des colonies. Victor Beauregard souhaite la bienvenue à Paul Reynaud, ministre des Colonies, Blaise Diagne, et Marcel Olivier, gouverneur général des Colonies. photographie de presse de G.Devred (agence Rol), 1931. © NARA
La Plus grande France, couverture d’une brochure éditée par le commissariat du ministère des Colonies, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
Dans la section « Rétrospective », le visiteur découvre les étapes de la colonisation et une projection cinématographique propose une synthèse en vingt minutes de « l’épopée coloniale de la France ». Dans le salon d’honneur, les fresques se teintent d’un exotisme qui fait référence à la richesse des colonies. Certains événements sont tus : notamment la traite négrière et les massacres qui ont accompagné les conquêtes. Puis, on découvre quatre salles qui présentent les quatre piliers du domaine colonial français : l’Afrique du Nord, où une mappemonde de deux mètres de diamètre matérialise la construction de l’Empire, l’Indochine mais aussi l’Afrique noire et Madagascar.
En 1935, le bâtiment devient le musée de la France d’outre-mer et, en 1960, au moment des indépendances, il est transformé en musée des arts d’Afrique et d’Océanie, avant d’accueillir aujourd’hui le Musée national de l’histoire de l’immigration. La maquette de l'Exposition coloniale internationale est présentée dans le hall du musée, rappelant le passé de ce grand monument colonial. Deux huiles sur toile de Géo Michel provenant de la « section de synthèse » y sont également exposées.
Une immense construction symbolique
« Avenue des Colonies », Exposition Coloniale – Paris 1931, photographie de Pierre Petit, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
L’avenue des Colonies
L’avenue des Colonies est une sorte d’épine dorsale de l’idée coloniale sur laquelle se fixent, de chaque côté, les différentes colonies françaises et leur pavillon avec, en son centre, Angkor Vat. Le message aux visiteurs est clair : cet ensemble fait sens et il est dans le prolongement naturel de la France, appelé à ne faire qu’un avec elle. Tout est prévu pour remonter rapidement cette avenue et faire le tour de l’Exposition coloniale internationale en vingt-cinq minutes pour ceux qui préfèrent une visite condensée. Un chemin de fer circulaire intérieur est mis en place, pouvant atteindre quinze kilomètres par heure, et proposant aux visiteurs un tour express, rythmé par des étapes sur les six stations élaborées. De même, des petits cars électriques circulent dans toute l’Exposition et des moyens de déplacement « indigènes » sont prévus pour distraire le visiteur : chameaux, ânes, éléphants, zébus ou pirogues.
Les armées françaises d’outre-mer
Au Bois de Vincennes, les armées françaises d’outre-mer sont mises à l’honneur, ce que souligne largement l’ouvrage dédié à l’Exposition À travers l’Exposition coloniale. La description des salles intérieures des pavillons de l’Armée y est assez pittoresque : « Les drapeaux et les étendards des troupes africaines qui se sont le plus illustrées parmi les plus illustres sont réunis en un glorieux faisceau sous la coupole de mosaïque d’or qui abrite une superbe gloire aux larges ailes étendues. […] Nous avons pu comprendre clairement et sous une forme attrayante le rôle de cette Armée pour l’extension de notre grand Empire colonial. » Ils abritent une exposition des armes combattantes, des corps et services ainsi qu’une exposition des services du génie et de l’intendance.
Les troupes coloniales défilant devant le palais des Colonies lors de l’inauguration de l’Exposition coloniale internationale, 1931. photographie, 1931. © NARA
Le monument des Forces d’Outre-mer, où se trouve présenté le travail de l'armée coloniale et de ses services est mis en exergue dans le guide L’Exposition Promenades et le texte de présentation ne manque pas d’emphase : « Les 80 mètres du monument aux Forces d’Outre-mer ferment la perspective de l’Avenue triomphale. Une tour d’une grande simplicité, couronnée du drapeau national et des étendards particuliers de chaque colonie, ornée de palmes de bronze, flanquée de quatre contreforts, où, en lettres d’or, étincellent les noms des grands coloniaux français, domine toute l’Exposition, en souvenir de ceux qui surent nous conquérir cet Empire dont les richesses en bloc sont révélées à Paris pour la première fois. » L’armée et la conquête sont glorifiées dans l’Exposition comme les piliers de l’édifice colonial.
Les missions religieuses au cœur de la République
Catholiques et protestants ont chacun leur pavillon. Malgré la séparation des Églises et de l’État (1905), et même s’ils sont bâtis aux frais des croyants et réalisés par un comité indépendant du commissariat général, les missions trouvent leur place dans cette grande fête républicaine. L’union coloniale transcende, ici comme aux colonies, les conflits opposant l’Église et la République. À l’intérieur du pavillon des Missions catholiques, l’œuvre des Pères blancs, des Sœurs blanches, du cardinal Lavigerie, des Pères du Saint-Esprit, des Oblats, des Maristes et des Jésuites rivalise avec celle des bâtisseurs d’Empire du panthéon laïc. Celui-ci est organisé en deux bâtiments qui se juxtaposent. Le premier renferme cinq salles qui exposent, continent par continent, l’action évangélique et ses prétendus succès avec, au centre, l’espace dédié à « l’épopée missionnaire ».
À gauche : « Pavillon des Missions protestantes », 60 aspects de l’Exposition coloniale internationale, photographie de Maurice Cloche, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac À droite : « Pavillon des Missions catholiques », 60 aspects de l’Exposition coloniale internationale, photographie de Maurice Cloche, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
Le second bâtiment contient trois nefs d’église qui abritent les œuvres missionnaires d’Indochine, d’Océanie, du Levant ou d’Amérique. Très différent du précédent, celui des Missions protestantes fait preuve de moins d’emphase, pratiquant une propagande directe, en apportant des preuves de l’action menée outre-mer. Une dizaine de stands structurés autour d’un espace central montrent les actions spécifiques menées : léproserie, actions contre « l’inhumanité des mœurs », œuvre sanitaire, lutte contre le « fétichisme cruel » et combat contre les « superstitions avilissantes », c’est-à- dire tout ce qui contrevient au dogme chrétien et empêche la mainmise spirituelle de l’Église sur les « indigènes ». La légitimité de l’action missionnaire provient de son action « éducatrice » visant à « relever en les évangélisant les races indigènes », comme le conclut le guide édité par la Fédération française des anciens coloniaux. Ce pavillon a été démonté et remonté à Épinay-sur-Seine en tant qu’église Notre-Dame des missions tandis qu’à Dijon, la statue du Christ, en acajou de Cuba, orne l’église du Sacré-Cœur.
Les enjeux coloniaux
Le plus beau voyage à travers le monde, album de cartes postales, éditions Braun & Cie, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
L’Empire colonial en 1931
L’Exposition glorifie un empire de 11 millions de km 2 avec 100 millions d’habitants. André Demaison donne le détail des infrastructures de l’Empire : « 35.000 km de côtes, 700.000 km de routes et 75.000 km de rails ». En somme précise-t-il, c’est « une nouvelle France » où toutes les colonies sont représentées : les vieilles colonies ; l’ensemble africain avec l’A.-O.F. (Afrique occidentale française), l’A.-É.F. (Afrique équatoriale française), les Somalis et Madagascar ; l’Afrique du Nord, l’Indochine ; les mandats placés sous l’autorité de la France après la Première Guerre mondiale ; les établissements d’Océanie et des Indes. Derrière la glorification de 1931 se cachent les premières revendications dans les colonies, qui 15 ans plus tard, déclenchent le processus de décolonisation.
La propagande coloniale
La France d’outre-mer illustrée, couverture du livre d’Aimé Fauchère & André Galland, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
Le guide édité par la Fédération française des anciens coloniaux ouvre son introduction par ce titre, véritable slogan de l’année 1931 : « La France est un pays de cent millions d’habitants ». À n’en pas douter, 1931 résonne comme un apogée colonial et l’Exposition coloniale internationale est son temple : « elle a placé sous nos yeux émerveillés les trésors innombrables de ces pays de rêve, les merveilles façonnées par les mains primaires de nos frères lointains ».
République française. Exposition coloniale internationale Paris 1931, affiche signée Joseph de La Nézière. © Coll. part.
Au cœur du Bois de Vincennes, la mythologie d’un empire immense, puissant et peuplé de cent millions d’hommes et de femmes est omniprésente. L’affiche réalisée par Joseph de La Nézière, pour promouvoir la manifestation, l’illustre à sa façon en représentant les populations de l’Empire en marche, avec les richesses de chaque colonie, vers la métropole. En vérité, les colonisés ne sont pas le public de l’Exposition, mais les acteurs fantomatiques d’une histoire que la France a imposée par les armes au temps de la conquête et qui maintient sa domination par la répression de tout mouvement de révolte au cours de l’entre-deux-guerres. La Cité de l’information est également pensée comme un instrument de propagande coloniale. C’est une expression de l’activité de l’Agence des Colonies voulue par le maréchal Lyautey pour mettre en exergue le passage à un colonialisme d’un nouveau genre, en connexion avec les activités économiques, l’information et le monde des affaires. Tout y est organisé autour d’un vaste hall où ont été affichés les cours de toutes les denrées coloniales. Le visiteur doit pouvoir y trouver un maximum d’informations sur l’Empire. Un bureau postal et télégraphique est également installé, toutes les grandes agences de voyages ont un bureau et les chambres de commerce y organisent rencontres et congrès.
Les oppositions à l’Exposition coloniale internationale
La presse française est un excellent reflet du débat autour de l’Exposition. Si, dans sa globalité, la presse hebdomadaire et quotidienne soutient l’événement (l’Agence des Colonies a acheté de nombreux espaces pour des publi-reportages), plusieurs journaux se montrent critique, comme Le Populaire et L’Humanité. Le 4 juillet 1931, ce dernier annonce une contre-exposition organisée par la Ligue contre l’impérialisme et l’oppression coloniale et la CGT, et soutenue par les surréalistes. Le 31 octobre 1931, Marcel Cachin, le directeur du journal, publie « Une visite à l’exposition anti-impérialiste » en une de L’Humanité. L’exposition La vérité sur les colonies comporte trois sections. La première offre une rétrospective de la colonisation. On y montre les crimes des conquêtes coloniales. On y évoque des troupes coloniales décimées durant la guerre de 14-18 et on se sert des témoignages d’Albert Londres et d’André Gide sur le travail forcé.
Contre la terreur impérialiste ! Contre l’exposition colonialiste de Vincennes ! Pour l’indépendance des colonies !, tract du PCF, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
Dans la seconde salle, entièrement consacrée à l’URSS, les organisateurs opposent « au colonialisme impérialiste l’exemple de la politique des nationalités appliquées par les Soviets », ignorant la brutalité des répressions staliniennes ou la grande famine organisée en 1932-1933 par le régime en Ukraine, occasionnant plusieurs millions de morts. La visite se termine par une présentation des problèmes culturels soulevés par le colonialisme. Une partie de cette exposition est dédiée à « l’art indigène » et présente des objets issus de collections privées, notamment celles de surréalistes comme André Breton ou Paul Éluard. Restée ouverte jusqu’en 1932, la contre-exposition n’eut pas le succès escompté par ses organisateurs et ne reçut que cinq mille visiteurs.
Le monde océanien
Kanaks de Nouvelle-Calédonie [exhibés au Jardin d’acclimatation] de passage à l’Exposition coloniale internationale, photographie, 1931. © NARA
Les Kanaks au Jardin d’acclimatation
En marge de l’Exposition coloniale internationale, 92 hommes, 14 femmes et 5 enfants sont recrutés par la Fédération française des anciens coloniaux pour être exhibés au Bois de Vincennes. S’étant portés « volontaires » pour représenter leur culture, les Kanaks, absents lors de la signature de leur contrat, sont en réalité leurrés et conduits au Jardin d’acclimatation du bois de Boulogne pour être présentés comme des « cannibales ». Certains d’entre eux sont ensuite exhibés en Allemagne à Leipzig, Hambourg, Berlin, Francfort, Munich, ou encore en Autriche, à Vienne. Leur situation suscite rapidement un scandale, il s’agira alors de l’un des tout derniers « zoos humains » en France, signe que les temps commencent à changer.
Les Établissements du Pacifique
Les Établissements du Pacifique austral sont représentés à l’Exposition coloniale internationale par trois pavillons distincts : la Nouvelle-Calédonie, les Nouvelles-Hébrides et les Îles Wallis. Le premier est censé restituer les habitations des grands chefs kanaks. La décoration emploie des éléments empruntés à l’art kanak : bois et os sculptés représentant des figures humaines, coquillages, mâts et trophées. Dans le pavillon central, la Nouvelle- Calédonie expose les échantillons de ses produits miniers (nickel, cuivre, chrome) mais également ses produits du sol (café, coton, cacao) sans oublier les produits de l’élevage et ceux de ses côtes (fruits de mer ou perles). Ce pavillon répond à l’objectif clairement affirmé de faire oublier le bagne et surtout la répression impitoyable subie par les Kanaks durant et après la conquête de leurs terres. Sa mission est également d’évoquer, sans les montrer, les « terribles mangeurs d’hommes » qui sont exhibés au même moment au bois de Boulogne. Dans le pavillon des Nouvelles-Hébrides, un film présente ces mêmes « indigènes » comme des êtres barbares et primitifs.
À gauche : « Pavillon des Nouvelles-Hébrides » [section de l’Océanie française], 60 aspects de l'Exposition coloniale internationale, photo de Maurice Cloche, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac À droite : Pavillon de la Nouvelle-Calédonie [section de l’Océanie française], dessin, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
Les Îles Wallis sont une véritable découverte pour les visiteurs, puisque celles-ci n’ont jamais fait l’objet d’une présence dans une exposition coloniale en France. Bien loin de l’espace océanien, perdu dans l’immense Empire colonial, apparaît le pavillon de Saint-Pierre-et-Miquelon, « dernier vestige de l’ancien Empire colonial français du Nouveau monde » comme le rappelle le guide. De simples maisons en bois, censées illustrer celles des pêcheurs de morue, avec leurs embarcations et symbole de l’apport économique du territoire.
Le spectacle « indigène »
L’Exposition coloniale internationale n’existerait pas sans les « figurants indigènes ». Militaires, artisans, serveurs, danseurs, vendeurs, ils sont plus de 25.000 à animer chaque jour les 110 hectares de l’Exposition coloniale internationale. Les visiteurs découvrent au détour des pavillons et attractions les danseuses khmères, les musiciens malgaches, les tirailleurs sénégalais ou indochinois, les vendeurs de tapis de Constantine ou de Rabat, le chamelier maure, les « figurants » africains du village lacustre qui vivent sur place, les Kanaks exhibés au Jardin d’acclimatation qui viennent en représentation exceptionnelle au Bois de Vincennes (comme pour l’inauguration de l’Exposition), jusqu’aux « doudous antillaises » recrutées en partie en région parisienne.
« Scène finale au théâtre malgache », L’Illustration, photographie colorisée, 1931 [mai]. © Coll. Groupe de recherche Achac
Les visiteurs peuvent également découvrir la troupe américaine de jazz, dont les musiciens sont des « peaux rouges ». Ils illustrent cette prétendue « galerie des races et des types » — selon les termes de l’époque — qui donne à voir l’immense domaine colonial sur lequel la France et les autres puissances ont imposé leur autorité. Certes le temps des « zoos humains » semble s’éloigner — même si on retrouve des villages ethniques à l’Exposition — pour laisser place à une autre forme d’exposition de l’« Autre », cherchant à renforcer l’idée que la France œuvre à l’« éducation » de ces peuples et ainsi à les « élever ». L’exotisme est présenté, pourvoyeur de rêve, entretenant la perception d’une étrangeté essentielle des populations colonisées.
Les vieilles colonies
« Pavillon de la Guadeloupe », 60 aspects de l’Exposition internationale, photographie de Maurice Cloche, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
La Guadeloupe
La construction du pavillon de la Guadeloupe et des îles dépendantes (Les Saintes, Marie- Galante, Saint-Barthélemy et Saint-Martin) est confiée à Ali Tur, l’architecte du ministère des Colonies, missionné pour rebâtir l’île dévastée par un cyclone en 1928. Voulant doter l’archipel d’un art architectural propre, il conçoit ce bâtiment à l’image des 120 édifices publics qu’il a construit dans la colonie pour résister aux cyclones et lutter contre le soleil et la chaleur. Ce pavillon, censé représenter « le visage nouveau et futur de la Guadeloupe », met surtout en lumière l’usage révolutionnaire du ciment armé aux Antilles. À l’intérieur, les trois salles principales offrent une large synthèse de l’activité économique, sociale et intellectuelle de la Guadeloupe, sans évidemment préciser les conditions d’exploitation des populations locales par les colons européens. Plusieurs éléments de ce pavillon, comme le grand panneau de laque par Bernard Dunand, sont aujourd’hui conservés au palais du Conseil départemental de la Guadeloupe à Basse-Terre.
Les Antilles et La Réunion
Les pavillons des « vieilles colonies » ont pour objectif de rappeler leurs liens anciens avec la France. Le pavillon de la Martinique est composé d’un corps central coiffé d’une coupole et de deux ailes précédées de terrasses ornées de pergolas. Un perron monumental donne accès au salon d’honneur sur les murs duquel se développe, sous forme de grands panneaux, la synthèse des aspects essentiels de l’île. La présentation des produits rappelle la richesse de la France : canne à sucre, café, rhum, vanille, banane, coco, orange et bien d’autres. Le pavillon de la Guadeloupe joue au contraire sur la nouvelle « modernité » de l’île, censée être en plein développement.
À gauche : Pavillon de la Martinique, photographie, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac À droite : « Pavillon de La Réunion », Exposition Coloniale – Paris 1931, photographie de Pierre Petit, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
À leurs côtés, le pavillon de La Réunion apparaît avec un palais surélevé de quelques marches encadrant une cour intérieure. Dans une grande galerie circulaire sont installés les stands de l’agriculture, de l’industrie et du commerce qui présentent les productions locales. Dans le guide officiel de l’Exposition, l’écrivain André Demaison, fervent propagandiste de la colonisation, rappelle le caractère exemplaire de cette colonie, car « c’est un bel exemple de ce que doivent être les bases de la société future : travail réduit, grâce aux forces naturelles, et loisirs occupés par la culture de l’esprit, de l’âme et du corps ». Chaque soir, le pavillon est baigné de « jeux de lumière savamment disposés » qui lui donnent un « éclat » sans pareil précise-t-il. La Réunion est présentée comme une « colonie modèle », ayant trouvé un juste équilibre entre passé et présent.
Somalis, Guyane et les comptoirs des Indes
« Pavillon des Indes françaises », 60 aspects de l'Exposition coloniale internationale, photographie de Maurice Cloche, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
Le pavillon des Somalis, inspiré de la mosquée d’Ahmondy à Djibouti, ouvre l’immense avenue des Colonies. À l’intérieur, un diorama montre les étapes de l’occupation de Djibouti et le patio est entouré d’une galerie elle-même flanquée de deux salles : le bureau du commissaire et la salle de dégustation des cafés. À ses côtés, le pavillon de l’Inde française joue le registre de « l’Orient mystérieux et puissant », à travers la présentation d’une demeure hindoue des comptoirs français de l’Inde. Deux statues d’éléphants harnachés — aujourd’hui conservées au musée des Arts forains — accueillent le visiteur qui entre ensuite sous une véranda fleurie, et des lits en pierre surmontés de lampes « rituelles » sont disposés sur le sol. Dans le patio à ciel ouvert, où sont présentés les produits et arts des comptoirs indiens (Pondichéry, Karikal, Mahé et Chandernagor) les « vieilles civilisations des indigènes sont révélées ». Ce pavillon fait aussi le lien entre l’ancien Empire des rois de France et celui constitué par la IIIe République.
Pavillon de la Guyane française, carte postale dessinée, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
À sa droite, le pavillon de la Guyane met en exergue la richesse forestière de la colonie. C’est surtout, précise le guide, « une vision des merveilleuses richesses encore à exploiter dans ce pays de mystère ». À l’intérieur, le visiteur trouve une présentation des bois d’essences variées ainsi que des pépites et des minerais, avec un objectif majeur : faire oublier l’image de colonie pénitentiaire liée à la Guyane mais aussi favoriser le développement des liens économiques avec la métropole d’alors.
L'Indochine à Paris
Angkor Vat illuminé [section de l’Indochine], photographie, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
L’architecture d’Angkor Vat
L’œuvre maîtresse de l’Exposition est la reconstitution à l’échelle du temple d’Angkor Vat. Imposant, il domine tous les autres pavillons. Conçu par les architectes Blanche père et fils, il est la reproduction du troisième étage du sanctuaire khmer enfoui dans la jungle cambodgienne, chef-d’œuvre d’un empire disparu. À l’intérieur du temple, des films sont projetés, rappelant pour la plupart la « mise en valeur » de ces territoires par la France, et plus de 80 dioramas sont présentés dans les salles d’exposition, dont l’objectif est de promouvoir la « mission civilisatrice ». Les visiteurs accèdent par groupes de cinq cents personnes à l’intérieur du bâtiment pour y découvrir les salles du riz, de la soie ou du caoutchouc. Le parcours se termine dans la grande galerie supérieure du temple qui retrace la « grande histoire de l’Indochine française ». Les moulages du temple d’Angkor Vat sont aujourd’hui conservés à l’abbaye royale de Saint-Riquier.
L’Indochine française
Au pied d’une réplique d’Angkor Vat — le bâtiment le plus impressionnant de l’Exposition —, les visiteurs entrent dans les pavillons des différentes parties de « l’Indochine française ». Ils découvrent un restaurant où des « Indochinois en costumes de soie vaquent au soin des clients », puis pénètrent, tour à tour, dans le portique de l’Annam, le palais de la Cochinchine, le village tonkinois du Delta avec son Dinh et son marché, avant de s’engouffrer dans un immense diorama. La Cochinchine, avec quatre millions d’habitants, est une des pièces centrales de l’espace indochinois. Son pavillon, inspiré d’un musée de Saigon, présente les richesses du pays : rizières du Mékong, poivre ou caoutchouc, ainsi qu’un diorama sur la vie des « indigènes ». Le pavillon de l’Annam est composé de deux bâtiments. Le premier est réservé au gouvernement annamite collaborant avec la France et présente une collection de costumes de cour, de soies et de pierres précieuses. Le second, consacré à la vie des colonisés, met en scène les travaux des paysans et des pêcheurs. Le Tonkin, pays minier, agricole et faiblement industrialisé est présenté sous la forme d’une agglomération rurale avec sa porte de village, sa maison commune, sa pagode renfermant des objets rituels et ses échoppes traditionnelles.
Danseuses cambodgiennes devant le temple d’Angkor Vat [section de l’Indochine]. © Coll. Groupe de recherche Achac
Le pavillon du Cambodge, de style khmer, évoque par son luxe le riche passé du pays avec ses forêts, ses temples, ses éléphants et ses danseuses, symboles d’une civilisation qui serait dépassée par la modernité coloniale et vouée à disparaître. Une pagode mise en scène avec une foule en prière évoque la religiosité des « indigènes ». À côté, le village laotien sur pilotis comprend une pagode et une bibliothèque de laque rouge. Le Laos, qui est le plus vaste et le moins peuplé des cinq pays, semble écrasé par le poids du temple d’Angkor Vat. Bien que le temple reconstitué ait été détruit, plusieurs éléments de la section indochinoise — comme l’étendard Dragons et Phénix du pavillon de la Cochinchine — sont aujourd’hui conservés au musée Monseigneur Pigneau de Behaine à Origny-en-Thiérache (Aisne) et au musée du quai Branly-Jacques Chirac (Paris).
La présence indochinoise à Paris
Les cinq entités qui composent l’Indochine française regroupent près de vingt millions d’habitants, et sont l’une des composantes majeures de l’Empire colonial français. Au début du XX e siècle, une communauté composée en partie de travailleurs, de notables et d’étudiants cambodgiens s’installe dans la capitale. C’est donc notamment depuis Paris que se structurent la plupart des mouvements d’opposition au colonialisme français en Indochine. Dès mai 1930, 150 militants manifestent devant l’Élysée pour demander la libération de leurs camarades emprisonnés après l’insurrection de Yen Bay au Vietnam. Puis des tracts sont distribués et des stickers collés dans Paris lors des manifestations contre l’inauguration de la Maison indochinoise à la Cité universitaire. Parmi ces mouvements s’organise également, l’année suivante, l’opposition à l’Exposition coloniale internationale. Les étudiants indochinois, qui ont interdiction de sortir le soir, diffusent tracts, autocollants et journaux pour dénoncer les fastes de l’Exposition alors qu’en Indochine l’activisme contre la présence française croît.
« Danseuses cambodgiennes dans le temple d’Angkor », L’Illustration, autochrome de Léon Gimpel, 1931 [mai]. © Coll. Groupe de recherche Achac
Leur action inquiète les autorités françaises et le commissariat général, au point que l’on interdit aux « figurants » indochinois de l’Exposition coloniale internationale, contrôlés dans leurs moindres faits et gestes, tout contact avec les « Indochinois de Paris ». Il faut, préconisent les organisateurs, les « isoler pour mieux les surveiller » et les « soustraire aux influences fâcheuses provenant de sujets hétéroclites ».
L'Afrique à Paris
Pavillon de Madagascar [Exposition coloniale internationale de Paris], photographie, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
Le pavillon de Madagascar
Gaston Pelletier, commissaire du pavillon de Madagascar, organise celui-ci autour d’un « palais des anciens rois de Madagascar » de trois étages et encerclé d’une galerie avec une tour carrée surmontée d’énormes crânes de zébus. À l’intérieur, dioramas, salles de cinéma, salles de conférences et centre d’information renseignent sur « l’île rouge ». Autour, un village malgache est reconstitué avec figurants, musiciens et boutiques. La couleur rouge domine dans le jardin verdoyant qui accueille une centaine de Malgaches drapés de cotonnades assurant l’animation. Sur le côté, les piroguiers de Nosy-Be traversent régulièrement le lac Daumesnil afin de « distraire » les visiteurs. Là encore, rien n’est dit sur la violence de la conquête ni sur la « politique des races » qui aboutit à Madagascar à de fortes oppositions ethniques, ni bien sûr sur la domination sans partage du colonat blanc sur la « Grande île rouge ».
L’Afrique équatoriale française (A.-É.F.)
L’A.-É.F. est une fédération de quatre colonies : le Gabon, le Moyen-Congo (actuelle République du Congo), l’Oubangui-Chari (actuelle République Centrafricaine) et le Tchad, où vivent trois millions d’habitants. Les représentations de l’Afrique subsaharienne coloniale dans l’Exposition multiplient les stéréotypes.
Paris. Exposition internationale. L’Afrique-Équatoriale française, brochure d’information, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
Léon Fichet, l’architecte du pavillon de l’A.-É.F., s’est inspiré d’un prétendu « style indigène » afin de réaliser une construction circulaire de vingt-sept mètres de diamètre, avec un dôme monumental de vingt mètres de haut entouré de galeries circulaires. Autour, le visiteur découvre l’incontournable « village indigène », pièce maîtresse de toutes les expositions coloniales depuis 1894 et universelles depuis 1878. Le village pahouins (Gabon), avec ses cases et ruelles, ses artisans et sa supposée vie quotidienne, rassemble quarante « indigènes » qui « y vivent comme chez eux » précise le guide de l’Exposition Panoramas. À travers l’Exposition Coloniale. Ceux-ci, précise l’auteur du guide, ne sont pas « des nègres comme les autres » et ce sont des « cannibales authentiques » mais, rassure l’auteur, aujourd’hui « ils s’abstiennent soigneusement de se limer les incisives comme le faisaient leurs grands-parents ». On peut donc « les approcher sans crainte ».
Fontaine des Totems et pavillon de l’A.-É.F., carte postale colorisée, éditions Braun & Cie, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
En parallèle de ce « zoo humain », mille et un produits agricoles, bois et minéraux sont exposés, à côté des activités de chasse et de pêche, et d’une collection d’objets de parure qui permet au public de se rendre compte « qu’il y a un art nègre et qu’il mérite d’être étudié ». Au centre du dôme, dioramas et panoramas décrivent l’A.-É.F. et ses « richesses » et insistent sur les « mœurs pittoresques et les coutumes originales » de ses habitants. La folklorisation des cultures des peuples colonisés fait bon ménage avec un paternalisme assumé.
L’Afrique occidentale française (A.-O.F.)
L’A.-O.F., au cœur de l’Afrique coloniale française, regroupe huit colonies pour un territoire où vivent treize millions d’habitants : le Sénégal, la Guinée française, la Côte d’Ivoire, le Dahomey (actuel Bénin), le Soudan français (actuel Mali), la Haute-Volta (actuel Burkina-Faso), la Mauritanie et le Niger. Une section entière de l’Exposition y est consacrée et occupe quatre hectares sur lesquels se distingue la réplique du palais de Djenné. C’est en s’inspirant du « style soudanais » que les architectes bâtissent cet édifice impressionnant pour « donner aux visiteurs de l’Exposition coloniale l’illusion de se trouver au cœur du pays noir ». Dans le vestibule du palais, chaque colonie est dotée d’un représentant qui répond aux demandes du public et informe sur les colonies d’A.-O.F., leurs richesses, les arts et cultures, mais aussi sur les moyens de transport à un moment où un tourisme outre-mer réservé à la bourgeoisie commence à se développer.
À gauche : « Le lac aux abords des pavillons de l’Afrique Occidentale française », 60 aspects de l'Exposition coloniale internationale, photographie de Maurice Cloche, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac Au centre : Danseurs de la section de l’Afrique Occidentale française, photographie, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac À droite : Exposition coloniale de Paris 1931. Afrique Occidentale française, livret d’information de l’Agence économique. © Coll. Groupe de recherche Achac
Dans les différentes salles du palais sont exposés tous les produits principaux de la fédération, et le visiteur peut acquérir, auprès des boutiquiers, des souvenirs plus ou moins authentiques. Autour du palais et de ses murailles, se trouvent des mosquées, des cases en torchis rouge, des rues, un « village fétichiste », des huttes lacustres, un tata (fortification en Afrique de l’Ouest) et, bien entendu, des « indigènes » pour donner le sentiment de voyager entre Gao et Tombouctou. Pour admirer le tout, le public peut se hisser tout en haut de la tour du palais et atteindre une plate-forme qui peut accueillir jusqu’à soixante personnes. Avec Angkor Vat, c’est l’un des pavillons les plus visités de l’Exposition coloniale internationale, témoignage de l’attrait pour l’exotisme et d’une volonté de présenter la colonisation bienfaitrice sans aspérités et l’action de la France comme aboutie, y compris en Afrique subsaharienne.
L'ensemble maghrébin et les mandats
Pavillon du Cameroun et du Togo, photographie, 1931. © NARA
Les mandats africains (Togo et Cameroun)
Placés sous l’autorité de la France par la Société des Nations, le Togo et le Cameroun font l’objet d’une attention particulière pour démontrer les « bienfaits » de l’action de la France. Dans un style bamoun (du Cameroun), le pavillon évoque un village avec le palais central qui est une mise en scène grandiloquente d’une prétendue vie locale avec une forte présence des « arts nègres » (peintures, sculptures et photographies). Une autre partie, composée du pavillon de la Chasse, du pavillon des Œuvres sociales et du pavillon du Commissariat, est dédiée à la mise en valeur de « l’œuvre sociale et [des] travaux » organisée par la France, elle est censée légitimer l’ordre colonial. Aujourd’hui, ce vestige de l’Exposition est devenu l’Institut international bouddhique, situé au cœur du Bois de Vincennes. Lors de la Biennale de Venise, en 2022, l’artiste Simone Leigh a proposé une reconstitution du pavillon du Cameroun et du Togo, comme un regard posé sur ce passé colonial.
Le Maroc et la Tunisie
Les trois entités du Maghreb présentes à l’Exposition bâtissent une image de l’Afrique du Nord française que les organisateurs veulent rendre cohérente. La conquête et la « mise en valeur » du Maroc demeurent l’œuvre, ici glorifiée, du maréchal Lyautey.
Pavillon du Maroc, carte postale, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
Le pavillon du Maroc, un ensemble de bâtiments impressionnant, composé d’arcades, de galeries et de jardins, est destiné à mettre en valeur vingt ans de colonisation française dans la « colonie protégée » du maréchal Lyautey. L’intérieur donne une idée des variétés du Maroc avec ses différents paysages, peuples et cultures. Le salon d’honneur rappelle par son plafond les riches demeures de Fès. Une salle dédiée à la « pacification » — terme désignant la pax colonica maintenue par les forces de police et l’armée — doit faire comprendre aux visiteurs qu’après le temps de la conquête commence celui de la « mise en valeur » et qu’ils ont devant eux un « pays neuf ». Le pavillon de la Tunisie promeut le dépaysement et cherche à mettre en avant le négoce avec les souks de Tunis. Le résident général Manceron et le commissaire général du pavillon Geoffroy-Saint-Hilaire ont voulu innover en célébrant à cette occasion le cinquantième anniversaire du protectorat français sur le pays (1881).
Souks tunisiens, photographie, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
Au centre du pavillon, un incontournable minaret, qu’entoure un « dédale de souks » reconstitué — symbole partagé de l’exotisme colonial — avec de « longs couloirs voûtés » et des dizaines de boutiques, offrant aux visiteurs la fiction d’un voyage au cœur de la « Cité des Beys ».
L’Algérie et les États du Levant
Pour symboliser l’Algérie, un pavillon imposant est construit au centre de l’espace nord- africain. Une grande coupole de vingt-sept mètres de haut domine l’ensemble avec, à ses côtés, un minaret puis deux autres coupoles. Le tout est recouvert d’une façade ornée de faïence brune et or. L’ensemble, majestueux, est entouré d’un jardin, de terrasses et de bassins.
Pavillon de l’Algérie, photographie, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
Ceci, précise un guide, afin de donner une « leçon » sur ce qu’a pu produire « un siècle de travail et de civilisation » dans ce « prolongement naturel de la France continentale », dans la continuité du centenaire de la conquête de l’Algérie commémoré l’année précédente. La fiction de l’acceptation unanime de la domination française sur les « indigènes » est évidemment démentie par le mouvement nationaliste algérien qui s’affirme en ce début des années 1930. Plus loin sur la ceinture du lac Daumesnil, le pavillon des États du Levant présente les deux mandats français du Moyen-Orient, la Syrie et du Liban. Dans un style composite, c’est une tentative d’imitation du palais Azem de Damas.
Le pavillon de la Syrie et du Liban, carte postale, éditions Braun & Cie, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
Dans un vestibule, ont été placés un sarcophage du roi Ahiram et les résultats de fouilles archéologiques illustrant ironiquement l’action de la France pour la « sauvegarde » des civilisations anciennes. La salle de la « République libanaise » reconstitue le décor d’un salon du palais de Beit-ed-Dine où Lamartine a été reçu par l’émir Béchir, au milieu de collections de manuscrits et de peintures anciennes. Enfin, la salle du Gouvernement de Lattaquié présente rétrospectivement les croisades de façon largement illustrée — faisant le lien entre celles-ci et les mandats sur les États du Levant reçus par la France après la Première Guerre mondiale. Alors que la situation juridique des deux territoires est très différente des autres colonies, la manière de mettre en scène ce pavillon donne le sentiment aux visiteurs de sa totale appartenance à l’ensemble colonial français comme à la chrétienté occidentale.
Rendez-vous à l'exposition
Visite en famille, photographie, 1931. © NARA
Les visiteurs de l’Exposition
Il s’agit de la manifestation coloniale qui a reçu le plus de visiteurs au monde et la principale manifestation parisienne du siècle. Près de trente-trois millions de tickets sont en effet vendus (sans compter les invitations gratuites et les faux billets). Selon les estimations, entre huit et dix millions de visiteurs s’y sont pressés (dont 40 % de provinciaux et 15 % d’étrangers). Si beaucoup ne sont venus qu’une seule fois, un grand nombre de Parisiens y sont retournés à plusieurs reprises afin de revisiter les pavillons ou pour assister aux spectacles quotidiens. Les trois journées de clôture ont, à elles seules, attiré plus de 750.000 visiteurs à l’Exposition. Les 14 juillet et 15 août 1931 ont été aussi des journées de forte affluence, avec plus de 500.000 personnes par jour. Toutes les classes sociales sont fascinées par cette exposition, montrant ainsi la puissance de l’idée coloniale et l’attirance pour l’exotisme dans la société tout entière.
Les animations de l’Exposition coloniale internationale
Calendrier des fêtes à l’Exposition coloniale, couverture, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
L’Exposition est un « spectacle permanent » comme la précise le journal L’Illustration. En premier lieu, les restaurants — comme l’Auberge hawaïenne et son orchestre de jazz « indien » dès l’entrée de la visite — sont des lieux d’attraction quotidienne. En outre, jour et nuit, un programme de « fêtes » accompagne les visiteurs, entre les embarcations exotiques sur le lac, le théâtre hindou, les danseuses du Cambodge ou le théâtre malgache. Les enfants ne sont pas oubliés avec des spectacles de Bécassine aux colonies, entre autres.
Chaque soir, une « Féerie de lumière » et « Nuits coloniales » proposent des tableaux nocturnes, véritables spectacles de sons et lumières. Les plus célèbres attractions hydro-lumineuses attirent des dizaines de milliers de visiteurs chaque soir, notamment la fontaine du Cactus, qui se dresse tel un bijou ciselé, et l’illumination sur le temple d’Angkor Vat. Ce dernier apparaît successivement éclairé en rouge, violet, vert et or puis le soir, auréolé d’une lumière dorée, par quatre puissants projecteurs. Au centre du lac Daumesnil, c’est un tour de force lumineux qui fascine les Parisiens. L’île mystérieuse de Bagdad met en valeur les végétaux exotiques grâce à des lumières très douces. Sur la grande allée circulaire, d’immenses appareils dits « chenilles » projettent deux éclairages décoratifs et intenses : l’un dirigé vers les arbres, l’autre vers la chaussée. C’est donc un ensemble spectaculaire d’effets d’eau et d’éclairage mettant en valeur l’architecture de chaque pavillon et ses détails subtils qui fascine les visiteurs.
À gauche : Voitures Marouf, mode de transport confortable et très économique pour visiter facilement l’Exposition, carte postale, éditions Braun & Cie, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac À droite : les illuminations de la section des colonies françaises. L’Illustration, autochrome de Léon Gimpel, 1931 [mai]. © Coll. Groupe de recherche Achac
Du zoo de 1931 à la nouvelle installation de 1934
Dès le début de l’Exposition coloniale internationale, le Parc zoologique du Bois de Vincennes (aujourd'hui Parc zoologique de Paris) est une attraction populaire qui accueille une foule nombreuse venue s’émerveiller devant les animaux révélés dans un cadre plus naturel suggérant une « liberté apparente », séparés des visiteurs par des fossés et des grilles que cachent des arbres. Les visiteurs, éblouis car n’ayant qu’une vague idée de la réalité des paysages évoqués, pensent y découvrir les environnements naturels des territoires coloniaux. Le zoo jouit d'un soutien unanime des médias. Daniel Rops dans le Journal des Débats du 2 juillet 1931, écrit : « L’Exposition achevée, la question qui se pose est celle de la démolition du zoo : renverra-t-on les animaux ou bien dotera-t-on Paris d’un parc zoologique ? »
À gauche : Des visiteurs au Parc zoologique, photographie, 1931. © NARA À droite : Ministère des Colonies. Visitez le musée de la France d’outre-mer et son aquarium, affiche signée Marcel Mouillot, imprimerie Courbet Paris, 1937. © Coll. Groupe de recherche Achac
À sa fermeture, plusieurs plaidoyers sont publiés en faveur de la réalisation d'un parc zoologique permanent à proximité de Paris. Ainsi, un an plus tard, en 1932, lorsque que la Ville de Paris veut transformer le zoo en parc pérenne, le conseil municipal doit trancher entre deux projets concurrents : un aménagement des structures existantes, présenté par l'ancien directeur du zoo, Henri Thétard, et un projet plus ambitieux, émanant du Muséum. Dans les deux cas, il est question d'aménager le Parc zoologique du Bois de Vincennes en centre de recherche et d'éducation populaire. Inauguré en 1934, le Parc zoologique de Vincennes (aujourd'hui Parc zoologique de Paris) est alors considéré comme le plus important d’Europe ; son appartenance au Muséum national d’histoire naturelle rend crédible son rôle pédagogique et lui permet de développer sa mission scientifique. Un an plus tard, en 1935, un aquarium est ouvert au public au sous-sol du Musée des colonies.
Les arts coloniaux
La vente du casque colonial, photographie de l’agence Meurisse, 1931. © NARA
Publicité et marques coloniales
Les plus grandes marques et entreprises de l’époque sont omniprésentes au Bois de Vincennes et elles diffusent des produits dérivés gratuitement au sein de l’Exposition ou dans la capitale. Des cendriers, calendriers, éventails, brochures, plans, canifs, assiettes, disques, porte-clés, jeux de cartes sont fabriqués à des centaines de milliers d’exemplaires. L’univers de la publicité est également fortement influencé. La liste est impressionnante : Banania, Byrrh, Coty, Cointreau, La Vache qui rit, les Comptoirs africains, Julien Damoy, Menier, Lesieur, Frigéco, Frigélux, Lincoln, Suze, Ford, Delahaye, Citroën, Peugeot, Galeries Lafayette, Messageries Hachette, Columbia… C’est une ambiance au ton colonial qui marque également de son influence l’ensemble de la publicité presse tout au long de l’année 1931.
Le palais des Beaux-Arts
Dans la partie nord-est du Bois de Vincennes, loin des autres pavillons de la section métropolitaine des boulevards Soult et Poniatowski, se dresse l’immense palais des Beaux- Arts. C’est un bâtiment de 1.000 m2 avec, en son centre, un patio suivi d’une sorte de salle d’honneur qui présente des artistes contemporains et les rapports qu’ils entretiennent avec l’outre-mer. C’est un édifice rectangulaire de quarante mètres sur vingt-cinq mètres qui donne toute la mesure de la création artistique coloniale de l’entre-deux-guerres.
À gauche : Pavillon des Beaux-Arts, photographie, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac À droite : La manufacture nationale de Sèvres présente une collection d’œuvres céramiques, vases et sculptures d’inspiration coloniale…, dépliant publicitaire, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
Le visiteur y découvre sculptures, motifs décoratifs, peintures, dessins, reflétant l’influence des colonies sur l’art contemporain. À côté de la peinture et des « arts primitifs », le mobilier et la sculpture sont deux arts omniprésents au Bois de Vincennes. Beaucoup d’artistes travaillent pour les organisateurs de l’Exposition, on peut notamment citer : pour les ferronneries Edgar Brandt, Schenk et Jean Prouvé, pour les fresques Pierre Ducos de la Haille, Louis Bouquet, André et Ivanna Lemaître, ainsi que pour le mobilier des salons du Musée permanent des Colonies, Jacques-Émile Rulhmann et Eugène Printz. Beaucoup d’artistes se retrouvent également au sein de pavillons spécifiques, faisant de l’Exposition à la fois un rendez-vous propagandiste sans pareil, mais aussi un des sommets des arts décoratifs, qui marque un tournant majeur dans l’affirmation de ce style au cours de l’entre-deux-guerres.
La Croisière noire et les Bois coloniaux
Le palais des Bois coloniaux, situé dans la section métropolitaine, abrite le matériel et les procédés des industries forestières ainsi que leurs produits. Dans la cité de l’Information, le mobilier en bois exotique connaît un succès sans précédent… Aux côtés des Bois coloniaux, l’autre espace qui fascine les visiteurs est sans conteste celui dédié à la Croisière noire. Avec la traversée du Sahara, deux ans avant la Croisière noire, Georges-Marie Haardt, directeur général de Citroën, et Louis Audoin-Dubreuil, officier et explorateur, ont voulu apporter la preuve que l’automobile est bien le moyen de locomotion idéal pour relier l’Afrique du Nord à l’Afrique occidentale.
À gauche : « Pavillon des Bois coloniaux », 60 aspects de l'Exposition coloniale internationale, photographie de Maurice Cloche, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac À droite : La Croisière noire, affiche du film de Léon Poirier, 1926. © Coll. part.
Gaston Doumergue, président de la République, soutient alors l’intérêt d’une liaison régulière transafricaine. Cette expédition va, en 1924-1925, permettre à huit autochenilles équipées d’un dispositif de propulsion Kégresse avec bandes de roulement en caoutchouc de parcourir 28.000 km à travers l’Afrique. Georges-Marie Haardt traverse ainsi avec son équipe l’Algérie, le Niger, le Tchad, l’Oubangui-Chari (actuelle République centrafricaine) et le Congo belge. Arrivée à Kampala, l’équipe se partagera en quatre groupes qui rallieront l’océan Indien et Tananarive, chacun par un circuit différent. En souvenir de ce raid et de son immense médiatisation, un espace rétrospectif est proposé aux visiteurs dans l’enceinte de l’Exposition coloniale internationale. Partout dans l’Exposition, les marques à l’image de Citroën sont omniprésentes.
Les pavillons étrangers
British Empire Exhibition [Exposition coloniale de Wembley, Grande-Bretagne], affiche signée Spencer Pryse, 1924. © Coll. part.
Les empires coloniaux absents
Le maréchal Lyautey rêve de la présence de toutes les puissances coloniales au Bois de Vincennes pour faire de l’événement un succès sans précédent et la plus grande exposition coloniale au monde. L’un de ses grands objectifs est de convaincre l’Empire britannique de venir. Ce dernier refuse, prétextant les coûts énormes d’une telle présence et la dette contractée depuis l’organisation de l’Exposition coloniale de Wembley en 1925 (avec ses vingt- sept millions de tickets vendus). Tout au plus, Lyautey parvient-il à mettre en place un pavillon de l’Hindoustan, celui de la Palestine et une présence britannique fort modeste au sein de la Cité de l’information. L’Espagne qui refuse de financer un pavillon, le Japon qui ne veut pas se « mélanger » avec les empires coloniaux européens — et qui déclenchera, en septembre 1931, la conquête de la Mandchourie — et l’Allemagne qui n’a plus de colonies, se font également remarquer par leur absence.
La Belgique, l’Italie, la Palestine et l’Hindoustan
La Belgique, « fidèle amie et alliée de la France », occupe une place de choix au sein de l’Exposition : son imposant pavillon — racheté par un industriel belge et remonté à Maisons- Laffitte à l’issue de l’Exposition, puis de nouveau démonté en 2001 et transporté au château de la Rocq en Belgique — est placé à proximité des colonies françaises.
Entrée de la section belge, carte postale colorisée, éditions Braun & Cie, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
Autour d’une cour intérieure, trois « ensembles congolais » ont été reconstitués. Le pavillon d’honneur, constitué d’une immense vasque pavée de marbre soutenue par des pylônes met en exergue « l’étoile du Congo ». Autour, des panoramas rappellent l’entreprise coloniale déployée sur le territoire, mais taisent la violence extrême de cette conquête et le scandale du « caoutchouc rouge », lorsqu’entre 1885 et 1908 des dizaines de milliers de Congolais furent tués ou mutilés pour « insuffisance » de productivité dans l’exploitation du caoutchouc. Dans le pavillon suivant, la modernité des infrastructures et voies de communication est confrontée à l’archaïsme du pays. Les visiteurs découvrent la reconstitution d’un navire qui assure le service sur le « grand fleuve » et celle d’un village « indigène ».
À gauche : L’un des pavillons de l’Italie, photographie, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac À droite : « Pavillon de la Palestine », 60 aspects de l'Exposition coloniale internationale, photographie de Maurice Cloche, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
Suivant la route de ceinture du lac Daumesnil, apparaît ensuite la section italienne. L’Italie fasciste joue sur deux registres : le grand retour à la Rome antique et impériale et la mise en relief de son empire colonial au même titre que les autres grandes puissances. La basilique sévérienne de Leptis Magna a été reconstituée afin de montrer comment la Rome impériale a imposé sa religion, sa culture et sa civilisation sur la rive sud de la Méditerranée, dévoilant le projet impérial du fascisme. Le pavillon de Rhodes reproduit les demeures des chevaliers croisés de l’ordre de Jérusalem. Un troisième pavillon de conception moderniste et futuriste présente une image d’ensemble des colonies italiennes. Enfin, la participation de la Palestine à l’Exposition est une nouveauté, voulue par le sénateur Justin Godart, président du Comité France-Palestine. À travers quatre salles, ce pavillon – comme celui de l’Hindoustan – est une manière de répondre à l’absence des Britanniques et distinguer ce territoire sous mandat, présenté comme dépendant exclusivement de la Société des Nations.
Le Portugal, le Danemark et les États-Unis
Le Portugal a élevé quatre pavillons au style représentatif du XVIe siècle, âge d’or des découvertes portugaises. Ces constructions tenant à la fois du palais et de la forteresse sont surmontées de tours crénelées au sommet desquelles flotte l’étendard à croix rouge employé par les navigateurs de l’époque. Deux de ces pavillons sont réservés à l’histoire des voyages et conquêtes. Les représentations en relief de « l'Afrique » et de « l’Océanie » exposées sont aujourd’hui conservées au musée des Années 30 à Boulogne-Billancourt. Dans les deux autres pavillons, sont présentés tous les produits des colonies portugaises. Dans le pavillon du Danemark consacré au Groenland, une variété de fourrures et de peaux ainsi que des castors et des ours blancs sont donnés à voir. Les panoramas présentant les étendues glacées montrent une forme de « colonisation » assez éloignée des autres présences au Bois de Vincennes.
À gauche : Exposition coloniale internationale. Mount Vernon, maison de Washington, carte postale, éditions Braun & Cie, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac À droite : « Pavillon du Danemark », 60 aspects de l'Exposition coloniale internationale, photographie de Maurice Cloche, 1931. © Coll. Groupe de recherche Achac
Le pavillon hollandais – qui dut être reconstruit en sept semaines après un incendie —, composé de deux tours de onze étages (50 mètres), est considéré comme un des joyaux de l’Exposition. D’architecture malaise, il présente de riches bas-reliefs ainsi que des reproductions à l’identique de maisons de l’île de Sumatra afin de montrer aux visiteurs la richesse de la Malaisie. À ses côtés, le pavillon des États-Unis, qui est la reconstitution de la maison dans laquelle George Washington reçut le marquis de La Fayette à Mount Vernon, a la forme d’une maison-type de planteur de l’époque coloniale, en bois, entourée de marronniers. C’est une manière de mettre en avant le « colonialisme à l’américaine » et de présenter les différents territoires sous son contrôle comme Porto Rico, les Philippines, les Îles Vierges ou encore les Îles d’Hawaï.
Pour aller plus loin
- Catherine Hodeir, Michel Pierre, L’Exposition coloniale de 1931, Archipoche, Paris, 2021.
- Sandrine Lemaire, Nicolas Bancel, Dominic Thomas, Pascal Blanchard, Alain Mabanckou, Colonisation & propagande. Le pouvoir de l'image, Le Cherche Midi, Paris, 2022.
- Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Laurent Gervereau, Images et colonies, BDIC/ACHAC, Paris, 1993.
- Gilles Boëtsch, Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire, Nicolas Bancel (dirs.), Culture coloniale en France. De la Révolution française à nos jours, CNRS Éditions, Paris, 2008