"Pas de perdant !" au collège de Laillé
Le projet 1% artistique de Boris Chouvellon
Avec le projet "1% artistique" au collège de Laillé, les jeunes se plongent dans l'univers de la fête foraine, ludique et coloré. Formes, couleurs, champ sémantique autour du jeu... épaulés par l'artiste Boris Chouvellon, les élèves travaillent sur tous les marqueurs de ce monde qui stimule l'imaginaire. Au cours de plusieurs ateliers en classe et à l'extérieur, les jeunes réalisent croquis, dessins, et aussi pièces de bois qui orneront les marches des escaliers de leur collège. Inspirées des sièges de manèges, des sculptures étoilées en rose et bleu pastels nacrés prendront place à dans la cour de récréation et à l'entrée du collège. Evocateur pour petits et grands, le manège symbolise ce passage de l'enfance à l'âge adulte, à la fois récréatif et régressif.
"Pas de perdant" : un clin d'oeil à l'éducation pour tous
Le 1% artistique est une démarche qui consiste à consacrer 1% du coût hors taxe, de la construction d'une structure publique à l'achat d'une ou plusieurs œuvres artistiques originales.
L'œuvre imaginée et proposée par l'artiste Boris Chouvellon pour le collège Marie Curie de Laillé s'intitule "Pas de perdant". Une référence métaphorique à l'univers du jeu, mais aussi aux références éducatives portées par le Département comme l'égalité, l'éducation pour tous
L'univers forain, le credo de Boris Chouvellon
L'univers forain a toujours été une source d'inspiration pour l'artiste Boris Chouvellon. "Depuis toujours, ma pratique présente un lien avec l’univers forain à travers différentes installations et sculptures. Pour l’édition 2017 du « voyage à Nantes », dans la construction de "La part manquante" une grande roue, où à la place des nacelles, j’alternais des godets de pelleteuse et des palmiers", explique-t-il. (photo de l'œuvre ci-contre).
Carrousel de poussettes, chaises volantes, machine à barbe à papa nichée dans un amas de pneus... De nombreux autres œuvres inspirées de la fête foraine jalonnent l'art de Boris Chouvellon, comme "Last splash" présenté en 2012, sorte de toboggan aquatique, inachevé ou en ruine, serpentant dans le ciel.
Le regard de l'artiste
Pourquoi l'univers de la fête foraine ? "La fête foraine, c'est quelque chose qui est ambigu pour moi, car on tourne en rond, on s'amuse pour simplement se vider la tête, on consomme, on n'est pas acteur de sa vie", précise Boris Chouvellon.
Pour ce projet "Pas de perdant", l'artiste a adopté une démarche un peu différente. "J'ai souvent été dans des formes autocritiques de cet univers, mais pour une fois on est plus dans une construction alternative, où l'on souligne la poésie des forains, les couleurs, le côté ouvert de la fête foraine..", explique Boris Chouvellon.
Une œuvre multiple et collective
L'œuvre "Pas de perdant" sera composée de 5 pièces de manèges, servant d'assises. Leurs formes auront été créées et choisies collectivement par l'ensemble des élèves du collège de la sixième à la troisième.
L'ensemble des classes du collège travaillent sur le projet.
« J’ai bien aimé le fait que ce soit un travail individuel, mais fait collectivement, cela nous permettait d’en discuter aussi avec les copains des autres classes, dans la cour, à la récré. Ce projet nous permet de travailler sur une œuvre, sur la manière dont elle a été faite », raconte Manon, en classe de troisième.
Disséminées à plusieurs endroits du collège - cour de récréation, entrée du collège - ces sculptures moulées dans du béton, indépendante les unes des autres, comprendront un tube en métal, supportant un étoile métallisée et colorée, pouvant servir en fonction de la météo d'ombrière, de parapluie ou de parasol. Ces pièces pourront aussi être déplacées à l'aide d'un transpalette.
Image de synthèse en 3D des futurs sujets de manège.
C'est l'entreprise Self Signal, fabricant des panneaux de signalisation et qui a déjà accueilli des artistes en résidence, qui va confectionner les assises. Béton, aluminium, les matériaux utilisés pour concevoir les assises sont faits pour durer. "La vocation du 1% artistique, c'est que de durer", précise Boris Chouvellon.
"Ma proposition artistique invite les différents usagers de l’établissement à une déambulation, une promenade imaginaire, celui du regard sur ce qu’elle reflète. Tout en proposant des moments contemplatifs sur un paysage atmosphérique changeant au quotidien", explique Boris Chouvellon.
Art au collège : l'avis de Boris Chouvellon
Les collégiens "croquent" la fête foraine de Rennes
Première étape du projet : plus de 400 élèves du collège se sont rendus à la fête foraine de Rennes avec Boris Chouvellon. "La sortie à la fête foraine, c'est un peu une sorte de rituel de fin d'année, comme le passage dans une classe supérieure", analyse Boris Chouvellon.
Objectif de la sortie : prendre des photos, réaliser des dessins, des croquis de cet univers si particulier du parc d'attractions, mais aussi repérer des mots et expressions autour du jeu. Pas d'en-cas ou de tours au manège, au grand dam de certains élèves : « J’ai bien aimé la sortie à la fête foraine, même si on n’a pas pu faire les manèges, on est allé de jour, l’ambiance n’est pas la même que la nuit, c’est moins actif, moins animé », raconte Noé, en classe de sixième.
Cette recherche sémantique servira de base aux élèves pour choisir les mots qui seront pyrogravés sur des planches de mélèze destinées à orner les contre marches des escaliers extérieurs de leur collège.
Vue 3D des planches de bois qui seront apposées sur les marches des escaliers.
Parmi les photographies prises pendant la visite de la fête foraine, certaines seront sélectionnées, puis mises en commun par classe, comme un kaléidoscope. Elles seront imprimées sur support translucide, puis exposées de façon temporaire sur les fenêtres de la salle mutualisée.
"J'ai bien aimé aller à la fête foraine, c'est un projet qui sort de l'ordinaire, c'est joyeux, j'aime l'ambiance, les manèges à sensations, les sucreries...", explique Léna, élève en troisième.
"Je souhaite que les élèves dessinent, prennent des photos, des vidéos suivant leur propre envie, instinct, leur goût, sans censure. Qu’au final, différentes formes apparaissent, humaines, architecturales, colorées, des plans larges, des détails, de l’émerveillement au dégoût. Je souhaite aussi que les élèves s’amusent, interagissent entre eux, que des dialogues naissent de tout cela", explique Boris Chouvellon.
Les élèves du collège de Laillé participant au projet lors de la sortie extérieure à la fête foraine de Rennes.
Après les manèges, le tournez-méninges !
Lors de la sortie à la fête foraine, les élèves ont pu réaliser des dessins et croquis. Ils ont également pu relever des phrases et expressions clés, liées au jeu.
De retour en classe, les élèves ont travaillé sur des premières maquettes, d'abord en argile plutôt souple, puis en terre auto-durcissante. Chaque élève a réalisé la maquette d'une assise. Lors de l'inauguration, 400 maquettes seront présentées.
"C'est important aussi que chacun puisse repartir avec sa création", précise l'artiste. Parmi les 400 maquettes, ce sont les élèves eux-mêmes qui sélectionnent les formes qui orneront finalement leur cour de récréation.
Emma, en classe de sixième.
"On a fait plusieurs maquettes en argile, ce qui m’a plu, c’est qu’on voulait faire ce qu’on voulait, moi j’ai fait un hamburger par exemple. Ce qui m’a inspiré, c’est la nourriture et les manèges", explique Emma, élève de sixième.
Pour la classe de sixième, entre le churros et l'éclair, le cornet de chichis est la maquette sélectionnée. "En fait le choix s’est fait assez naturellement, je suis agréablement surpris", explique l'artiste.
"Nous, on est la classe de la nourriture"
"Au début, je croyais qu'on allait installer un manège dans la cour", se souvient Timeo, élève en cinquième. Une fois la déception passée, l'univers de la fête foraine a inspiré la plupart des élèves... Churros, donuts, hamburgers, auto-tamponneuse, canards, tasse...les idées fusent. Pour cette classe de sixième, les confiseries réconfortantes de la fête foraine ont nourri leur pratique artistique. "Ce que j'aime moi à la fête foraine, ce sont les odeurs de beignets, de chichis. Tous les ans j’y vais, je fais la king kong tower. Je ne suis pas un très très bon bâtisseur on va dire donc ça s’est terminé bizarrement par une plantation de carottes. Construire quelque chose ce n’est pas facile, surtout qu’on n’a pas vraiment appris à toucher la pâte à modeler" , confie Ceylan.
Modeler une forme d'assise n'était pas forcément une mission facile pour les élèves.
Comprendre la construction d'une œuvre de A à Z
Pour les élèves, ce projet réalisé avec Boris Chouvellon change des projets habituels. C'est aussi l'occasion de comprendre le processus artistique de A à Z.
« L’objectif est que les élèves s’approprient ces œuvres et qu’elles ne soient pas juste déposées là. Ce projet est l’occasion de les impliquer dans une démarche artistique de A à Z, de ne pas juste produire quelque chose, mais vraiment de comprendre en quoi la démarche est importante », explique Margot Lepetit, professeure d'arts plastiques investie dans le projet. « Je les ai trouvés tous très impliqués de la sixième à la troisième, ce projet est surprenant et très concret. Certains élèves moins intéressés par les arts plastiques d’habitude se sont bien investis dans le projet », poursuit-elle.
Margot Lepetit, professeure d'arts plastiques au collège de Laillé, qui a suivi le projet avec l'artiste.
"Ce n'est pas juste un dessin"
Titouan, Emy, Yasmina et Hugo, en classe cinquième.
« J'aime bien ce projet, ça change un peu de nos habitudes en arts plastiques, ce n’est pas juste un dessin. Ce sera un projet qui restera dans le collège », estime Léonie, en sixième.
« J’ai bien aimé pouvoir manipuler les maquettes que l’on a fait. J’ai fait un pion d’échecs car j’adore cela. C’est un projet où l’on était plus libre, qui laissait vraiment la place à notre imagination", explique Titouan, en classe de cinquième.
Le cornet de churros a fait l'unanimité chez les élèves de sixième.
"C’était un peu stressant car parfois c’est compliqué de modeler une forme et on avait peu de temps" , Yasmina, en classe de cinquième.
"Cela change des activités que l’on fait d’habitude, l’artiste nous a présenté ce qu’il faisait, son travail, ce qui nous a permis de voir des choses différentes. Ce sera un endroit utile où l’on peut s’asseoir, mais seulement joli visuellement", explique Louann, en classe de troisième.
Pour former les phrases, les élèves ont travaillé en petits groupes.
Lors de la dernière séance de travail avec Boris Chouvellon, les élèves ont choisi leurs maquettes préférées et ils se sont également replongés dans les mots et expressions qu'ils avaient relevé lors de leur sortie à la fête foraine.
Crazy jump, bomber max, gaufres, croustillons... avec tous ces mots, les collégiens ont du former des phrases. Certaines d'entre elles seront pyrogravées sur les contre-marches des escaliers de la cour de récréation.
Des œuvres pour animer et colorer la cour
Faire entrer l'art contemporain dans leur cour de récréation, qu'en pensent les collégiens ? Morceaux choisis.
"Je pense que ces œuvres vont organiser, animer la cour, car là tout est un peu gris, j'aimerais bien que ce soit une auto-tamponneuse ou une tasse", Marceau, classe de sixième.
"J’aime pas l’art plastique, j’ai peur que ça dénature la cour, et en plus on profitera pas de ce que l’on va créer", élève de troisième.
"Ce qui est trop bien, c’est que ce n’est pas temporaire, cela va rester, en plus c’est notre première année au collège donc on va vraiment avoir le temps de les voir. C’est trop bien de faire participer les élèves, c’est vraiment une chance de pouvoir faire cela", Romane, classe de sixième.
"J’ai pas compris le but de mettre des mots sur les marches, vu quand on sera assis dessus, on ne les verra pas", Adrien, classe de cinquième.
"J’aime l’idée des écritures sur les marches, c’est une manière de laisser une marque dans ce collège qu’on va quitter", Louann, classe de troisième.
"J’étais un peu déçu car mon œuf n’a pas été retenu, mais c’est parce qu’il était trop beau ! C’est bien, car c’est comme si c’était nous qui créons notre propre manège sorti de notre imagination", Nathan, classe de troisième.
"Cela va rajouter du peps dans la cour, car là c’est un peu fade. C’est quelque chose sorti de notre imagination qui va mettre en valeur la cour de récréation", Clovis, classe de cinquième.
📷 Crédit photo : Thomas Crabot/Jérôme Sevrette 📷