De la commande publique à sa restauration : le parcours de la statuaire parisienne
Une femme coiffée d’un bonnet phrygien, un héros de guerre triomphant, un lion aux muscles tendus ou un homme de lettres méditant, ce sont autant de figures familières qui peuplent les places publiques ou les parcs et jardins de Paris. Elles sont si intimement liées à l’urbanisme de la capitale qu’elles finissent souvent par devenir invisibles. L’exposition qui vous est proposée a pour objectif de mettre en lumière ces sculptures monumentales, chargées de mémoire et d’histoire, de leur commande publique à leur restauration.
Œuvrer pour la création d’une sculpture pérenne au cœur de la ville est un geste symbolique fort. Comment l’État, la Ville ou un groupe de citoyens qui se réunit pour un hommage portent-ils un tel projet ? Quelles techniques les artistes mettent-ils en œuvre pour donner naissance à ces centaines de statues ? Comment évoluent-elles au cœur de la ville et comment des professionnels en prennent-ils soin ?
C’est l’histoire de ce patrimoine de pierre et de bronze que nous allons vous raconter ci-dessous.
Une exposition qui s’inscrit dans « L’année de la statuaire » initiée en 2021 par Karen Taïeb, Adjointe à la Maire de Paris en charge du patrimoine, de l’histoire de Paris et des relations avec les cultes, afin de mettre en lumière ces chefs-d’œuvre qui contribuent à la beauté de Paris.
Cette exposition réalisée par la direction des affaires culturelles de la Ville de Paris, Conservation des œuvres d’art religieuses et civiles avec le concours du service de développement et valorisation
Histoire des statues de Paris
du souverain au grand homme
Bénéficier d’une statue dans l’espace public reste longtemps le privilège des souverains. Le très populaire roi Henri IV est ainsi le premier à caracoler sur le Pont Neuf, dès 1614.
L’urbanisme de la capitale est alors mis au service de l’image royale avec des places dessinées pour servir d’écrin. Il en est ainsi de la place des Victoires, pensée par Jules-Hardouin Mansart pour le monument à Louis XIV.
La Place des Victoires
Adam Pérelle, estampe, vers 1660
CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet
Journées du 11 au 13 août 1792, la statue de Louis XIV
est abattue par le peuple, place des Victoires
Jean-Louis Prieur, dessin, 1792
CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet
A gauche : La Place des Victoires. Adam Pérelle, estampe, vers 1660A droite: Journées du 11 au 13 août 1792, la statue de Louis XIV est abattue par le peuple, place des Victoires. Jean-Louis Prieur, dessin, 1792.
Parallèlement, l’idée, issue des Lumières, d’honorer par un monument les vertus des grands hommes, progresse, mais ne conquiert pas encore les espaces publics de la Ville. Avec la Révolution française, et souvent lors des changements de régime politique, les statues des monarques sont très exposées et souvent détruites.
Les figures équestres d’Henri IV sur le Pont Neuf, de Louis XIII place des Vosges ou de Louis XIV place des Victoires, que nous pouvons voir aujourd’hui, sont ainsi érigées, à la Restauration (1814-1830), à l’emplacement des précédents monuments, détruits pendant la période révolutionnaire, pour légitimer le retour du pouvoir royal. Par la suite, sous le Seconde Empire (1852-1870), la statuaire demeure toujours l’objet d’un contrôle fort du pouvoir.
A gauche : Monument à Louis XIV, François-Joseph Bosio, bronze, 1822, Paris Centre. Dépôt de l’État - FNAC PFH-6961. Classé M.H. 14/12/1992A droite : Statue équestre d’Henri IV. François-Frédéric Lemot, bronze, 1818, Paris Centre. Dépôt de l’État - FNAC PFH-6970. Classé M.H. 31/03/1992
Cependant, avec l’établissement de la IIIe République et une libéralisation des initiatives de tous ordres, les statues de grands hommes – très peu de femmes - vont envahir les rues de Paris, dont l’urbanisme a été profondément transformé sous l’impulsion des préfets Rambuteau puis Haussmann… Boulevards et avenues, squares et parcs deviennent le nouveau cadre offert au développement d’une statuaire publique, toujours plus abondante.
Ce lion du sculpteur Bartholdi, symbole de résistance, est la reproduction au tiers de grandeur de l’original taillé en grès rose au pied de la citadelle de Belfort.
Il devait en premier lieu orner les hauteurs des Buttes- Chaumont mais est finalement installé sur la place Denfert-Rochereau, en mémoire du gouverneur de la citadelle de Belfort durant la guerre francoprussienne (1870-1871) : un médaillon en bronze à son effigie est apposé en 1920.
Statuomanie
Enrichir Paris au XIXe siècle
Alors que seulement 26 nouvelles statues sont installées dans l’espace public parisien entre 1815 et 1870, près de 150 vont apparaître entre 1870 et 1914.
Les modes d’enrichissement du patrimoine municipal sont multiples. La préfecture de la Seine procède à des achats au Salon (grande exposition publique) : elle peut ainsi acquérir un buste modèle en plâtre avant d’en commander à l’artiste la réalisation en pierre ou en bronze et l’installer dans l’espace urbain.
La réserve des sculptures de la Conservation des oeuvres d’art
religieuses et civiles de la Ville de Paris
La réserve des sculptures de la Conservation des œuvres d’art religieuses et civiles de la Ville de Paris : La Ville de Paris conserve une collection exceptionnelle de modèles en plâtre originaux qui témoigne de la politique d’achats et de commandes mise en œuvre, tout particulièrement sous la IIIe République. D’abord conservé dans le « dépôt d’Auteuil », situé dans le 16e arrondissement et très brièvement ouvert au public, cet ensemble fut transféré en 1976 en région parisienne, dans une ancienne usine de traitement des eaux réaménagée pour l’occasion.
Moulage du Monument à Victorien Sardou. Albert Bartholomé, plâtre, 1909
Dans de très nombreux cas, l’initiative du projet revient à un comité de citoyens qui rassemble des fonds grâce à une souscription publique et sollicite les artistes ; à la suite de l’avis favorable du préfet et de l’autorisation du ministre de l’Intérieur, un décret présidentiel donne droit à un hommage public.
Le monument à Victorien Sardou (à gauche) a été commandé au sculpteur Albert Bartholomé en 1909, à la suite d’une souscription publique. Créé en bronze, il a été fondu en 1942. Cependant, à la demande des fils du modèle, un moulage en plâtre avait été réalisé juste avant.
Moulage du Monument à Victorien Sardou. Albert Bartholomé, plâtre, 1909
Esquisse de La Défense de Paris. Louis-Ernest Barrias, plâtre, 1879
La troisième voie est l’organisation de concours, comme celui du monument à la République en 1878-79. Dans les années 1880, à l’approche de la commémoration du centenaire de 1789, plusieurs d’entre eux permettront au conseil municipal qui en prend l’initiative et où siège une majorité de républicains radicaux, d’affirmer l’identité politique de Paris face à l’État.
A droite, ce plâtre de Louis-Ernest Barrias est l’esquisse retenue par le jury en 1879, lors de la première étape du concours pour le monument de La Défense de Paris. D’abord érigé en 1883 au rond-point de Courbevoie sur le socle d’une ancienne statue de Napoléon Ier, le groupe en bronze sera déplacé à plusieurs reprises avec le développement du quartier d’affaires de La Défense.
Jules Dalou (1838-1902)
Le maître républicain du monument public
Jules Dalou est sans doute un des sculpteurs parisiens les plus emblématiques de la IIIe République.
Il reçoit d’abord une formation d’ouvrier d’art et s’il s’illustre dans tous les domaines de l’art statuaire, il excelle avant tout dans la création de monuments publics, où il exprime des convictions républicaines qu’il paiera cher. Il est en effet contraint de s’exiler à Londres entre 1871 et 1879 en raison de sa participation à la Commune de Paris. À son retour, il concourt pour le monument à la République voulu par la Ville ; il échoue mais le jury retient son projet pour orner la place de la Nation.
Par ailleurs, Dalou participe, comme tout statuaire, à glorifier les grands hommes de son temps. Il conçoit par exemple un monument à Jean-Charles Alphand, qui va transformer la capitale à la tête du service des Promenades et des Plantations puis en devenant directeur des Travaux de Paris. Avec ce monument, Dalou rend hommage aux hauts fonctionnaires et aux artistes qui ont œuvré à ses côtés, mais également aux ouvriers municipaux qui sont présentés dans de grands bas-reliefs comme des acteurs majeurs de la transformation urbaine.
Quelques années plus tard, il relève un défi d’une toute autre nature en réalisant un « monument-réclame » à l’automobilisme, avec un relief monumental en l’honneur de l’ingénieur Émile Levassor, vainqueur de la première course automobile du monde Paris-Bordeaux-Paris.
En revanche, Dalou ne peut mener à bien son Monument aux Travailleurs, en hommage au monde ouvrier. Les très nombreuses esquisses modelées pour ce projet sont heureusement conservées au Petit Palais, qui fait l’acquisition du fonds d’atelier du sculpteur en 1905.
Monument à Jean-Charles Alphand
Jules Dalou, pierre, 1899, Paris 16e
Monument de l’automobiliste
Jules Dalou, marbre, 1907, Paris 16e
A gauche : Monument à Jean-Charles Alphand. Jules Dalou, pierre, 1899, Paris 16eA droite : Monument à Émile Levassor. Jules Dalou, marbre, 1907, Paris 16e
« Dalou participe, comme tout statuaire, à glorifier les grands hommes de son temps (...) mais également les ouvriers »
Des statues dans Paris
Comment trouver sa place ?
Implanter une statue sur la voie publique est un geste symbolique fort. Que l’initiative d’un projet de monument soit portée par la Ville de Paris ou par un comité de citoyens, dès lors que le lieu de destination de la sculpture est validé par un vote en conseil municipal, la Ville est engagée.
Monument à Danton. Auguste Paris, bronze, 1891, Paris 6e
Monument à Danton. Auguste Paris, bronze, 1891, Paris 6e.
Les promoteurs des différents projets œuvrent tous pour obtenir un site de premier ordre, qui fait sens pour le sujet représenté. Ainsi, après de vifs débats en conseil municipal, la statue de Danton (à gauche) est élevée en 1891 à l’emplacement même de la maison où il avait été arrêté en 1794, avant d’être guillotiné.
Malgré la consultation de la commission de la voirie, trouver un lieu adéquat n’est pas chose aisée. En effet, l’urbanisme haussmannien n’est pas pensé pour accueillir des sculptures qui se multiplient à la fin du XIXe siècle et qui, bien souvent, ne sont pas conçues pour un site spécifique.
Des voix s’élèvent alors contre ce « trop-plein » de statues et réclament des mesures plus rigoureuses pour limiter le phénomène ; on envisage même sérieusement en 1910 puis en 1937 de transporter les statues en trop grand nombre sur le terrain des anciennes fortifications.
La statue de Jeanne d’Arc par Émile-François Chatrousse a été acquise au Salon par la Ville de Paris et installée dans le 13e arrondissement à la demande des habitants du quartier. Les archives de la Ville conservent des témoignages des études menées par l’administration sur l’implantation de cette œuvre, le long de la rue éponyme.
Ci-dessus : Dessins techiques préalables à l’implantation de la statue de Jeanne d’Arc par Chatrousse
Comment naît une sculpture ?
De l’esquisse au modèle en plâtre
À l’origine de tout projet artistique, une idée. La marge de manœuvre du sculpteur est variable. S’il participe à un concours, il doit suivre le programme détaillé dans le règlement, parfois très précis et mentionnant les différents éléments du monument.
En revanche, s’il décide de sa propre initiative de présenter une œuvre au Salon en espérant être remarqué par la Ville et acquis, il dispose d’une plus grande liberté dans le choix de son sujet et dans la manière de le traiter.
Pour concevoir son œuvre, le cheminement de l’artiste va se décliner sur des supports variés et à différentes échelles. Il va d’abord jeter ses premières idées sur le papier avec des dessins plus ou moins aboutis. Il travaille ensuite en trois dimensions en modelant des esquisses en terre crue très fragiles. Certaines vont être cuites, se conserver plus longtemps dans l’atelier et peuvent aujourd’hui être exposées dans des musées, comme au Petit Palais qui en présente de nombreux exemples. Quand l’artiste a défini les grandes lignes de sa composition, il crée une ou plusieurs œuvres en plâtre, plus détaillées et de taille plus conséquente. La Ville de Paris conserve de très nombreux modèles en plâtre, souvent à taille réelle, pour les monuments qu’elle a commandés.
Maquette du monument à Maryse Bastié. Félix Joffre
Un sculpteur modelant une esquisse dans son atelier
Anonyme, photographie
Auguste Rodin dans son atelier. René Giton, photographie
A gauche : Maquette du monument à Maryse Bastié. Félix Joffre.Au centre : Un sculpteur modelant une esquisse dans son atelier.A droite : Auguste Rodin dans son atelier. René Giton, photographie.
De pierre et de métal
Les techniques traditionnelles de la sculpture
Une fois le modèle validé, la sculpture est mise en œuvre dans un matériau résistant afin de demeurer en bon état le plus longtemps possible malgré son exposition en extérieur. Jusqu’au XXe siècle, le bronze (alliage de cuivre et d’étain) et la pierre ont été majoritairement utilisés. Le bronze est obtenu par fonte, la pierre par taille.
La fonte d’une statue est une opération complexe, longue et coûteuse qui nécessite l’intervention d’une fonderie. Le principe consiste à fabriquer un moule dans un matériau suffisamment résistant pour supporter le contact avec le métal en fusion : la terre cuite. Le moule comprend un noyau, en terre cuite également, dont le rôle est d’occuper le creux du moule en ne laissant que la place suffisante pour l’épaisseur du bronze. La coulée du métal chauffé à l’état liquide est brève et spectaculaire. Après refroidissement, démoulage et reprise des défauts de surface, la patine est l’ultime étape : cette fine couche d’oxydation superficielle contrôlée détermine la couleur de l’œuvre.
Chez le fondeur. Jean-François Raffaëlli, huile sur toile, 1886, musée des Beaux-Arts de Lyon.
Couple de lutteurs corps à corps (série Nouba). Ousmane Sow, bronze, Paris Centre
A gauche : Chez le fondeur. Jean-François Raffaëlli, huile sur toile, 1886, musée des Beaux-Arts de Lyon.A droite : Couple de lutteurs corps à corps (série Nouba). Ousmane Sow, bronze, Paris Centre.
Il existe une grande variété de pierres aux compositions, aspects et couleurs différents. Le marbre en est une des plus célèbres, très appréciée pour la statuaire depuis l’Antiquité. La reproduction exacte d’un modèle par la taille nécessite que de nombreux points de mesure soient reportés du modèle sur le bloc de pierre, d’où son nom de « taille avec mise au point ». Il est très courant que l’artiste délègue ce travail à un spécialiste de cette technique, appelé praticien.
Étude pour la tête de Balzac. Auguste Rodin, plâtre, vers 1897.
Ossip Zadkine taillant le bois de Rebecca ou La grande porteuse d’eau dans son atelier. Anonyme, photographie, vers 1927
A gauche : Étude pour la tête de Balzac. Auguste Rodin, plâtre, vers 1897.A droite : Ossip Zadkine taillant le bois de Rebecca ou La grande porteuse d’eau dans son atelierAnonyme, photographie, vers 1927.
Paul Landowski (1875-1961)
Le maître de l’art public de l’entre-deux-guerres
Quel est le point commun entre le célèbre Christ Rédempteur de Rio de Janeiro, les monuments à Paul Adam et à l’amiral de Grasse des jardins du Trocadéro et la sainte Geneviève du pont de la Tournelle ?
Sainte-Geneviève
On les doit tous au ciseau de Paul Landowski, l’un des sculpteurs les plus représentés dans l’espace public parisien avec une dizaine d’œuvres installées dans tout Paris.
Se destinant à l’origine à des études littéraires, c’est après un passage à l’Académie Julian que Landowski intègre les Beaux-Arts en 1895, dont il sort lauréat du prix de Rome en 1900. Son talent lui permet d’accéder très tôt aux commandes publiques les plus prestigieuses. Après la Première Guerre mondiale où il participe à la bataille de la Somme, il devient le sculpteur le plus sollicité par les collectivités publiques pour lesquelles il réalise, notamment, plus de 80 monuments aux morts.
Directeur de la Villa Médicis, puis des Beaux-Arts, il participe sous l’Occupation au fameux « voyage à Berlin », pensant ainsi obtenir la libération de ses élèves prisonniers de guerre, en vain. Bien qu’innocenté à la Libération, il en éprouvera des remords toute sa vie.
Statue de sainte Geneviève (détail), Paul Landowski, pierre, 1928, Paris 5e
Dès ses débuts, l’art de Landowski porte les marques de ce qui fera son succès : une expressivité et un réalisme des visages mêlés à une monumentalité des drapés qui annonce déjà la sculpture des années 1930.
Monument à Paul Adam. Paul Landowski, pierre, 1931, Paris 16e.
Monument à l’amiral de Grasse. Paul Landowski, bronze, 1931, Paris 16e
A gauche : Monument à Paul Adam. Paul Landowski, pierre, 1931, Paris 16e.A droite : Monument à l’amiral de Grasse. Paul Landowski, bronze, 1931, Paris 16e
À sa mort en 1961, son atelier de Boulogne-Billancourt est transformé en musée. Ses collections sont transférées depuis 2017 au musée des Années 30 de cette ville.
L’inauguration du monument à la République des frères Morice le 14 juillet 1880 est un véritable événement populaire et républicain, installant la toute jeune République. Ce n’est cependant pas le monument définitif qu’Alfred-Philippe Roll représente ici, mais son modèle en plâtre. Comme c’était souvent le cas, l’œuvre définitive n’était pas encore achevée le jour de l’inauguration. Elle ne fut installée que trois ans plus tard, le 14 juillet 1883.
14 Juillet 1880, inauguration du monument à la République. Alfred-Philippe Roll, huile sur toile, 1882 (CC0 Paris Musées / Petit Palais)
14 Juillet 1880, inauguration du monument
à la République
Alfred-Philippe Roll, huile sur toile, 1882
CC0 Paris Musées / Petit Palais
L’inauguration
Premier moment du culte aux grands hommes
Un monument fait souvent l’objet d’une inauguration qui marque l’achèvement du projet et l’apothéose du comité qui en fut le porteur.
Elle permet aux membres du comité de s’associer à la gloire du grand homme. Ils y participent depuis la tribune d’honneur décorée aux couleurs nationales, accompagnés des proches du héros et des officiels, devant une foule plus ou moins massive selon l’importance du monument et du personnage célébré.
Selon un rituel immuable, à une date soigneusement choisie, correspondant à un événement significatif de la vie du grand homme célébré, la cérémonie commence par l’enlèvement de la bâche qui protégeait jusqu’alors le monument aux regards des curieux. Suit une alternance de discours, noyaux de toute inauguration, et de morceaux de musique ou de récitations. L’inauguration se termine généralement par des spectacles ou des parades, auxquels sont souvent associés les écoliers du quartier, dûment accompagnés de leurs instituteurs, ces « hussards noirs » de la toute jeune IIIe République. Le monument se veut, en effet, un complément à la leçon de l’instituteur et un vecteur des valeurs républicaines. La cérémonie joue ainsi un rôle mémoriel essentiel, inaugurant le culte aux grands hommes que prolongent ensuite les cérémonies annuelles de commémoration.
Inauguration de la statue de Pasteur. Le Petit Journal. Supplément du dimanche 24 juillet 1904
Inauguration du Triomphe de la République. Le Monde Illustré du 25 novembre 1899
A gauche : Inauguration de la statue de Pasteur. Le Petit Journal. Supplément du dimanche 24 juillet 1904.A droite : Inauguration du Triomphe de la République. Le Monde Illustré du 25 novembre 1899.
« L’inauguration d’une statue monumentale de la République à Paris ne répond pas seulement au sentiment de la grande ville ; c’est une fête nationale en laquelle s’associe la France entière. »
Discours du préfet de la Seine, M. Oustry, pour l’inauguration de la statue de la République
Le monument
témoin de son temps
Certains monuments publics parisiens sont des objets mis au service du culte aux grands hommes. Leur vie est rythmée par les cérémonies de commémoration dont ils sont le support.
Peuplant l’espace public de la ville, certains disent que les monuments s’y fondent tellement qu’ils y disparaissent, et deviennent l’arrière-plan de la vie quotidienne comme des événements de portée nationale ou internationale.
Le Lion de Belfort se fait ainsi le témoin du transfert des cendres de Gambetta au Panthéon ou de celles du soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe. Et, à la Libération de Paris, la jeep du général Leclerc ne manque pas de passer devant lui lorsqu’elle parcourt les lieux emblématiques de la capitale.
Le cercueil du soldat inconnu devant le Lion de Belfort, Paris 14e
Photographie, 1920
Passage de l’armée Leclerc devant le Lion de Belfort, Paris 14e
Marc Langevin, photograhie, 1944
A gauche : Le cercueil du soldat inconnu devant le Lion de Belfort, Paris 14e. Photographie, 1920.A droite : Passage de l’armée Leclerc devant le Lion de Belfort, Paris 14e. Marc Langevin, photograhie, 1944.
La statue de la République dégagée de ses sacs de terre, place de la Nation, Paris 12e
La statue de la République dégagée de ses sacs de terre, place de la Nation, Paris 12e. Photographie, 1918
Objet de toutes les attentions, il est, comme tous les principaux monuments parisiens, soigneusement protégé par des sacs de sable lors des deux conflits mondiaux et sert ensuite de panneau aux affiches enjoignant les Français à souscrire à l’emprunt national. Car le monument reste, avant tout, un symbole politique fort qui fait de lui le support idéal de la vie publique de Paris et du pays en général.
Vers une commémoration spontanée
Le nouveau rapport aux monuments publics
Les bouleversements que connaissent la société française dans les années 1960 vont profondément changer le rapport aux monuments publics, à mesure que s’évanouissait également la mémoire des héros de la IIIe République.
À l’exception de quelques monuments d’envergure nationale ou internationale, peu font l’objet de commémorations officielles, tandis que de nouvelles formes d’appropriation iconoclaste par la population apparaissent.
Le monument public devient alors le support direct de l’expression populaire qui fait désormais fi des cérémonies ou événements officiels, comme le monument à la République après les attentats de novembre 2015.
Comme un nouveau culte aux grands hommes, le pied de la statue de Montaigne dont le contact est censé porter chance avant les examens, ou le buste de Dalida gardent ainsi la trace de ces marques d’affection, dans un acte qui n’est pas sans rappeler celui dont font l’objet certaines statues de saints. D’autres sont, non sans humour, régulièrement maquillées ou habillées.
Est-ce à dire que la valeur mémorielle des monuments a disparu ? Non, bien au contraire. Mais elle s’exprime désormais à l’occasion d’actions mémorielles spontanées de la part des Parisiens et non plus organisées par la puissance publique. Celles-ci sont suscitées par des événements marquants de l’histoire récente ayant soulevé des vagues d’émotions fortes, comme les attentats de novembre 2015 ou la mort de Lady Di, qui ont fait du monument à la République et de la flamme du Pont de l’Alma les réceptacles du recueillement populaire.
Flamme de la Liberté transformée en mémorial à Lady Diana Cuivre doré, 1989, Paris 16e
Flamme de la Liberté transformée en mémorial à Lady Diana Cuivre doré, 1989, Paris 16e
Buste de Dalida. Alain Aslan, bronze, 1997, Paris 18e
Buste de Dalida. Alain Aslan, bronze, 1997, Paris 18e
Haim Kern, bronze, 1990, Paris 6e.
Souvent à caractère revendicatif, le graffiti peut également prendre une forme plus légère. Certains monuments sont ainsi « maquillés » et même habillés, comme ici le buste de François Mauriac. Malgré son caractère humoristique, cette nouvelle forme d’appropriation de la statuaire publique par la population n’en demeure pas moins une source de dégradation pour les œuvres.
Haim Kern, bronze, 1990, Paris 6e.
Fleurs déposées au pied de la statue de la République en hommage aux victimes des attentats du 13 novembre 2015.
Le monument à la République de Léopold Morice devint le réceptacle de l’immense émotion suscitée par les attentats de novembre 2015. Des milliers de Parisiens, de Français, mais aussi d’étrangers, vinrent pendant des mois y déposer les témoignages de leur chagrin et de leur solidarité. Exceptionnellement, la Ville de Paris, s’associant à la douleur de tout un peuple, choisit ne pas nettoyer le monument pendant plus de 6 mois.
Les statues de Paris dans la guerre
La fonte des bronzes (1940-1944)
Nous sommes en juillet 1941.
Le régime de Vichy lance une collecte d’objets métalliques sous couvert d’alimenter l’agriculture et l’industrie françaises, en cuivre notamment. Dans les faits, le métal réquisitionné est envoyé en Allemagne. La campagne est un échec et les quantités récoltées s’avèrent insuffisantes.
Pour répondre à cet échec, une loi portant sur l’enlèvement des statues et monuments métalliques en vue de leur refonte est décrétée le 11 octobre 1941, ce qui signe l’arrêt de mort de nombreuses statues en bronze, en particulier celles « qui ne présentent pas un intérêt artistique ou historique ».
La lenteur volontaire des services et des élus dans la mise en œuvre d’une telle mesure est alors destinée à gagner du temps pour la préservation de ces statues.
Bras de statue
Pierre Jahan, photographie, 1941
Manipulation de la statue de Louis-Adolphe Thiers
Pierre Jahan, photographie, 1941
Crocodiles de la place de la Nation. Pierre Jahan, photographie, 1941
A gauche : Bras de statue. Pierre Jahan, photographie, 1941.Au centre : Manipulation de la statue de Louis-Adolphe Thiers. Pierre Jahan, photographie, 1941.A droite : Crocodiles de la place de la Nation. Pierre Jahan, photographie, 1941.
En pratique, les œuvres visées – principalement les figures républicaines – sont celles qui sont jugées incompatibles avec la Révolution nationale du maréchal Pétain. Le plus souvent, les représentations de saints, de souverains, les monuments aux morts et les monuments funéraires sont épargnés. Le déboulonnage concerne l’ensemble du territoire métropolitain, les communes étant dédommagées selon le poids des statues sacrifiées.
Dans Paris occupé, les monuments à Édith Cavell – héroïne britannique fusillée par les Allemands en 1915 – et au général Mangin, jugés provocateurs par l’Occupant, sont les premiers déposés, avant même la parution de la loi. Ensuite, une centaine de statues sont envoyées dans l’entrepôt des ferrailleurs du 12e arrondissement.
Bronzes fondus à Paris sous l’Occupation
Voici une cartographie d’une centaine d’œuvres fondues pendant l’Occupation, dans tout le territoire parisien. Certains monuments ont totalement disparu, d’autres ont été partiellement détruits, répartis dans la quasi-totalité des arrondissements de Paris.
25 août 1944 : Paris libéré ! La destruction massive des statues en bronze a suscité de nombreuses plaintes et protestations émanant de toute la société.
Après la guerre, la direction des Beaux-Arts de la Ville de Paris se rapproche de la direction des Arts et des Lettres du ministère de l’Éducation nationale pour mettre en œuvre un programme de remplacement des sculptures et monuments détruits. L’État se charge des commandes de nouvelles statues en pierre – et non plus en bronze – tandis que la Ville de Paris se voit confier l’implantation urbaine avec la gestion des socles.
Cependant, toutes les statues ne sont pas remplacées et des socles, dont l’enlèvement serait trop coûteux, restent donc vides. Certains d’entre eux gardent malgré tout une forte valeur symbolique comme celui de Raspail, toujours orné d’une palme et de bas-reliefs en bronze.
Socle du monument de Raspail, Paris 14e
Socle du monument de Raspail, Paris 14e
Il faut attendre 1983 avec Maria Deraismes et 1991 avec Condorcet pour que des statues appartenant à la Ville soient refondues en bronze grâce aux modèles en plâtre conservés dans les collections municipales. À cela s’ajoute par exemple, en 2001, l’initiative d’une association, autorisée par la Ville de Paris, en faveur de la création d’un monument de substitution au chevalier de La Barre, campé dans la force de l’âge plutôt qu’enchaîné au pilori comme dans l’ancienne version.
Statue de Maria Deraismes
Statue de Maria Deraismes, bronze, 1889 / Statue de Maria Deraismes (recréation), bronze, 1983
Statue du chevalier de la Barre, Armand Bloch, bronze, 1905 / Le chevalier de la Barre, Emmanuel Ball, 2001
Enfin, une autre voie est celle de la commande de monuments contemporains faisant abstraction de l’ancienne statue et symbolisant l’œuvre ou la vie du grand homme pour en évoquer la mémoire. La Quatrième Pomme de Scurti, par exemple, a été inaugurée en 2011 et a pris place sur un socle en pierre qui supportait originellement une statue de Charles Fourier, laquelle a été fondue en 1942. Le titre de l’œuvre fait d’ailleurs directement référence à une théorie de Fourier.
La Quatrième Pomme. Franck Scurti, acier, 2011, Paris 18e
La Quatrième Pomme. Franck Scurti, acier, 2011, Paris 18e
La Quatrième Pomme. Franck Scurti, acier, 2011, Paris 18e
Causes diverses d’altérations
Dégradations naturelles ou humaines
Exposée aux intempéries et aux dégradations, la statuaire dans l’espace public est soumise à rude épreuve. Les causes de dégradations sont de deux types - naturelles ou humaines - et peuvent survenir brutalement, ou au contraire être le fait de l’accumulation des années.
Les dégradations naturelles à effet immédiat et catastrophique sont imprévisibles (tempêtes, foudre, inondations, etc.) mais ne sont pas les plus courantes. À l’inverse, les causes humaines, comme les actes de vandalisme, sont nombreuses à Paris. Lors de manifestations, la statuaire, plus que toute autre expression artistique et parce qu’elle peut incarner une idéologie (passée ou présente), cristallise la colère de certains manifestants.
Déploiement d’une nacelle pour nettoyer le monument à la République, recouvert d’inscriptions à l’issue d’une manifestation
Bras brisé et marques de peintures sur La Montmartroise. Théophile Camel, pierre, 1907, Paris 18e
A gauche : Déploiement d’une nacelle pour nettoyer le monument à la République, recouvert d’inscriptions à l’issue d’une manifestation.A droite : Bras brisé et marques de peintures sur La Montmartroise. Théophile Camel, pierre, 1907, Paris 18e
Les dégradations à effets lents et cumulatifs sont prévisibles telles la pollution, l’érosion, les restaurations à répétition, les pluies acides entraînant des phénomènes d’oxydation ou la formation de croûtes noires, le gel dégradant la pierre, la proximité des oiseaux dont les fientes sont très agressives pour les matériaux du patrimoine. C’est pourquoi toute commande de statuaire pour l’espace public doit idéalement être assortie d’une prise en compte préalable des risques encourus. Éviter de positionner les œuvres à proximité ou sous les arbres, vérifier que le matériau choisi est compatible avec une exposition prolongée en extérieur, qu’il n’est pas sensible au gel ou que le soleil ne modifie pas sa couleur relèvent de la responsabilité des commanditaires afin de préserver et transmettre ce patrimoine aux générations futures.
Micro-organismes (mousses) et croûtes noires sur le Monument à Paul Adam. Paul Landowski, pierre, 1931, Paris 16e
Encrassement généralisé et croûtes noires sur Charlemagne et ses Leudes (détail). Louis Rochet, bronze, 1877, Paris Centre
A gauche : Micro-organismes (mousses) et croûtes noires sur le Monument à Paul Adam. Paul Landowski, pierre, 1931, Paris 16eA droite : Encrassement généralisé et croûtes noires sur Charlemagne et ses Leudes (détail). Louis Rochet, bronze, 1877, Paris Centre
Un effort quotidien pour préserver et restaurer
Pour nettoyer la surface des œuvres — plus couramment appelée l’épiderme — il convient de différencier les moyens physiques qui nécessitent une action mécanique, des moyens chimiques qui reposent sur l’action d’un produit au contact du matériau.
Dans la première catégorie se rangent l’aspiration, le brossage ou le micro-sablage qui consiste à projeter sous pression une poudre très fine qui agit sur l’encrassement comme une gomme sur un papier. Les moyens chimiques, quant à eux, mettent en œuvre divers produits et des solvants dont le principal est l’eau. Dans la plupart des cas, actions mécaniques et chimiques sont conjuguées pour plus d’efficacité.
Nettoyage d’un plâtre à Ivry
Nettoyage d’un plâtre à Ivry
Suite aux agressions répétées, à l’encrassement quotidien, il devient parfois difficile de nettoyer certains matériaux comme la pierre, surtout si elle est tendre et poreuse et que les produits liés aux altérations ont profondément pénétré dans la matière. Dans ce cas, on pose un revêtement de surface spécifique, qui ne modifie pas l’aspect de l’œuvre et dont le rôle est de supporter les dégradations. Lorsque cette couche est à son tour endommagée, elle est retirée et remplacée par une nouvelle, d’où son nom : couche sacrificielle. Pour les bronzes, la pose régulière de couches de cires liquides teintées permet de les protéger, en particulier des tags. Elles ont alors cette dimension sacrificielle et sont renouvelées régulièrement.
Nettoyage du Triomphe de la République. Place de la Nation, Paris 12e
Restauration fondamentale
et restitution des lacunes
Après plusieurs dizaines d’années d’exposition en extérieur, voire plusieurs siècles, certains monuments ou statues nécessitent une restauration dite fondamentale, c’est-à-dire portant tout à la fois sur la surface et la structure.
Prenons l’exemple des bronzes du XIXe siècle : ils sont équipés d’armatures intérieures en fer qui rouillent, ces œuvres nécessitent un accès à leur cœur pour être traitées. La dépose du monument et son transfert en atelier sont parfois indispensables pour intervenir dans des zones inaccessibles depuis l’extérieur lorsque le monument est en place. La rouille est éliminée, le métal traité et les structures trop endommagées sont remplacées par des matériaux non oxydables (acier, fibres de carbone). C’est ainsi qu’il a fallu en 2001 déplacer le Lion de Belfort d’Auguste Bartholdi de la place Denfert-Rochereau (14e).
Restauration des armatures intérieures du Lion de Belfort.
Dépose du Lion de Belfort pour avoir accès à l’intérieur de la statue.
A gauche : Restauration des armatures intérieures du Lion de Belfort.A droite : Dépose du Lion de Belfort pour avoir accès à l’intérieur de la statue.
En ce qui concerne la pierre, le gel, l’érosion et le fait que le public grimpe souvent sur les œuvres entraînent des casses et des pertes (ou vols) de parties : mains, accessoires, etc. La restitution de l’élément manquant ne peut se faire que s’il est documenté par des photographies, ou par le modèle original en plâtre s’il est conservé. La partie est alors modelée à l’identique puis taillée en prenant des mesures, dans une pierre de porosité et de couleur similaires. Récemment, dans le Jardin des Explorateurs (6e), les mains de L’Aurore, groupe en marbre de Carrare sculpté en 1867 par François Jouffroy, ont ainsi été restituées, à la satisfaction des promeneurs.
L'Aurore
L'Aurore
A gauche : L’AuroreA droite : L’Aurore après la restitution de ses mainsFrançois Jouffroy, marbre, 1867, Paris 6e
Monument à Gavarni
Érigé à l’initiative des habitants du quartier qu’il habitait, ce monument rend hommage à Paul Gavarni (1804-1866), dessinateur célèbre pour ses scènes de mœurs dans lesquelles il caricaturait les comportements humains et bourgeois. Le monument a été restauré en 2020 grâce au budget participatif de Paris.
Monument à Gavarni. Denys Puech, pierre, 1911, Paris 9e
Monument à Gavarni
Grand rival d’Honoré Daumier, il s’était fait une spécialité de l’illustration du carnaval de Paris, comme le rappelle le décor sculpté du fût de la colonne sur lequel on peut reconnaître des personnages emblématiques, comme Arlequin ou un « débardeur », une femme portant un pantalon masculin.
Monument à Gavarni. Denys Puech, pierre, 1911, Paris 9e
Un musée de sculpture en plein air
Le jardin Tino-Rossi (Paris 5e)
Dédié au culte des grands hommes, l’espace public parisien a longtemps fait la part belle à la sculpture figurative, ne laissant qu’une place congrue à l’art abstrait.
Il faut attendre la fin des années 1970 et le début des années 1980 pour que la sculpture, dans ses formes les plus contemporaines, s’impose dans le paysage parisien. Inauguré en novembre 1980 à l’emplacement d’un ancien quai de déchargement, le musée de la Sculpture en plein air prend la forme d’un jardin à la japonaise aménagé, selon le souhait de Jacques Chirac, alors maire de Paris, sur le modèle du jardin de sculptures d’Hakone au Japon.
Interpénétration des deux espaces. Guy de Rougemont, tôle, 1975.
Interpénétration des deux espaces. Guy de Rougemont, tôle, 1975.
S’intégrant dans le grand élan de commandes d’œuvres du début des années 1980, le jardin Tino-Rossi appartient également au mouvement mondial de création de musées de sculpture en plein air initié dans les années 1950 et dont le modèle du genre reste le musée Middelheim à Anvers.
S’éloignant de la grande tradition du monument public commémoratif, le jardin Tino-Rossi offre ainsi aux Parisiens, à travers les œuvres des plus grands noms de la sculpture de la deuxième moitié du XXe siècle (Brancusi, César, Schöffer, Marta Pan, Cardenas, etc.), un panorama de la création contemporaine des années 1940 aux années 1980, et impose définitivement les formes les plus audacieuses de l’art d’aujourd’hui comme ornement de l’espace parisien.
La Grande Fenêtre. Augustin Cardenas, marbre, 1974
Le Grand Signe. Marta Colvin, bronze, 1970
Sans titre. Albert Féraud, acier inox, 1979
A gauche : La Grande Fenêtre. Augustin Cardenas, marbre, 1974Au centre : Le Grand Signe. Marta Colvin, bronze, 1970A droite : Sans titre. Albert Féraud, acier inox, 1979
La statuaire publique contemporaine
L’art au service de l’espace urbain
Si l’édification des masses et la transmission des valeurs républicaines sous-tendaient la statuomanie de la IIIe République, c’est aujourd’hui pour soutenir la création artistique et rendre l’art contemporain accessible au plus grand nombre que la Ville de Paris mène une politique de commande d’œuvres d’art pour l’espace public.
Loin du culte des grands hommes du siècle précédent, les projets d’aménagement urbain sont désormais l’occasion principale de commandes d’œuvres d’art, ornements naturels de l’espace urbain. L’aménagement des deux premières tranches du tramway a ainsi vu la création d’une vingtaine d’œuvres très variées, commandées. Jusqu’ici seul acteur de la commande, la Ville a profité du prolongement de la ligne le long des boulevards des Maréchaux Nord pour renouveler son approche, et donner un rôle plus actif aux citoyens à travers un partenariat signé avec la Fondation de France et son action Nouveaux Commanditaires, qui associe artiste, citoyens et médiateur culturel, comme un écho aux comités de la IIIe République et un retour aux sources de la commande publique.
Monochrome for Paris. Nancy Rubins, acier inox, aluminium, 2013, Paris 13e
Monochrome for Paris. Nancy Rubins, acier inox, aluminium, 2013, Paris 13e
Le caractère mémoriel des monuments n’est pour autant pas complètement écarté, et la commande d’œuvres d’art accompagne toujours la volonté de rendre hommage à des figures historiques ou des moments importants de l’histoire nationale, où les formes abstraites ou allusives remplacent souvent la représentation figurée.
Skate Park. Peter Kögler, béton, 2006, Paris 13e
Skate Park. Peter Kögler, béton, 2006, Paris 13e (Suite aux nombreuses dégradations dont il faisait l’objet, Skate Park a été modifié par l’artiste lui-même. Des cercles concentriques noirs et blancs remplacent désormais la mappemonde initiale.)
Le défi des nouveaux matériaux
Si le bronze et la pierre, seuls matériaux alors connus résistant aux conditions extérieures, ont longtemps dominé l’espace public, les œuvres commandées à partir de la fin des années 1970 ont fait surgir dans la ville de nouveaux matériaux d’une très grande diversité.
Alliages modernes comme l’inox et l’acier Corten, matériaux synthétiques comme les plastiques et autres résines armées, constituent désormais la plupart des œuvres commandées et installées dans l’espace urbain parisien.
À partir des années 2000, à l’occasion des aménagements des différents tronçons du tramway, de nouveaux types d’œuvres lumineuses, sonores ou animées par des mécanismes complexes font leur apparition dans la ville. D’une réalisation souvent extrêmement sophistiquée, conçues avec des matériaux nouveaux, les œuvres contemporaines posent de nouveaux défis aux services chargés de leur conservation et de leur préservation.
01 / 06
Les Rochers dans le ciel
Didier Marcel, résine, 2012, Paris 13e.
Les Rochers dans le ciel
Chronos 10
Nicolas Schöffer, acier inoydable, 1977, Paris 5e
Chronos 10
From Boullée to Eternity
Dan Graham, verre, 2006, Paris 15e
From Boullée to Eternity
Cœur de Paris
Joana Vasconcelos, faïence, 2019, Paris 18e
Arche de la Fraternité
Georges Rousse, acier, 1947, Paris 13e
Fers
Driss Sans-Arcidet, acier corten, 2009, Paris 17e
Deux gigantesques fers d’esclave ouverts, rouillés par le temps, c’est à travers cette représentation forte de sens que l’artiste Driss Sans-Arcidet a tenu à rappeler le drame du commerce triangulaire. Commandée en 2006 par la Ville de Paris en commémoration de l’abolition de l’esclavage, Fers est aussi un hommage aux origines de Thomas-Alexandre Dumas (1762-1806), général de la Révolution française, père d’Alexandre Dumas, dont la statue s’élevait à cet emplacement jusqu’à sa fonte sous l’Occupation.
La statuaire au musée
Trois musées pour accueillir des collections prestigieuses
La statuaire publique se déploie également dans les 14 musées de la Ville de Paris et en particulier dans trois musées d’exception : le Petit Palais (Paris Centre), le musée Zadkine (Paris 6e) et le musée Bourdelle (Paris 15e).
Depuis son inauguration en 2018, la galerie des sculptures du Petit Palais présente 31 sculptures qui permettent au public de mieux comprendre la statuaire du XIXe siècle. La sélection des sculptures présentées évoque l’exubérance et le foisonnement des styles de la fin du XIXe siècle avec des artistes renommés comme Bartholdi, mais également des œuvres moins connues voire inédites.
Petit Palais
Galerie des sculptures du Petit Palais, Paris 8e
Les statues sont également mises à l’honneur dans deux musées monographiques de la Ville de Paris : le musée Bourdelle (15e arrondissement), et le musée Zadkine (6e arrondissement). Ces deux musées, implantés dans les anciens ateliers des artistes auxquels ils sont consacrés, se démarquent par la grande diversité dans les matériaux travaillés, parmi lesquels le bois, la pierre, le plâtre, ou encore la terre. Le musée Bourdelle présente plus de 3 000 sculptures de cet artiste majeur du début du XXe siècle et le Grand Hall du musée offre un formidable écrin pour accueillir les plâtres monumentaux de l’artiste.
Musée Zadkine
A gauche : Grand Hall du musée Bourdelle, Paris 15eA droite : Musée Zadkine, Paris 6e
Galerie des sculptures du Petit Palais, Paris 8e
La réserve des sculptures de la Conservation des œuvres d’art religieuses et civiles de la Ville de Paris : La Ville de Paris conserve une collection exceptionnelle de modèles en plâtre originaux qui témoigne de la politique d’achats et de commandes mise en œuvre, tout particulièrement sous la IIIe République. D’abord conservé dans le « dépôt d’Auteuil », situé dans le 16e arrondissement et très brièvement ouvert au public, cet ensemble fut transféré en 1976 en région parisienne, dans une ancienne usine de traitement des eaux réaménagée pour l’occasion.
Monument à Danton. Auguste Paris, bronze, 1891, Paris 6e.
La statue de la République dégagée de ses sacs de terre, place de la Nation, Paris 12e. Photographie, 1918
Socle du monument de Raspail, Paris 14e
Statue de Maria Deraismes, bronze, 1889 / Statue de Maria Deraismes (recréation), bronze, 1983
Statue du chevalier de la Barre, Armand Bloch, bronze, 1905 / Le chevalier de la Barre, Emmanuel Ball, 2001
Nettoyage d’un plâtre à Ivry
Nettoyage du Triomphe de la République. Place de la Nation, Paris 12e
Interpénétration des deux espaces. Guy de Rougemont, tôle, 1975.
Monochrome for Paris. Nancy Rubins, acier inox, aluminium, 2013, Paris 13e
Skate Park. Peter Kögler, béton, 2006, Paris 13e (Suite aux nombreuses dégradations dont il faisait l’objet, Skate Park a été modifié par l’artiste lui-même. Des cercles concentriques noirs et blancs remplacent désormais la mappemonde initiale.)