Métropolisation, urbanité, planche à roulettes.
Comment le skate trouve-t-il sa place dans les recompositions urbaines induites par la métropolisation?
Introduction:
I. Le "spot": l'espace urbain comme terrain de jeu.
A. Les lieux du skate.
B. Dégradations et conflits d'usage.
Rennes. Après les conflits avec les riverains, le skate interdit sur la place Hoche.
Ouest France, 28 avril 2021.
Les skateurs ne pourront plus skater place Hoche. Une décision de la mairie.
En mars 2020, une trentaine de riverains avaient constitué un collectif pour se plaindre de la présence des skateurs sur ce site. Courriers répétés à la mairie, pétition… Ils dénonçaient le danger pour les passants et des nuisances sonores provoquées par le roulement des roues, les chocs de la planche sur le sol, les cris… Selon des comptages réalisés par la Ville, la place peut parfois accueillir jusqu’à 50 skateurs en même temps.
D'après les riverains, « Les bancs installés en 2019 sont utilisés jour et nuit comme plateforme de skateboards et cela génère un bruit incessant et un danger réel pour les personnes qui traversent la place, les enfants qui y jouent et les anciens qui s’y promènent. Le soir et la nuit, les incivilités reprennent de plus belle : skates, alcool, deal, musique sur enceinte portative… avec une totale déconsidération des habitants et notamment des enfants qui tentent de trouver le sommeil derrière les fenêtres adjacentes. »
Cette situation a débouché sur l’instauration de nouvelles règles. Un panneau d’information a été installé à l’attention les skateurs, qui s’exposent à une amende en cas de non-respect de ces nouvelles dispositions.
Certains aménagements de la place Hoche ont également été révisés pour réguler la pratique du skate sur la place ou pour protéger le banc. Selon la Ville, la pratique du skate et du roller reste possible dans les sept skateparks de la ville.
En quoi la pratique du skate à Rennes entraine-t-elle des conflits d'usage? Quelles solutions propose la municipalité?
Les dispositifs antiskate commercialisés par la firme américaine "Intellicept"
"A partir des années 2000, certaines villes sont devenues très répressives face à la pratique du skate. Panneau d'interdiction, dispositifs anti skate, amendes de la police: tout était fait pour faire disparaitre le skate des rues des villes. A Bordeaux, d'où je viens, 800 amendes ont été distribuées en 2016. Résultat: les jeunes allaient skater la nuit et leurs sorties se terminaient en courses poursuites avec la police. La situation empirait d'année en année" Léo Valls, conférence Pushing Boarders 2019
II. Le skate park, un espace de jeu en ville.
A. Des terrains de jeu.
B. Quels lieux pour la pratique du skate? Les exemples de Rennes et Berlin.
Détour à Berlin.
La ville de Berlin a parfois été considérée comme la capitale européenne du skateboard. Observe les skate parks de la ville présentés ci-dessous et, à l'aide de la fonction zoom, les quartiers dans lesquels ceux-ci sont implantés.
Classe ces skate parks en 2 catégories: ceux qui offrent une expérience de loisir récréatif classique, à proximité des autres loisirs d'extérieur, et ceux qui occupent des marges urbaines délaissées.
Des équipements sportifs, culturels et urbains.
Les skate parks sont assez formatés, avec leurs bowls, leur parcours "street", leurs rampes... mais leur taille et leur localisation dans l'espace urbain peut varier. Du simple banc au gigantesque complexe "indoor", ces espaces aménagés peuvent tout autant se nicher dans les moindres recoins des métropoles que participer à de vastes opérations urbaines.
III. Le skate, créateur de nouveaux espaces urbains.
A. Les skateurs, "troupes de choc de la gentrification" (Ocean Howell).
Skateurs, avant-garde de la gentrification ou aménageurs de vivre ensemble ? (D'après Usbek et Rica magazine, 2018, et la conférence Pushing Boarders, 2019)
Philadelphie (Etats-Unis).
Ocean Howell est historien, auteur de plusieurs études sur le skate et l’espace public :
«Les skateurs sont des troupes de choc de la gentrification. En mettant des yeux là où il n’y en a pas, ils éloignent d’éventuelles activités illégales (trafic de drogues, prostitution…) qui préfèrent l’anonymat. Love Park, à Philadelphie, était considéré comme abandonné et dangereux jusqu’à l’arrivée des skateurs dans les années 90. Une fois qu'un endroit est sûr pour des jeunes skateurs, il devient sûr pour des hommes qui sortent du travail, puis pour des femmes qui sortent du travail !»
«On observe même, en interrogeant des élus et des aménageurs urbains, que les skateurs sont utilisés lors de phases préliminaires de certains projets immobiliers afin de réactiver des espaces déshérités. Le skate est un outil pour les urbanistes et pour les municipalités pour booster la valeur du foncier. Aux Etats-Unis, les villes tirent l'essentiel de leurs revenus des impôts locaux, et donc des prix de l'immobilier. En installant un skatepark, une ville peut espérer voir s'installer à côté des boutiques, des cafés sympa, puis des galeries d'art, des bars... les promoteurs immobiliers suivront !»
«Les skateparks sont aussi utilisés pour lutter contre d'autres usages des marges urbaines. A Philadelphie, un skatepark, installé sous un pont, devait être démoli : les riverains se sont mobilisés pour le conserver, de peur de voir revenir s'installer à cet endroit un campement de sans-abris.»
«Mais les skateurs peuvent devenir à leur tour victimes de ce processus au profit d’un public au meilleur pouvoir d’achat : un fois le quartier gentrifié, il devient un quartier de centre-ville comme un autre, et le skate redevient une nuisance aux yeux des riverains.»
Reformulez: Quels liens peut-on faire entre pratique du skate et gentrification?
B. Le skate au coeur des "lieux alternatifs" et des "quartiers créatifs": l'exemple de quelques villes françaises.
Découvre ci-dessous le site internet du projet Darwin, à Bordeaux, et de la friche de la Belle de Mai, à Marseille. Choisis l'un de ces lieux et répond aux questions suivantes:
- Comment définir ce lieu? Quelles activités y prennent place?
- Quelle place est donnée au skate dans ce projet?
La désindustrialisation des espaces centraux des métropoles a provoqué l'apparition de friches dans de nombreuses villes françaises. Des collectifs d'associations ou de citoyens ont parfois réinvesti ces endroits pour en faire des "lieux alternatifs".
Magasins éthiques, restaurants bio, brasseries artisanales, espaces de concert et de diffusion, friperies, hébergement d'associations culturelles, coworking, atelier vélo... ces "tiers-lieux" se ressemblent et promeuvent les mêmes valeurs, les mêmes pratiques, et une même expérience de vie urbaine.
Le skate trouve une place de choix dans ces quartiers urbains d'un nouveau genre. Que ce soit de manière manière informelle, comme au 104 à Paris, ponctuelle, comme lors de festivals ou de compétitions à la Gare St Sauveur à Lille, ou bien de façon pérenne comme à la Friche de la Belle de Mai ou à Darwin.
IV. Le skate au service de la politique urbaine.
A. Le skate au coeur des opérations d'urbanisme: l'exemple de Casablanca.
L'ambition métropolitaine de Casablanca transforme profondément la ville.
De nombreux projets d'aménagements sont en cours pour renforcer son attractivité et son influence.
Deux sont particulièrement importants: le réaménagement du centre-ville et la création d'un nouveau quartier d'Affaires, Casa-Anfa.
La pratique du skate a été prise en compte dans ces deux opérations d'urbanisme
Le skate park Nevada se trouve en plein centre-ville.
Il accueille chaque week-end des dizaines de pratiquants, de tous âges et de tous niveaux.
Ceux-ci viennent de la Médina, le centre historique et populaire de la ville, du centre-ville colonial ou du quartier bourgeois de Gauthier.
Le réaménagement du centre-ville vise à doter ce quartier administratif et commercial d'une nouvelle dimension touristique et culturelle, tout en offrant à ses habitants un cadre de vie agréable.
Les nouveaux aménagements sont nombreux: un grand théâtre a vu le jour, des places et des rues piétonnes ont été aménagées, le grand parc de la ville et les immeubles coloniaux ont été rénovés et mis en valeur.
Le skate park de Casa-Anfa est à la périphérie Sud du centre-ville.
Il accueille chaque week-end des dizaines de pratiquants, venus des quartiers populaires de Hay Hassani ou d'Oulfa, et des quartiers alentours, habités par la classe moyenne supérieure de la ville (CIL, Beauséjour, Casa-Anfa)
Le quartier de Casa-Anfa a pour ambition de devenir le principal quartier d'Affaires de la ville.
Les tours de bureaux y côtoient des résidences de standing, dont la modernité tranche avec le reste de la ville.
Sillonné par le tramway, proche de l'océan, ce quartier porte la promesse d'une nouvelle manière de vivre en ville.
Analyse: A quels objectifs répond la création des deux skate parks de la ville? Ces objectifs sont-ils similaires pour ces deux aménagements?
B. Bordeaux, "skate friendly city".
A l'aide de la vidéo proposée (durée: 7'30), des photographies et de l'entretien avec l'adjointe au Maire de Bordeaux, répond aux questions suivantes:
- Quelle solution a été trouvée à Bordeaux pour intégrer paisiblement les pratiquants du skate dans l'espace urbain?
- Quels acteurs ont été mobilisés dans l'élaboration de cette solution?
- Quels sont les atouts du skate pour la ville de Bordeaux?
- Comment les acteurs du monde du skate sont-ils devenus des acteurs de la vie culturelle et du développement urbain de Bordeaux?
Le Skate à Bordeaux : Développement, Médiation, Transmission (Documentaire)
Entretien avec Arielle Piazza, ancienne adjointe chargée des Sports à la Mairie de Bordeaux.
Pourquoi le skate est-il si important pour la municipalité de Bordeaux ?
«Au cours des quinze dernières années, Bordeaux est progressivement devenue une ville phare du skate mondial, grâce à la beauté de son cadre et au rayonnement de ses acteurs locaux. On estime à 35 000 les pratiquants réguliers dans la métropole ! Et avec l’arrivée de ce sport aux Jeux Olympiques, on s’attend à une recrudescence de la pratique. C’est tant mieux ! Mais pour cela, il faut que Bordeaux puisse également proposer des espaces de glisse adaptés»
«La cohabitation avec les riverains est parfois délicate. La Ville a préféré engager une politique originale plutôt que de recourir aux traditionnelles mesures d'interdiction. C'est notre programme “skate(z)-zen”, qui réunit collectif de skateurs, riverains et mairie, et qui a permis d'apaiser très nettement les difficultés. Désormais, le skate fait partie intégrante du paysage bordelais.»
Quels sont les projets de la Mairie pour l'avenir?
«La Ville souhaite maintenant créer de vrais espaces de glisse, pour mieux intégrer cette pratique à l'urbanisme, en aménageant des espaces adaptés, partagés et créatifs qui dynamisent les quartiers sans créer de nuisances. La place de la République, par exemple, est une place en déshérence. Il n’y a pas de commerce, peu de passage. Avec un nouveau mobilier urbain ouvert au skate, elle pourra reprendre réellement vie.»
«Dans les années qui viennent, les lieux ouverts à la pratique du skate vont se multiplier : la ville doit devenir un terrain de jeu ! Les collectifs de skateurs proposent leur expertise dans les nouveaux projets urbains de la métropole bordelaise, aux côtés des aménageurs. Ils nous conseillent sur le choix du mobilier urbain, des revêtements des sols, afin de limiter les dégâts et les nuisances que pourrait occasionner la pratique du skate.»
Quels sont les bénéfices pour la ville ?
«Tout cela donne à Bordeaux l'image d'une ville moderne, dynamique, tournée vers la jeunesse et consciente des enjeux liés au développement durable, aux loisirs, aux mobilités douces. C'est une nouvelle manière de vivre la ville, fondée sur la liberté et l'amusement!
En plus, le tourisme de skate se développe: À Bordeaux, nous avons des skateurs du monde entier qui viennent fréquemment skater dans la ville et tourner des vidéos. Ces films mettent en valeur les paysages de la ville et son dynamisme !»
Quels défis restent à relever ?
« Dans les skateparks ou sur les places, on ne voit pratiquement que des garçons. Les filles sont rares et c’est vraiment dommage ! Il faut absolument que la pratique se féminise. Avec les nouvelles infrastructures, j’espère qu’elles y trouveront une certaine sécurité qui les poussera à s’épanouir dans le skate. »
Conclusion: Los Angeles, finir là où tout à commencé.
Eric Koston - Goldfish 1993
En 1993, Eric Koston popularise la place de Santa Monica Court House (à partir de 2'40) lors d'une vidéo nommée Goldfish, filmée par Spike Jonze. Nous sommes avant l'époque d'internet: ces vidéos sont éditées en cassettes et distribuées dans les magasins spécialisés du monde entier.
Cette place devient un haut lieu du skate urbain à Los Angeles. Puis, sous la pression des riverains, sa pratique est interdite.
Jusqu'en 2014, la place est protégée contre la pratique du skate. La fontaine est détruite, les bancs protégés, les skateurs s'exposent à des amendes en cas de pratique. Dans le même temps, la place est désaffectée: le bâtiment administratif ferme ses portes faute d'argent public.
A l'occasion du festival Go Skate Day en 2014, la place est rendue à la pratique du skate. Les dispositifs antiskate disparaissent, la fontaine est reconstruite. Les lettres SB, pour skateboard, dessinées sur la place indiquent la légalité retrouvée de cette pratique.
Mais elles sont surtout le nom du financeur des travaux: la firme Nike et sa branche skateboard. Cette privatisation de l'espace public, par le skate, n'est pas propre à Los Angeles. Place de la République, à Paris, la firme Volcom a financé une structure de street à la forme de son logo.