Contamination métallique dans l’estuaire de la Gironde

Découverte du ROCCH : la contamination métallique en Gironde

1979 : première campagne

Depuis un demi-siècle, le ROCCH ( Réseau d’Observation des Contaminants Chimiques ), ex RNO (Réseau National d'Observation) suit la contamination chimique des littoraux français.

Les moules (et d’autres bivalves) concentrent naturellement les contaminants lorsqu’elles filtrent l’eau pour se nourrir. Leur capacité à éliminer naturellement les contaminants ingérés est faible. Cette caractéristique fait des moules de bonnes sentinelles de la contamination chimique. Le principe de ce suivi basé sur l’analyse de la chair de moules a été baptisé « Mussel Watch ».

Début 1979, se déroule la première campagne de suivi sur bivalves. Différents prélèvements de moules et d’huîtres sont réalisés le long du littoral entre la frontière belge jusqu’à la Corse.

Sur l’ensemble de l’année, plus de 200 échantillons sont prélevés sur 81 lieux de surveillance. 14 contaminants chimiques différents sont analysés sur chaque échantillon, soit un total de 3038 données exploitables sur l’année 1979. Parmi les paramètres analysés, le cadmium (un métal toxique à faible dose pour le vivant) est détecté à de très fortes concentrations dans

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Une concentration plus élevée en baie de Marennes-Oléron et estuaire de la Gironde 

La représentation graphique ci-contre permet d’illustrer ces concentrations anormales. En comparant les concentrations en cadmium des moules à celles des huîtres prélevées en 1979, il apparaît une différence claire pour le secteur « Baie de Marennes-Oléron, estuaire de la Gironde ». Les bivalves avec les teneurs les plus basses sont jusqu’à 100 fois moins concentrés que les huîtres girondines.

Retrouver la source : étude de la contamination en 1983

Au vu des teneurs en cadmium observées dans la chair des huîtres prélevées en Gironde en 1979, deux hypothèses sont formulées en 1983 sur l’origine de ces très fortes valeurs :

  1. Existence en Gironde de conditions particulières qui favorisent l’accumulation du cadmium par les huîtres ;
  2. Transit rapide de sédiments très chargés en métaux (lors de crues) qui mettent de fortes quantités de métaux à la disposition des huîtres qui les accumulent.

Pour répondre à ces questions, l’étude menée en 1983, s’est intéressée d’une part à la répartition des teneurs en cadmium dans différents gisements d’huîtres répartis sur les deux rives de la Gironde entre Bonne Anse et Talmont et d’autre part à la comparaison des teneurs entre moules et huîtres sur un site de la Gironde (La Chambrette près du Verdon) où les deux espèces sont simultanément présentes. Il ressort de cette étude :

  • que tous les gisements girondins présentent des teneurs (105 mg/kg à Royan) très supérieures à celles que l’on rencontre habituellement dans les huîtres du littoral français (1 à 2 mg/kg à Arcachon) avec un gradient croissant de l’aval vers l’amont (50 mg/kg de cadmium vers l’embouchure à 150 mg/kg à Talmont 25 km en amont) ;
  • que les moules de la Chambrette présentent des teneurs en cadmium 3 à 4 fois plus faibles que les huîtres du même site (20 à 30 mg/kg pour les moules, 58 à 101 mg/kg pour les huîtres) mais tout de même très supérieures aux teneurs de moules sur d’autres sites (1.5 mg/kg dans les moules à l’embouchure de la Loire).

Par ailleurs, d’autres travaux mettent en évidence des sédiments particulièrement chargés en métaux dans la zone fluvio-estuarienne en amont.

Campagnes de 1984-1985

Les études suivantes s’intéressent :

  • aux échanges de cadmium entre les différents compartiments du milieu (eau / particules en suspension / sédiment déposé au fond),
  • à l’extension de la contamination à l’extérieur de la Gironde sur le plateau continental,
  • et à l’identification de l’origine des apports de cadmium.

Au cours des deux campagnes océanographiques CAGIMA I du 26 juin au 3 juillet 1984, CAGIMA II du 20 février au 5 mars 1985, le dosage du cadmium est réalisé directement dans l’eau et le sédiment pour faire un bilan géochimique dans l’estuaire et évaluer les exportations vers l’extérieur. L’eau est prélevée selon des radiales de la côte vers le large de l’estuaire et dans les pertuis charentais.

Une troisième campagne INTERSITE III du 30 août au 12 septembre 1985 ne concerne que l’estuaire.

La zone d’influence du panache contaminant de la Gironde, plus importante en hiver (résultat de CAGIMA II) qu’en été (conditions de CAGIMA I) concerne les abords immédiats de l’embouchure, vers le nord des pertuis charentais mais pas au sud, et plutôt les eaux de surface.

Ces campagnes confirment que le cadmium vient de l’amont et que les fortes teneurs datent de quelques dizaines d’années avec de fortes concentrations retrouvées dans les couches âgées de 30 à 40 ans [avant 1985]. Elles montrent que le cadmium arrive de l’amont lié aux particules et sort de l’estuaire sous forme dissoute sous l’effet de la salinité selon le principe Adsorption - Désorption - Dilution.

Étude des bassins du Lot et du Riou Mort au début de l’année 1986

Les apports du bassin versant ont fait l’objet d’une étude spécifique au début de l’année 1986, concernant un site soupçonné d’être à l’origine de la contamination au vu de données connues de l’agence de l’eau Adour-Garonne : le Lot entre Cahors et la confluence du Riou Mort, et le Riou Mort lui-même contaminé par les installations industrielles de Viviez.

Cette étude révèle des teneurs en cadmium normales dans les sédiments en amont du Riou-Mort et plus de 10 fois plus fortes en aval immédiat de Viviez et dans des sédiments prélevés sur le Lot, plus de 70 km en aval de Viviez (Saint Géry) sans qu’une autre source de contamination potentielle puisse être incriminée entre le Riou Mort et Saint Géry.

Les concentrations en cadmium particulaire (lié aux particules en suspension) sont multipliées par 20 entre l’amont de la confluence du Lot avec le Riou Mort et l’aval.

Des analyses simultanées d’autres métaux pointent l’origine de cette pollution vers les effluents de l’usine de Vieille Montagne (à Viviez) ou vers le lessivage d’anciens crassiers. Les conclusions de l’étude insistent sur la nécessité d’investigations plus poussées pour évaluer le stock de cadmium présent dans la zone industrielle de Vieille Montagne.

Une étude menée en 1986 par l’ANRED et la DRIR Midi Pyrénées a établi que la pollution importante du Lot par le cadmium et le zinc est due en grande partie au crassier constitué au cours de plus de 100 ans d’activité plutôt que de l’usine elle-même dont les rejets sont surveillés. Le cadmium est transféré du crassier dans la nappe alluviale par infiltration des eaux de pluie et la contamination se transmet au ruisseau Enne qui rejoint le Riou mort, affluent du Lot.

Point historique sur l’activité industrielle de Viviez

Le bassin industriel de Decazeville s’est développé dès le début du XIXème siècle autour de l’exploitation des mines de charbon et de gisements de minerai riches en métaux.

L’usine de Viviez a été construite en 1855 pour produire du zinc brut à partir des gisements de minerai zincifère. Cette activité perdure sur les bords du Riou Mort jusqu’en 1987.

Le laminoir construit en 1969 fonctionne encore aujourd’hui et une unité de production de zinc pré-patiné a remplacé la production du zinc brut depuis 1987 à Viviez, présentée comme le plus important site de production de zinc pré-patiné mondial depuis son augmentation de capacité de production en 2006.

Viviez, ensemble des usines de Vieille Montagne

Fours à zinc, Viviez, usine de Vieille Montagne

Évolution de la contamination dans l'estuaire depuis 1979

Le lien est établi entre la contamination métallique de l’estuaire de la Gironde découverte en 1979 par le ROCCH et une pollution métallique historique du Lot en lien avec la production industrielle de zinc dans la zone industrielle de Viviez.

Deux accidents survenus dans les années 1980 dans l’unité de production de zinc de Viviez aggravent la pollution du Lot :

  • le premier en juillet 1983, par le rejet de 500 000 litres d’acide dans le Riou Mort suite à la rupture d’une cuve ;
  • le second en juillet 1986, par la rupture de deux canalisations et le déversement de 13 000 m 3  de boues chargées en zinc et cadmium dans le Riou Mort.

Le ROCCH détecte une augmentation brutale des teneurs en cadmium dans les huîtres à La Fosse.

Suivis des concentrations en cadmium dans les cours d’eau et dans l’estuaire

Les teneurs en cadmium dans les cours d’eau et les huîtres sont suivies régulièrement. Les concentrations instantanées mesurées à l’automne dans l’eau (source : base de données  Naïades ) et les concentrations mesurées dans la chair d’huîtres en hiver (source : ROCCH banque  Quadrige ) sont comparées ci-dessous aux seuils réglementaires en vigueur à trois périodes clés du suivi de la contamination de l’estuaire depuis sa découverte en 1979.

1979 L’état initial identifié par le ROCCH

1986 Après le déversement d’effluents chargés en métaux lourds dont le cadmium.

2018 Une baisse de la contamination est observée mais les seuils réglementaires restent cependant bien dépassés.

Remédiation

En 2003 une  étude globale des déchets de l’ensemble des activités historiques de l’activité de l’usine de Viviez  est lancée pour évaluer l’impact de la contamination. Elle produit des recommandations pour remédier à la contamination qui conduisent à l’extraction des sols pollués des quatre sites de stockage très contaminés et le transfert dans un site de stockage des déchets dangereux sécurisé (imperméabilisation du site d’enfouissement pour empêcher la contamination des eaux par les lixiviats) pour un volume total de plus de 2 millions de m 3  de matériau. L'opération s’est déroulée jusqu’en 2016. Les sites extraits sont remis en état et la végétalisation des dépôts est prévue en fin de remplissage.

En 2019, une demande est déposée pour étendre l’excavation des sols pollués aux terres des jardins de Viviez contaminés par les métaux lourds issus de l’activité industrielle.

L'ancienne mine de La Découverte et son chevalement

La zone de Viviez entre 1950-1965 et de nos jours►

Impact du cadmium sur l’activité ostréicole

1995

Classement en D des zones ostréicoles de l'estuaire de la Gironde au titre de la directive européenne 91/492 sur la base des concentrations en cadmium mesurées dans les huîtres par le ROCCH. Ce classement interdit la récolte de coquillages pour la consommation immédiate, le reparcage et la purification. La suspension de l’activité touche une dizaine d’établissements ostréicoles et concerne 672 ha de parcs d’élevage sur la rive gauche de la Gironde. Sur la rive droite, l’activité historique de prélèvement des huîtres sur les rochers pour garnir les parcs ostréicoles s’arrête.

2000 - 2001

Réalisation par l’université de Bordeaux d’  une première étude de 15 mois (de mai 2000 à décembre 2001) dans un bassin du Nord Médoc   sur la contamination en métaux lourds (Cd, Cu, Zn, Hg) de trois espèces de bivalves consommés :  l’huître creuse (Crassostrea gigas), la coque (Cerasdoterma edule) et la palourde (Ruditapes philippinarum). Elle débouche sur une autorisation de production et de récolte des coquillages fouisseurs.

2010

Seule l’activité de captage de naissain (huître juvénile d’une taille inférieure à 1,5 cm) est autorisée dans la baie de Bonne Anse.

2011

Dans un contexte de mortalités d’huîtres importantes partout en France et de la rareté de la ressource, les ostréiculteurs souhaiteraient reprendre l’exploitation des huîtres de l’estuaire de Gironde, car ce site représente un tonnage très conséquent.

Des éleveurs de crevettes du Nord Médoc prennent l’initiative d’une étude du stockage d’huîtres de taille commerciale en provenance d’Arcachon (secteur indemne de contamination au cadmium) pour appuyer une demande d’assouplissement de l’interdiction de l’activité ostréicole à l’embouchure de la Gironde visant à autoriser un stockage de 3 mois des huîtres vendables dans leurs claires afin de développer cette activité en parallèle de l’élevage de crevettes.

2012 - 2014

Une nouvelle étude réalisée par l’université de Bordeaux dans les Marais du Nord Médoc vise à tester l’affinage des huîtres, en évaluant le potentiel de décontamination dans le marais par rapport à l’estuaire de la Gironde. En conclusion, les huîtres affinées 6 mois ont montré une bonne croissance et présentent des concentrations en cadmium compatibles avec la consommation humaine. En 2014, l es bassins du Nord Médoc sont classés B  , la récolte et la mise sur le marché des huîtres devient possible après passage en bassin de purification.►

D’autres contaminations métalliques révélées par les échantillons du ROCCH

Les échantillons collectés chaque année sont conservés à l’état lyophilisé dans une banque d’échantillons.

La mytilothèque de l'Ifremer

La première campagne ROCCH s’est intéressée à 5 métaux connus pour leur toxicité potentielle sur les organismes vivants : le cadmium, le plomb, le mercure, le zinc et le cuivre. Les progrès dans la maîtrise technique des méthodes d’analyse a permis ensuite d’ajouter à cette liste de nouveaux éléments également préoccupants, comme l’argent.

A partir des échantillons de la banque, une  étude rétrospective des teneurs en argent  dans les huîtres de l’estuaire de la Gironde, menée par l’université de Bordeaux et l’Ifremer en 2011 montre jusqu’au début des années 1990 une évolution parallèle de la concentration en argent et en cadmium des huîtres. Ce constat permet de relier les deux métaux à une même origine : la contamination du Lot par l’activité de l’usine de Viviez.

Les concentrations en argent mesurées à partir de 1993 montrent en revanche des valeurs plus élevées qui impliquent des sources additionnelles d’argent. Une hypothèse, déjà formulée pour la Seine, relierait ces teneurs importantes en argent à l'activité photographique argentique qui a connu un développement important dans les années 1990-2000, avant de s'effondrer en 2005 face à la concurrence de la photographie numérique. Puis, pour expliquer les concentrations plus élevées mesurées à partir de 2007, une autre source d'argent dans l'estuaire est envisagée : l'iodure d'argent utilisé dans les dispositifs anti-grêle installés dans les vignobles du Bordelais.

Sources

La contamination au cadmium de la Gironde

La contamination au cadmium de l’amont : Lot et Riou Mort

La contamination par l’argent

Étude de la bioaccumulation dans les marais du Nord Médoc

Crédits

Conception

Mathilde Duval

Appui scientifique

Anne Grouhel-Pellouin

Réalisation

Sylvain Vandoolaeghe

Viviez, ensemble des usines de Vieille Montagne

Fours à zinc, Viviez, usine de Vieille Montagne

La mytilothèque de l'Ifremer

L'ancienne mine de La Découverte et son chevalement