
Analyse des données climatiques et thermiques - Salluit
Produit par le Centre d'études nordiques (CEN), Université Laval
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Consult the English version: Climate and ground temperature monitoring data - Salluit
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Introduction
Les données sur le climat et la température du sol enregistrées à Salluit depuis 2002 sont présentées sous forme de tableaux et de graphiques. Cette section présente une synthèse récente des données de température de l'air, la vitesse et la direction du vent, les précipitations (pluie et neige), différents indices climatiques et la température au sol.
Le rapport Caractérisation géotechnique et cartographie améliorée du pergélisol dans les communautés nordiques du Nunavik (2020) produit par le CEN pour le ministère des Affaires municipales et de l'Habitation (MAMH) présente une analyse complète des données disponibles pour le village de Salluit.
Les principaux objectifs de ce rapport sont de (1) prédire l'évolution du pergélisol selon les prévisions et scénarios les plus probables de changements climatiques et (2) d'évaluer les risques posés par le réchauffement des températures de l'air et par l'impact potentiel de certaines années extrêmement chaudes, si elles devaient se produire à court terme [1].
Synthèse des instruments de suivi à Salluit.
Carte
Localiser les stations de suivi
Localisation des instruments de suivi climatique et du pergélisol à Salluit, Nunavik. Cliquer sur une station de suivi pour voir ses détails. Pour voir la légende, cliquer sur le rond blanc dans le coin gauche.
Suivi du climat
Le réseau de sites de surveillance SILA (qui signifie climat en inuktitut) a été construit au fil des ans par le Centre d'études nordiques (CEN). Ce réseau comprend environ 100 stations (stations météo et stations équipées de câbles à thermistances pour le suivi du pergélisol) qui sont réparties dans 8 zones bioclimatiques du nord du Québec et de l'est de l'Arctique canadien. Le réseau SILA a pour objectif de caractériser, de quantifier et d'évaluer les changements climatiques et leurs impacts dans ces régions [4].
Les données présentées ci-bas seront publiés dans Allard et al. (sous presse) [1].
Précipitations
La mesure des précipitations permet de suivre les impacts du climat sur la quantité de pluie et de neige, sur une période plus ou moins longue. Pour faire une analyse pertinente, il est important de considérer le pourcentage de couverture des données d'une année à l'autre, c'est-à-dire de savoir pour combien de temps de l'année les données sont-elles disponibles.
Vous trouverez ci-dessous la quantité de pluie annuelle, de neige annuelle et le total des deux types de précipitations à Salluit de 2014 à 2018 (Environnement Canada, 2018). Les valeurs des précipitations sous forme de neige sont calculées (équivalent en cm) lorsque la température de l'air est inférieure à 0°C et sous forme de pluie (mm) lorsque la température de l'air est supérieure à 0°C.
Précipitations en pluie avec l'équivalent en neige pour la période 2014-2018.
En regardant le total annuel, l'interprétation des données suggère une diminution de la quantité de précipitations. Or, la période de couverture des données n'est que de 61% et 73% pour les années 2016-2017 et 2017-2018. Le total annuel est donc beaucoup moins précis que pour les deux années précédentes ayant une couverture de 92%.
Précipitations totales journalières d'octobre 2014 à août 2018 et précipitations mensuelles (total, mm) par année climatique de 2014 à 2018. Les zones grises indiquent les discontinuités dans les séries d'Environnement Canada.
Indices climatiques
Les indices climatiques sont des valeurs calculées et ont plusieurs utilités. Ils peuvent donner la température moyenne de l'air, mais aussi la période de l'année où le sol commence à geler ou à dégeler. Par exemple, ces indicateurs sont pertinents pour l'aménagement du territoire, pour identifier le début et la fin de la saison de construction. L'indice de gel (FI) et l'indice de dégel (TI) sont des indicateurs importants utilisés dans la prédiction du risque de glissement de terrain.
Vous trouverez ci-dessous des tableaux récapitulatifs des températures atmosphériques enregistrées depuis 2002 et des indices climatiques correspondants, indiquant les dates de début et de fin de la saison de gel et de la saison de dégel, leur durée, la moyenne climatique annuelle, les indices de gel (Fi) et de dégel (Ti), ainsi que le rapport entre ces deux indices (Fi/Ti).
Rappel : Lorsqu'il est fait mention de « année climatique », il faut se référer à une période d'un an, déterminée par le début et la fin des saisons de gel et de dégel. Il ne s'agit pas de l'année calendaire normale (de janvier à décembre).
L'indice de gel est la somme des degrés-jours négatifs, accumulés pendant la saison de gel (automne et hiver ; généralement d'octobre à mai). L'indice de dégel est donc la somme des degrés-jours positifs accumulés pendant la saison de dégel (printemps et été ; débutant fin mai-juin et se terminant mi-octobre).
Le facteur-n se définit comme le rapport entre les températures de surface et les températures de l'air. Le facteur-n est la donnée la plus pertinente pour évaluer les échanges de chaleur entre l'air et le sol au cours d'une saison donnée. Ces échanges complexes dépendent notamment du type de surface (par exemple, espace ouvert vs. sol ombragé) [9; 16].
Indices climatiques pour la période 2002-2018. Ces derniers donnent des informations sur le moment où le sol commence à dégeler et à geler chaque année [1; 16].
Le pergélisol
Étant donné l'abondance du pergélisol sensible et riche en glace dans la vallée de Salluit, il est essentiel de surveiller le sol sous nos pieds. Autrement, il serait difficile d'anticiper les perturbations majeures sur la stabilité des infrastructures et de faire une planification durable adaptée aux conditions particulières de la vallée. À Salluit, les enregistrements de température du sol dans les trous de forage qui sont équipés de câbles à thermistances permettent de suivre le dégel de la couche active (la partie du sol qui dégèle et gèle chaque année) et les changements de température du sol dans le village [1; 2].
Grâce aux nombreux forages équipés de câbles à thermistances, le CEN est en mesure d'observer et suivre l'évolution du pergélisol. Ces observations sont révélatrices des changements majeurs ou perturbations potentielles dues à la dégradation du pergélisol sujette d'engendrer des instabilités sur les infrastructures.
La température du sol et l'épaisseur de la couche active dépendent de différents facteurs.
La température du sol est directement liée à la température de l'air, mais aussi à la conductivité thermique des matériaux qui composent le sol (capacité du type de dépôt de surface à transférer la chaleur et à en perdre). Par exemple, le roc et les sols composés de particules grossières - sable, gravier - ont une conductivité thermique plus élevée, donc une couche active plus épaisse. En opposition, les sols composés de particules fines - silt et argile - ont une conductivité thermique plus faible : leur teneur en eau réduit le transfert de chaleur dans le sol. Par conséquent, le front de dégel progresse lentement et l'épaisseur de la couche active est plus mince [17].
La température du sol dépend également de la végétation et de la couverture de neige (un couvert de neige épais joue un rôle d'isolant sur le sol), de l'humidité dans le sol et du flux géothermique (la source de chaleur provenant des profondeurs de la Terre) [17].
Comment lire un graphique trompette
L'interprétation des données révèle le régime thermique du pergélisol dans un type de dépôts de surface et environnement donné. La lecture des données de température du sol est possible, notamment, grâce à leur visualisation dans les graphiques appelés « courbe trompette » ou « graphique trompette ». Ces graphiques indiquent quelle est l'épaisseur de la couche active (couche superficielle du sol qui dégèle chaque été et regèle chaque hiver) et quelle est la température du sol à différentes profondeurs.
Usage d'un graphique trompette pour lire le régime thermique du pergélisol ©Gauthier, 2020
Les lignes continues indiquent les températures maximales, minimales et moyennes mesurées pour une période donnée. Pour déterminer approximativement l'épaisseur de la couche active à l’aide d’un graphique trompette, il suffit d’observer la profondeur du sol (échelle verticale) à laquelle la température annuelle maximum est supérieure à 0 °C (échelle horizontale). Le sol au-dessus de cette profondeur est effectivement dégelé en fin d'été et correspond à la couche active. Cette limite entre la couche active et le pergélisol correspond au plafond du pergélisol.
Pour en apprendre davantage sur le pergélisol, sa distribution et les formes géomorphologiques observés en milieu périglaciaire, visiter la Story Map Découvrir le pergélisol .
Pour en savoir plus sur les termes techniques et les composantes du pergélisol, consultez le plus récent glossaire Multi-language Glossary of Permafrost and Ground-Ice terms révisé par l'International Permafrost Association (IPA) en 2005 (anglais seulement). Pour la traduction en français de ces termes peu communs, consulter le glossaire La terminologie de pergélisol et notions connexes , publié en 1988 par le Conseil national de recherches du Canada (CNRC).
Température du sol
Glissement de terrain
Le contexte géomorphologique de Salluit – pentes fortes, sédiments marins d’eau profonde riches en glace – rend le village vulnérable aux glissements de terrain de type [1; 2; 3; 15]
« décrochement de couche active ».
Décrochement de couche active à Salluit en 2010 (source : MTQ, 2017).
C'est quoi, un décrochement de couche active?
Un décrochement de couche active (active-layer detachment failure; Lewkowicz et Harris, 2005a) se définit comme un mouvement de masse soudain qui survient en zone de pergélisol.
Ce type de glissement de terrain est le plus commun en zone de pergélisol.Les décrochements de couche active impliquent le glissement de la couche active dégelée sur le matériel gelé que constitue le pergélisol en-dessous. L’épaisseur du glissement est contrôlée par le plafond du pergélisol [7; 13; 14].
Ces glissements de terrain sont les plus fréquents au Nunavik et trois événements sont survenus à Salluit, en 1998, 2005 et 2010 [2; 3; 15].
Quand surviennent-ils?
Les décrochements de couche active sont souvent déclenchés suite à une vague de chaleur, généralement à la fin de l’été [12].
- Lorsque l'épaisseur de la couche active dépasse celle de l'année précédente de plus de 9 % ;
- Lorsque le front de dégel pénètre la couche riche en glace (et fait fondre les lentilles de glace) au plafond du pergélisol ;
- Lorsque le cumul des degrés-jours de dégel dépasse celui de l'année précédente de plus de 30 % [15].
Certaines conditions doivent être respectées avant d'observer un RISQUE de glissement de terrain :
Ce type de glissement de terrain peut survenir sur des pentes aussi faibles que 2° [10; 12; 13; 14; 15].
Et pourquoi ça?
Parce qu'une vague de températures chaudes à la fin de l'été génère une progression rapide du front de dégel, qui pénètre encore plus en profondeur et engendre le dégel des lentilles de glace dans la partie supérieure du pergélisol (au plafond du pergélisol) [13; 14; 15; 7]. Sans vague de chaleur à la fin de l'été, cette couche de sol ne dégèle pas, ou du moins, pas aussi rapidement. Ainsi, la pression interstitielle dans le sol reste stable.
Le dégel rapide de cette couche provoque une augmentation de la pression interstitielle dans le sol qui est le facteur déclencheur des décrochements de couche active.
Les sols constitués de particules fines, comme l'argile marine de la vallée de Salluit, ont tendance à développer des lentilles de glace horizontales qui peuvent mesurer plusieurs millimètres d'épaisseur [7; 8]. Les décrochements de couche active se produisent lorsque la contrainte de cisaillement (gravité) entre la couche de sol dégelé et le matériau gelé sous-jacent dépasse la résistance au cisaillement (résistance à la gravité) [6; 10; 12; 13; 14; 15]. Le développement de ces lentilles de glace a un impact majeur sur la stabilité du sol et diminue la résistance au cisaillement [8].
La fréquence de ces événements est sujette à augmenter en fonction de la hausse générale des températures et des épisodes chauds en fin d’été [10; 11; 12; 13; 14].
Suivi du risque de glissement de terrain - Signal d'alerte
Un projet actuellement réalisé au CEN a pour objectif la mise en réseau de l'instrumentation de suivi du pergélisol de Salluit. Les données de la station GS (dépôt d'argile marine à proximité du glissement de terrain de 1998) seront mesurées à chaque heure et reçues une fois par jour au CEN. Avec la réception de ces données en temps quasi réel et l'application de la méthode développée par L'Hérault (2009) pour le calcul du risque de ces événements, il est possible de créer une application web pour informer la communauté des risques potentiels de décrochements de la couche active.
Facteurs qui permettent de prédire le risque de décrochement de couche active :
- Augmentation de l’épaisseur de la couche active de 9 % ;
- Augmentation de l’indice de dégel de plus de 30 %.
Par rapport à l’année précédente [15]
https://bit.ly/Suivi-risque-glissement-de-terrain_Plateforme-Salluit
Projections et modélisation
Malgré la tendance au refroidissement des températures de l'air observées lors des dernières années au Nunavik, la tendance globale et les modèles de prévision s'entendent sur l'évolution des températures de l'air vers un réchauffement. Le résultat immédiat de la hausse des températures de l'air sur le pergélisol est l'augmentation de l'épaisseur de la couche active et la dégradation du pergélisol. Il en découlera également une intensification des processus tels le tassement dû au dégel et davantage de glissements de terrain, en plus de compromettre la stabilité des sols riches en glace (tels que les dépôts d'argile). Les travaux de recherche sur l'évolution du climat et du pergélisol à Salluit menés par le CEN, combinés aux recherches menées par Ouranos (Consortium sur la climatologie régionale et l'adaptation aux changements climatiques), permettent de suivre l'évolution du climat et d'anticiper les principaux changements prévus jusqu'en 2100. Ces modèles peuvent également s'appliquer à la prédiction de l'évolution du pergélisol et des températures du sol [1; 5].
Évolution de la température moyenne annuelle, de la quantité de précipitation totale annuelle et de la durée du couvert de neige à Salluit, en fonction des scénarios RCP 4.5 et RCP 8.5 (publié dans Ouranos rapport tome II , Chaumont et Mailhot, 2018) [5].
Le dernier rapport produit par le CEN en collaboration avec le MAMH (sous presse) présente différents modèles d'évolution du pergélisol en fonction de divers scénarios climatiques. Ces modèles sont basés sur les données de température du sol provenant de certains forages du village (pour représenter les différents types de dépôts de surface) [1].
Ces données fournissent des informations très utiles sur l'évolution du pergélisol dans les environnements bâtis et à bâtir de Salluit. Avec les changements climatiques, la stabilité du sol de certains secteurs du village sera menacée. Ainsi, les prédictions climatiques permettent d'anticiper les futures périodes de risque et d'orienter la prise de décision afin de limiter les impacts sur les infrastructures et sur la sécurité de la communauté.
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