Paris vues d'artistes : le quartier de l'Europe

Gustave Caillebotte (1848-1894), Le pont de l’Europe, 1876, peinture à l’huile sur toile, 1,25 x 1,80 cm, Genève, Musée du Petit Palais. © Petit Palais, Geneva, Switzerland/Bridgeman Images

Ce parcours autour de la place de l’Europe, dans le 8 e  arrondissement, a été proposé par des habitants de ce quartier dans le cadre du  Budget participatif . Il permet de découvrir l’histoire de ce coin de Paris fortement marqué par le développement du chemin de fer. Un quartier où habitèrent de nombreux peintres ayant, pour certains d’entre eux, contribués durablement à l'histoire de l'impressionnisme.

Muni de votre smartphone, vous pouvez vous laisser guider en suivant les numérotations des dix étapes de cette découverte.

1

Introduction

 Gustave Caillebotte (1848-1894), Sur le pont de l’Europe, 1876-1877 

 Emplacement :  Place de l'Europe  

À partir de 1826, le quartier de l’Europe est progressivement urbanisé. Mais, avec l'aménagement de la première ligne de chemin de fer en 1837 et surtout, l’annexion de la commune des Batignolles-Monceau en 1860, le quartier devient assez vite l’un des symboles de cette ville de Paris alors en pleine transformation.

Des peintres comme Manet, Monet, Renoir, Pissarro, Caillebotte ou bien encore Goeneutte, et d’autres encore, côtoient ce quartier à partir des années 1870. Alors que le Second Empire cède le pas à la Troisième République, ils développent une nouvelle vision de la ville, transformée par la technologie. Ils s’intéressent aux sujets de la vie moderne, à la peinture en plein air et aux jeux de lumière. Certains comme Monet et Renoir deviendront les chefs de proue du mouvement impressionniste ; d’autres y apporteront leur touche esthétique et leur soutien financier.

2

La naissance de la place de l’Europe et de son quartier

 Auguste Victor Deroy (1825-1906), Paris. Vue à vol d'oiseau de la place de l'Europe telle qu'elle sera après son complet achèvement. Gravure sur bois. 

 Emplacement :  Place de l'Europe  

En 1823, l’entrepreneur Sylvain Mignon et le banquier Jonas Hagerman signent une entente pour fusionner leurs parcelles respectives dans ce qui deviendra le quartier de l’Europe, formant ainsi un ensemble de près de 50 hectares. La conception de nouvelles rues étant soumise à l’autorisation des pouvoirs publics, ils présentent au Conseil municipal puis à l’État des plans ambitieux, modifiés à maintes reprises. L’ordonnance royale du 2 février 1826 autorise les promoteurs à entreprendre les travaux à leur charge.

La vaste place octogonale de l’Europe, de 130 mètres de diamètre, se dessine alors. Elle est pavée dès 1827. Les rues de Londres et de Constantinople la traversent, reliant la Chaussée d’Antin au village de Monceau. Sont aussi tracées les rues de Vienne et de Saint-Pétersbourg, les rues de Naples et de Rome, les rues de Madrid et de Liège, de part et d’autre de la place à travers un schéma urbain ayant la forme d’une étoile.

Dès 1837, l’aménagement d’une ligne ferroviaire reliant Paris au Pecq, puis à partir de 1847 à Saint-Germain-en-Laye, transforme considérablement la configuration du quartier. Un tunnel la franchissant du sud au nord est creusé en lieu et place des rues de Naples et de Rome qui sont déplacées. Un embarcadère est installé à l’angle de la rue de Londres et de la place de l’Europe, et un débarcadère en contre-bas de la rue de Stockholm. Des édifices provisoires tout d’abord en bois seront remplacés rapidement par des bâtiments en pierre. Les agrandissements successifs des installations ferroviaires feront disparaître ces édifices et la rue de Stockholm elle-même.

3

Le pont de l’Europe et la Gare Saint-Lazare

 Pierre-Auguste Lamy (1827-1883), Pont construit sur l'emplacement de la place de l'Europe, au chemin de fer de l'Ouest. 

 Emplacement :  place de l'Europe  

La naissance du chemin de fer donne lieu à une forte spéculation boursière et les promoteurs ferroviaires se font toujours plus nombreux. Dès lors, la localisation du terminus est déterminante au moment de programmer de vastes projets d’aménagement urbain, alors fort lucratifs. Le premier terminus, en contre-bas de la place de l’Europe, est inauguré le 24 août 1837. À partir de 1840, les voies sont progressivement élargies, puis prolongées vers le sud, jusqu’à la rue Saint-Lazare. La gare prend alors son assise et son nom actuel. Par la suite, les voies et les lignes de trains sont sans cesse agrandies, reliant Paris et Rouen en 1840, Le Havre en 1847.

En 1863, il est décidé de réaménager la place de l’Europe et de la remplacer par un viaduc métallique, réalisé par l’ingénieur Adolphe Jullien. Ce pont-place est inauguré en 1868 et offre aux passants un point de vue imparable sur les installations ferroviaires. Dans les années 1880, après une ultime phase d’agrandissement, la gare compte pas moins de 28 quais et chaque train comprend en moyenne 500 voyageurs. Le pont de l’Europe quant à lui, a été reconstruit en béton en 1930.

4

L’atelier de Norbert Gœneutte

 Norbert Gœneutte (1854-1894), Vue de la gare Saint-Lazare, 1887. 

 Emplacement :  rue de Constantinople  

Si le projet originel d’aménagement du quartier de l’Europe est validé en 1826, la vente des lots à bâtir ne se concrétise que lentement. Elle est plus favorable aux parcelles situées au sud-est, près de l’avenante Chaussée d’Antin que celles se trouvant près des installations ferroviaires, dans un environnement plus bruyant et dans un premier temps, peu accueillant pour les lotisseurs.

Mais le 1 er  janvier 1860, lors de l’extension de Paris, du mur des fermiers généraux jusqu’à l’enceinte de Thiers, la commune des Batignolles-Monceau est en grande partie annexée à la ville de Paris pour former le tout nouveau 17 e  arrondissement auquel appartiennent dorénavant les parcelles en vente.

Dès lors, l’urbanisation du quartier de l’Europe s’accélère rapidement selon les directives du baron Haussmann. La gare Saint-Lazare gagnant en attractivité, les rues avoisinantes accueillent des immeubles de style haussmannien qui remplacent le faubourg populaire de la Petite Pologne. Le quartier est fréquenté par une population plutôt aisée qui se promène sur les grands boulevards et emprunte les chemins de fer pour aller s’aérer à la campagne.

Norbert Gœneutte habite au 62 de la rue de Rome. Son atelier donne sur le pont de l’Europe et sur les installations ferroviaires qu’il se plait à peindre. Il fréquente le restaurant du Père Lathuille, dans le quartier des Batignolles où il rencontre Manet, Zola, Degas et Renoir. Dans ce tableau daté de 1887, le peintre saisit le contraste entre la vapeur des locomotives en perpétuel mouvement et la permanence des bâtiments de construction récente, au loin, dans l’axe, l’imposante masse du palais Garnier.

5

Claude Monet et la gare Saint-Lazare

 Claude Monet (1840-1926), La gare Saint-Lazare 

 Emplacement :  Place de l'Europe  

La croissance du réseau de chemins de fer dans un Paris en pleine mutation éveille à partir des années 1870 l’intérêt des peintres en marge des canons artistiques, qui y voient un fascinant sujet de modernité. Claude Monet est captivé par la gare Saint-Lazare, dont l’agitation des quais, la vapeur des locomotives et les réverbérations lumineuses produisent des impressions toujours changeantes, faisant de la gare un lieu en éternel mouvement.

En 1872, il loue un atelier au 8, rue de l’Isly, tout près de la gare. Il obtient alors l’autorisation d’installer son chevalet à l’intérieur de la gare elle-même pour peindre le mouvement des trains et des passagers. À partir de janvier 1877, il occupe un atelier au 17, rue Moncey, mis à sa disposition par Gustave Caillebotte. C’est ainsi que lors de la troisième exposition impressionniste, il peut présenter une série de onze toiles dédiées à la gare Saint-Lazare. Émile Zola, charmé, déclare à ce propos « Nos artistes doivent trouver la poésie des gares, comme leurs pères ont trouvé celle des forêts et des fleuves ». Avec sensibilité, Monet fait ressortir l’imperceptible : la fumée, le brouillard, le vacarme.

La gare Saint-Lazare et ses lignes de chemins de fer permettent à Monet de rejoindre la Normandie dans laquelle il a passé une partie de son enfance et d’y peindre des paysages côtiers. La gare, lieu de transit entre deux univers, représente un nouveau champ d’investigations pour les peintres du quartier de l’Europe.

6

Le pont de l’Europe, fantasme du progrès

 Gustave Caillebotte (1848-1894), Le pont de l’Europe, 1876. 

 Emplacement :  Place de l'Europe  

Gustave Caillebotte participe au financement des expositions impressionnistes et aide souvent ses amis, notamment Monet, Renoir et Pissarro, en leur achetant des toiles ou en leur prêtant des ateliers.

Caillebotte interprète ici le sentiment d’étonnement mêlé de fascination que les passants éprouvent en traversant cet impressionnant pont métallique dont la construction est achevée en 1868 ; la balustrade offre un spectacle sur l’agitation des trains de la gare Saint-Lazare.

La composition reprend les lignes géométriques du pont. Le trait est plus précis et la technique différente de celles des Impressionnistes. Caillebotte saisit le contraste émanant entre le couple bourgeois, flânant et discutant le long de la chaussée, et l’ouvrier qui contemple les voies. Avec ambiguïté, Caillebotte représente la nouvelle ville, née des avancées techniques, qui mérite d’être un lieu de promenade et de rencontre au même titre que les monuments d’antan. Pourtant, les différentes strates sociales de Paris semblent cohabiter dans ce quartier sans se voir ni se parler, chacune circulant dans le couloir invisible qui lui est réservé. Le chien slalomant entre les passants et la longue perspective du pont tracent une ligne d’horizon vers les immeubles haussmanniens qui bordent la place de l’Europe. Le pont surplombant la gare Saint-Lazare symbolise ce passage de la société dans l’ère moderne.

7

Un nouveau lieu de promenade

 Jean Béraud, La place et le pont de l’Europe, 1876-1878. 

 Emplacement :  place de l'Europe  

Jean Béraud peint la place de l’Europe d’une manière étonnante. Il offre un point de vue décentré qui ne met pas particulièrement le lieu en valeur. Il s’attache plutôt à montrer les promeneurs et l’étendue de leur terrain de jeu. Béraud, habitué des salons mondains, représente ici la bourgeoisie aisée dans toute sa diversité : un couple, une femme avec son enfant, des passants solitaires, à pied ou en calèche. Chacun se croise sur la place sans être gêné par autrui. Mais ici, seuls les bourgeois ont le luxe de faire de la promenade une activité paisible et habituelle.

Alors que la photographie est en plein essor, la peinture est toujours considérée par le public comme un moyen plus noble de représenter les activités quotidiennes. Pourtant, une certaine influence de la photographie se ressent dans la netteté et le mouvement des personnages. Le détail des vêtements rend compte des normes de la mode et de l’élégance parisienne. La lumière de l’après-midi éclaire les bâtiments haussmanniens, peut-être habités par ces mêmes passants.

8

L’atelier d’Édouard Manet

 Édouard Manet, La rue Mosnier aux paveurs, 1878. 

En 1872, Édouard Manet emménage au premier étage du 4, rue de Saint-Pétersbourg, dont la fenêtre donne sur le croisement avec la rue Mosnier, renommée rue de Berne en 1884. Il y habitera jusqu’en 1878. Il peint, de son appartement, trois tableaux représentant le début de cette petite rue qui relie les rues de Saint-Pétersbourg et de Moscou. La rue Mosnier aux paveurs témoigne de l’aménagement du quartier qui se poursuit durant les années 1870-1880. À côté des ouvriers en blouse blanche couvrant la rue de pavés, des fiacres stationnent. Un déménagement a lieu plus loin. Manet représente ici une scène d’après-midi ordinaire, mais révélatrice des profondes transformations urbaine du quartier. Malgré l’agitation des ouvriers, les couleurs de la toile et la végétation bordant les fenêtres renvoient une impression de fraîcheur estivale. En illustrant ce sujet à travers un cadrage serré, Manet donne à cette scène un ton intime, qui se dégage de l’atmosphère mondaine et agitée du quartier de l’Europe.

En 1886, pour agrandir la gare Saint-Lazare, des halles de marchandises sont construites à l’angle des rues de Berne et de Saint-Pétersbourg, à l’emplacement du panneau publicitaire dans le tableau de Manet. Après avoir été occupées par un garage Citroën de 1931 à 1939, les halles sont rasées et l’actuel centre de tri postal construit.

9

Caillebotte et les promeneurs sur la place de Dublin

 Gustave Caillebotte (1848-1894), Paris, jour de pluie. 

 Emplacement :  place de Dublin  

La rue de Saint-Pétersbourg est l’une des premières rues ouverte dans le quartier de l’Europe. Percée dès 1826, reliant la place de l’Europe à la place de Clichy, elle est traversée par les rues de Moscou, de Turin et Clapeyron qui se rejoignent au niveau de la place de Dublin. Celle-ci est représentée au second plan de la toile de Caillebotte, foulée par les passants et bordée d’immeubles haussmanniens.

Caillebotte, issu d’une famille aisée, habite longtemps les abords du quartier, rue de Lisbonne puis rue de Miromesnil. Dans Rue de Paris, jour de pluie, il restitue les proportions et l’élégance de la ville moderne. La profondeur du champ, soulignée par la perspective des rues, attire inévitablement le regard.

Le point de vue décentré qu’emprunte Caillebotte dans cette toile surprend lors de la troisième exposition impressionniste en 1877. On peut déceler dans ce choix l’influence naissante de la photographie sur la peinture. L’architecture moderne lui permet également de jouer avec les perspectives. Au premier plan, un couple de flâneurs semble se diriger droit sur le spectateur. Eux seuls sont identifiables ; les autres passants, anonymes, sont protégés de toute interaction extérieure sous leurs pardessus et leurs parapluies identiques. L’atmosphère monotone de cette scène retranscrit peut-être les interrogations de Caillebotte sur la conception de la ville moderne.

10

La place du Havre

 Camille Pissarro (1830-1903), La Place du Havre, à Paris, 1893. 

 Emplacement :  place du Havre  

Entre 1892 et 1897, Camille Pissarro (1830-1903) séjourne régulièrement dans l’hôtel-restaurant Garnier, situé rue Saint-Lazare, aux abords de la place du Havre. Il va y peindre une suite de tableaux consacrée à la gare et ses environs immédiats.

Dans ce tableau, Pissarro met en perspective la rue d’Amsterdam qui va de la rue Saint-Lazare à la place Clichy, achevée dès 1843. Sur le côté gauche, la gare elle-même et la cour du Havre aménagée entre 188 et 1888. Pissarro s’intéresse aux mouvements perpétuels de la ville, aux multiples fiacres et autres passants.

Durant cette période, Pissarro se rapproche du pointillisme, technique particulièrement bien adaptée au sujet. La division de la touche permet d’accentuer cet effet d’agitation et de vacarme constant de ce lieu quelque peu chaotique.

La réalisation de "Paris vues d'artistes" est issue d’une demande effectuée dans le cadre du Budget participatif.

Comité de direction

Anne Hidalgo, maire de Paris; Irène Basilis, directrice des Affaires culturelles; Pierre-Henry Colombier, sous-directeur du Patrimoine et de l'Histoire

Gestion du Budget participatif

Mission territoires de la direction des Affaires culturelles

Recherches, rédactions

Département de l'Histoire, de la Mémoire et des Musées associatifs

Mise en ligne du site

Service développement et valorisation (Direction des affaires culturelles)