
Atelier Espero : l’insertion sur mesure
Soutenu par le Département dans le cadre du budget participatif, Espero combine vocation sociale et environnementale.

Elles viennent d’Ukraine, de Russie, de Guinée, d’Afghanistan, du Kazakhstan. Couturières de métier dans leur pays d’origine, elles ont de l’or dans les mains. Depuis octobre 2023, ces femmes réfugiées travaillent au sein de l’atelier de couture up-cycling de l’association Espero Bretagne, installé à Rennes.
Ces salariées confectionnent des vêtements pour des marques locales et bénéficient également de cours de français et travaillent sur leur futur professionnel. Tout en soutenant l’insertion professionnelle de personnes exilées en France, l’activité d’Espero permet de sauver des rouleaux de tissu de la poubelle.

Marion Levesque, coordinatrice du projet Espero Bretagne. Crédit Photo Thomas Crabot
À l’origine d’Espero Bretagne, il y a la volonté sans failles de Marion Levesque. À Paris, elle découvre l’association Espero . Créé en Ile-de-France en 2016, Espero embauche des personnes dites éloignées de l’emploi dans des métiers liées à la transition écologique : couture en upcycling, apiculture urbaine, maraîchage en permaculture. « J’avais l’idée de ramener ce concept dans ma région natale », explique Marion Levesque.
La couture : un savoir-faire précieux qui se perd
En Ille-et-Vilaine, c’est en couture que les besoins de main d’œuvre sont prégnants. « De nombreuses couturières exilées ont des compétences qui restent ignorées, en parallèle, les marques haut de gamme, de luxe commencent à se relocaliser. Ici, la couture apparaissait plus porteuse en termes de suite de parcours, car de nombreuses entreprises locales rencontrent des difficultés de recrutement. ». RW Couture à Louvigné-du-Désert, les ateliers FIM à Fougères… Il s’agit souvent de maisons qui œuvrent comme « petites mains » des grandes marques de luxe.
Le savoir-faire tend à se perdre, du fait de départs à la retraite, mais aussi parce que ces métiers intéressent moins les jeunes, qui préfèrent souvent être designer à Paris que couturier en Ille-et-Vilaine
Le secteur du textile est en pleine mutation, se tournant davantage vers la seconde main ou l’up-cycling pour diminuer son empreinte environnementale. « Ce n’est que le début, il y a clairement de la place pour ce type de projets ».
L'atelier Espero s'étend sur 100 m2 au sein des locaux de "Comme un établi". Crédit Photo Thomas Crabot
Forte de ce constat, Marion Levesque rencontre les acteurs publics : l’Etat, Rennes Métropole et le Département avec un premier coup de pouce départemental du service insertion. Le projet intègre alors l’incubateur TAG35 dédié aux entreprises de l’économie sociale et solidaire. S’ensuit un diagnostic du territoire, puis une étude de faisabilité. « Nous avons dû ensuite repasser devant le jury d’insertion pour obtenir l’agrément et passer une convention avec l’Etat », ajoute Marion Levesque. En tant qu’entreprise d’insertion, Espero Bretagne a passé une convention avec l’Etat qui lui permet de recevoir une subvention chaque mois, correspondant à 1 quart du coût de fonctionnement, le reste devant provenir du chiffre d’affaires.
45 000 euros du Département pour acheter les machines
Au cours du montage du projet, la possibilité de s’installer dans les locaux de « Comme un établi » à la Donelière se présente. Ensuite, une levée de fonds s'avère nécessaire. « Nous avions déjà bénéficié d’une aide départementale pour l’émergence du projet en tant qu’entreprise de l’économie sociale et solidaire. Notre chargé de projet nous a parlé du budget participatif du Département et on a décidé de candidater ». Et cela fonctionne ! Lauréat du budget participatif, Espero obtient les fonds pour acquérir le matériel : 10 machines à coudre industrielles, des presses, une boutonnière et 2 surfileuses.
L'atelier confectionne des accessoires pour la marque Espero et sous-traite pour des marques locales. Crédit photo : Thomas Crabot
Après plusieurs réunions d’information, des sessions de tests, l’équipe de l’atelier se constitue et l’activité commence en octobre 2023 avec l’embauche de 8 personnes à temps partiel. Pour démarrer, Espero récupère les stocks dormants des ateliers FIM qui s’accumulaient dans leurs entrepôts. L’activité se partage entre la création d’accessoires (bobs, bananes…) à partir de tissus récupérés pour la marque Espero et la sous-traitance pour des marques locales.
Maëlle Pisigo, responsable de l'atelier de couture Espero. Crédit Photo Thomas Crabot
« Les marques viennent nous voir pour fabriquer une série de pièces, souvent en précommande, cela peut être 200 pantalons, 300 robes.. Nous sommes un atelier de confection à façon, à la demande du client », détaille Maëlle Pisigo, responsable de l’atelier de couture et couturière de métier. Dans l’atelier, 200 pantalons spécialement conçus pour faire du vélo, imaginés par une marque locale sont en fabrication.
Un tremplin pour l’avenir
Les salariés d’Espero suivent 3 heures d’enseignement au français par semaine et ils sont accompagnés par une conseillère en insertion professionnelle. Un travail en coaching professionnel doit aussi être mené avec l’antenne rennaise de l’association « la cravate solidaire ». « Le modèle de l’entreprise d’insertion implique des contrats de 2 ans maximum. L’idée est que ce soit un tremplin », explique Marion Levesque. Objectif : lever les freins linguistiques, mais aussi ceux liés au transport, aux ressources financières, au logement, pour faciliter à terme l’insertion professionnelle.
Les salariés de l'atelier Espero aux côtés de leur cheffe d'atelier Maëlle Pisigo. Crédit Photo Thomas Crabot
On travaille en paix, et on s’entend tous bien
Le geste est précis, méthodique, mesuré. Marietou travaille une à une les poches fluo qui seront ajustées au dos des pantalons. Elle est arrivée de Guinée il y a 10 ans. Couturière de métier dans son pays, elle avait l’habitude de confectionner des robes pour enfants. Après avoir obtenu son titre de séjour en juin 2023, elle cherchait un travail qu’elle pouvait exercer avec ses problèmes de dos.
« Je suis allée au CCAS* (centre communal d’action sociale) de Villejean pour avoir des renseignements et conseils sur la recherche d’emplois. La personne de l’accueil m’a dit « il y a une association qui va s’ouvrir bientôt et qui cherche des personnes qui savent coudre ». Cela tombe bien j’ai dit c’est mon métier. C’est comme ça que j’ai rencontré l’équipe d’Espero ». Marietou a rapidement trouvé sa place au sein de l’atelier. « Tout va bien, l’équipe est magnifique, on travaille en paix, je viens au travail sans stress, on s’entend très bien, et même si parfois la langue c’est un peu difficile, on communique très bien ensemble ». Ravie de cette expérience, Marietou pense déjà à l’avenir. « J’aimerais bien être embauchée par une entreprise locale ».
Natalia, salariée de l'atelier Espero. Crédit Photo Thomas Crabot
Elvira, ukrainienne d’origine, avait sa propre mercerie avant la guerre. Arrivée en France en mars 2022 elle a connu Espero via Coallia , association d'accompagnement pour les demandeurs d'asile. Elle est spécialisée dans les matelassages et la découpe de tissus.
Natalia, également ukrainienne était économiste dans son pays, elle est arrivée en France en 2022. Passionnée de couture, elle s’est formée de manière autodidacte. Elle a connu Espero via Coallia. « J’aime travailler ici car j’apprends tous les jours et je peux utiliser du matériel de professionnel et travailler des tissus de qualité », confie-t-elle.
Tatiana, originaire de Russie travaille au sein de l'atelier Espero. Crédit Photo Thomas Crabot
Tatiana est originaire de Russie, pays où elle travaillait dans le textile comme prototypiste et couturière sur mesure. Aujourd’hui, elle est couturière au sein de l’atelier Espero et épaule la cheffe d’atelier Maelle lorsqu’elle doit s’absenter. Tatiana partage son temps entre un emploi de retoucheuse et l’atelier Espero.
« J’ai vu l’annonce sur LinkedIn et j’ai tout de suite envoyé mon CV et ma lettre de motivation pour postuler ». Au-delà de l’esprit d’entraide qui règne au sein de structure, ce qu’elle apprécie particulièrement c’est la possibilité de travailler sur des modèles originaux de créateurs et créatrices. Une perspective qui la motive pour son futur professionnel.
Après Espero, l'opéra ?
« Pour nous étrangers ce n'est parfois pas évident de réfléchir à l’avenir, mais pour ma part j’aimerais créer quelque chose à mon compte ou travailler au sein d’un petit atelier à l’Opéra ou au Théâtre National de Bretagne pour réaliser des costumes, ce que je faisais avant ».
Convivialité et entraide règnent au sein de l'entreprise d'insertion. Crédit photo : Thomas Crabot
Au fond de l’atelier, Sofia et Sarah sont assises côte à côte. En stage de découverte, Sofia observe attentivement chaque geste de Sarah. « Après ce stage, je vais faire une formation de couture », affirme la jeune femme. Sarah, quant à elle, a débuté son travail au sein d’Espero en octobre 2023. Originaire d’Afghanistan, elle est arrivée en France il y a deux ans et demi. « Dans mon pays, je cousais plutôt des robes, des rideaux… Ici, j’ai appris aussi à confectionner des pantalons, ce qui n’était pas mon habitude ».
Les projets d’Espero pour l’année à venir ? « Réussir à verser l’ensemble des salaires, ce qui représente déjà un beau défi ! Et trouver de nouveaux points de vente pour les accessoires de notre propre marque Espero pour développer l'activité », répond Marion Levesque.
Une soixantaine de projets sont lauréats du premier budget participatif du Département d'Ille-et-Vilaine. Plus de 30 000 votes ont été enregistrés. Découvrez tous les projets lauréats en cliquant sur le lien ci-dessous