Stang Illiew
Petite histoire des lavoirs en Bretagne

Introduction
Relique d'un temps où l'eau courante n'existait pas ou était réservées à certaines catégories sociales, le lavoir était autant le lieu où on lavait le linge qu'un lieu social dédié aux échanges entre femmes. Immortalisé par les photographes et les cartes postales, le lavoir est le témoin important de pratiques aujourd'hui disparues.
Dans le cadre des Journées Européenne du Patrimoine, c'est à travers celui de Belle-Île-en-Mer, situé dans le vallon de la Métairie, que nous vous présentons cet espace riche en histoires, en pratiques et en légendes.
Histoire du lavoir
La construction de lavoirs date du XVIII e siècle, c'est durant le XIX e siècle que ces derniers vont connaître un véritable essor.
En effet, c'est à cette époque qu'émergent les théories hygiénistes qui démontrent que le linge sale entraîne la diffusion de maladies graves comme le choléra, la variole ou la rougeole. C'est donc l'État qui va lancer, et en partie financer, la construction de nombreux lavoirs communaux.
Crédit : Photo du lavoir de Chelun (35)
À côté des lavoirs communaux, publics, il existe des lavoirs privés. Le lavoir privé, a contrario du lavoir public, est rattaché à une maison (ou une ferme) que le propriétaire pouvait rendre accessible en échange de petites redevances ou de journées de travail.
Beaucoup de lavoirs sont alimentés en eau par une source. Il existe aussi des lavoirs qui utilisent l'eau d'une rivière (lavoirs au bord de l'eau, bateaux-lavoirs à Chateaulin et Nantes). L'eau qui alimente le lavoir de Stang Illiew est l'eau de ruissellement du vallon de la Métairie.
Aussi, un lavoir peut avoir de multiples formes : simple trou d'eau aménagé, édifice construit à proximité d'une source. Il peut être entouré d'un muret ou couvert d'un toit pour protéger les lavandières et les laveuses.
Élément intéressant, il est possible de connaître le nombre maximum de femmes qui pouvaient fréquenter un lavoir simultanément en comptant le nombre de pierres plates qui se trouvent autour. Les lavandières s'installaient sur ces pierres, favorisant leur accès à l'eau.
Crédit : Photo du lavoir de Le Guerno (56)
Les lavoirs avaient une importante fonction sociale. C’était un lieu exclusivement réservé aux femmes. Elles seules y avaient accès et gare à celui qui osait venir se mêler des affaires des lavandières. Bien que le travail y était pénible, c’était un lieu où les femmes étaient entre elles et jouissaient d’un peu de liberté, hors du foyer familial. Elles pouvaient bavarder, plaisanter, échanger les dernières nouvelles des alentours : naissances, décès, mariages, etc.
La lessive au lavoir pouvait également être prétexte aux commérages et règlement de compte. Une phrase, trouvée sur le mur d'un lavoir, résume très bien la chose : "Au lavoir, on lave le linge et on salit les gens".
À la différence des laveuses qui étaient des simples femmes venant laver le linge de leur famille, les lavandières se faisaient payer pour faire la lessive d'autrui. Faire appel à une lavandière était par ailleurs un signe d'aisance.
Crédit : Photo du lavoir de Lanildut (29)
La lessive, à cette époque, ne se faisaient pas comme aujourd'hui. Le petit linge pouvait être lavé une fois par semaine, mais pour ce qui est des vêtements de travail ou du linge de lit c'était une à deux fois par an lors des grandes lessives.
Par endroits, les grandes lessives se faisaient sur trois jours. Le premier jour était consacré au trempage du linge afin qu'il se libère de la saleté. Le deuxième jour, on entassait le tout dans des cuves, puis on y ajoutait des cendres de différents bois (ajoncs, pommier, chêne, etc.) pour servir de lessive (le savon étant généralement trop cher). Une fois les cendres mises, on versait une grande quantité d'eau bouillante pour faire agir la "lessive". Et enfin, le troisième jour, on emmène le linge au lavoir pour le laver, rincer et essorer le linge.
Crédit : Photo du lavoir de Rannée restauré (35)
Le lavoir Stang Illiew
À Belle-Île-en-Mer, on allait laver son linge au douet. Douet ou doué, en Haute-Bretagne est la pièce d'eau autour de laquelle se rassemblent les laveuses et/ou les lavandières.
En Basse-Bretagne, bien que ce terme soit connu, on trouve d'autres appellations, en langue bretonne, dont celle de stank traduite par étang. La toponymie du lavoir Stang Illiew nous rappelle que la langue originelle des Bellilois est le breton du pays de Vannes.
Pierre Gallen, dans "L’anthologie des expressions belliloises", donne pour stang ou chtang la traduction de vallon, combe, ruisseau. Il mentionne l’accent bellilois qui fait chuinter les mots commençant par st. À Belle-Île, on dit "chtang" voire "chta" et non stang !
On trouve le terme iliav dans les dictionnaires bretons plutôt qu’« Illiew ». Il est traduit par lierre ou lierre grimpant.
Le Stang Illiew est traduit par « le vallon du lierre ».
Crédit : Photo du lavoir de la Métairie en 2019
Disparu, c'est aux alentours des années 2000 que le lavoir ressort de terre. C'est M. Camugli, propriétaire du terrain où se situe le lavoir, qui avertit le Centre Permanent d'Initiatives pour l'Environnement (CPIE) de son existence.
Cependant, le CPIE ne pouvait pas intervenir car le lavoir se trouvait sur une propriété privée. La famille Camugli accepta de céder ses terres au conseil départemental pour permettre une intervention.
C'est en 2010 que le lavoir ressortira de terre, grâce à l'intervention de jeunes angevins encadrés par des animateurs et accompagnés par une éducatrice environnement du CPIE.
Crédit : Photo en vu de dessus des murets du vallon
En 2015, la nature avait repris ses droits mais le CPIE avait bien l’intention de restaurer le site comportant non seulement le lavoir de taille relativement importante mais aussi tout un réseau de murets en pierre. Les bénévoles se sont alors succédés pour défricher le lieu.
Cependant, un important incendie se déclencha le 3 septembre 2018 et ravagea tout le vallon. Heureusement, l’humidité autour du lavoir et surtout les murets de pierres l’entourant, ont contribué à sauver cet élément du patrimoine communal.
Crédit : Photo du vallon suite à l'incendie de septembre 2018
Au mois de décembre 2018, l’association Tiez Breiz, Maisons et Paysages de Bretagne et son président, Gérard Lenain, ont apporté leurs connaissances de maçonnerie de murs de pierres pour guider les bénévoles dans la réfection du mur en amont du lavoir, mur qui menaçait de tomber.
La restauration a consisté au démontage du mur existant, à la stabilisation du terrain puis au remontage de l’ensemble de façon à permettre à l’eau venant de plus haut de s’écouler à un endroit défini sous le mur avant d’aller alimenter le lavoir.
Crédit : Photo détaillée du muret en pierre reconstruit
En 2019, les "chantiers nature" succèdent aux visites avec goûter sur le site, aux réunions publiques pour rendre compte des travaux réalisés, présenter le projet de restauration, recueillir les témoignages et souvenirs des habitants.
Au mois de novembre, une équipe de bénévoles entreprend la restauration proprement dite du lavoir du "Stang Illiew" : le mur existant et la canalisation de l’eau en amont sont reconstruits.
Crédit : Photo des travaux dans le lavoir menés en 2019 par les bénévoles
Pratiques et croyances
Il existe différentes fêtes autour des lavoirs, mais on ne les retrouve pas toutes aux mêmes endroits.
On peut citer la Fête du lavoir où la plus ancienne des laveuses était sacrée reine de la profession et le lavoir était orné de fleurs tandis que des sonneurs animaient la journée.
Il existe aussi le Pardon des blanchisseuses qui avait lieu le premier dimanche après le 15 août. Les laveuses faisaient la quête d’argent auprès de leurs consœurs pour financer les sonneurs qui jouaient le soir pour leur bal. Ils étaient aussi invités à manger lors du banquet.
Crédit : Photo de Pierre Jamet de laveuses faisant la lessive au douët de Grand village (Belle-Ile), dans les années 30
Il existait aussi quelques interdits qu'il ne fallait pas outrepasser. Par exemple, il était interdit d'aller au lavoir le dimanche car travailler un jour de repos pouvait attirer le diable mais aussi attiser la colère de Dieu.
Dans le même esprit, il fallait éviter d'aller laver son linge le samedi. Ce jour était réserver à la Vierge pour qu'elle puisse laver le linge du petit Jésus.
Par ailleurs, il ne fallait surtout pas laver son linge le Vendredi Saint, sous peine de se voir refuser l'accès au Paradis.
Crédit : Carte postale montrant des laveuses au Doué de Ramonet, à Belle-Île
Une créature est associée aux lavoirs, la lavandière de nuit. Selon les croyances, ces lavandières aux visages effrayants sont assimilées à des revenants, bien qu’elles semblent plus proches d’êtres surnaturels. Elles se croisent essentiellement la nuit alors qu’elles sont occupées à laver leur linge. Avoir une interaction avec elles peut mener à la mort ou à subir un châtiment corporel violent (se voir tordre les bras par exemple).
La croyance chrétienne ayant largement marqué les légendes autour des lavandières de nuit, ces dernières sont devenues des âmes errantes punies pour avoir été négligentes et avares. Elles sont donc condamnées à errer sur terre pour y laver du linge la nuit, aux endroits où elles avaient pour habitude de se rendre de leur vivant.
Crédit : Tableau de Yan' Dargent intitulé Les Lavendières de nuit, 1861