150 ans des fontaines Wallace

En 2022, Paris célèbre le 150e anniversaire de l’installation de la première fontaine Wallace dans la capitale.

Un Anglais à Paris

Portrait de Richard Wallace, 1872 © Roger-Viollet/Roger-Viollet
Portrait de Richard Wallace, 1872 © Roger-Viollet/Roger-Viollet

Portrait de Richard Wallace, 1872.

Né à Londres en 1818, Richard Wallace a passé la majeure partie de sa vie en France. Dès l’âge de six ans, il vit à Paris chez la marquise de Hertford (3 rue Taitbout, 9 e ). Le fils aîné de celle-ci, Richard Conway-Seymour, le père naturel supposé de Richard Wallace, se charge de son éducation et lui transmet sa passion pour l’art. Richard Wallace, devenu son secrétaire, aide son mentor à enrichir son extraordinaire collection d’oeuvres d’art. Le 2 août 1870, à la mort de Richard Conway-Seymour, Richard Wallace hérite d’une immense fortune dont le château de Bagatelle que son père avait acquis en 1835. Il met cette fortune au service de ses oeuvres philanthropiques notamment à Paris, à Londres ou encore à Lisburn, en Irlande, dont il fut député au Parlement du Royaume-Uni de 1873 à 1885.

Richard Wallace vit les dernières années de sa vie au château de Bagatelle où il meurt le 20 juillet 1890. Les Parisiens rendirent hommage à celui que l’on surnommait « la providence des pauvres » lors de ses funérailles au Père Lachaise.

À gauche : Parc de Bagatelle, bois de Boulogne, 16 e  arrondissement, Paris. Lord Hertford, Madame Oger et Richard Wallace, entre 1862 et 1872. À droite : Les funérailles de Sir Richard Wallace.

Richard Wallace, bienfaiteur de Paris

Le siège de Paris

Après la défaite de Sedan le 2 septembre 1870, le gouvernement provisoire décide la poursuite de la guerre. Les Prussiens assiègent alors Paris pendant quatre mois jusqu’à l’armistice du 28 janvier 1871. Ce sont les généreux secours qu’il a alors portés aux Parisiens qui ont valu à Richard Wallace la reconnaissance des habitants de la capitale. Resté à Paris, il met son énergie et sa fortune au service des Parisiens : il établit des hôpitaux de campagne, fait des dons en argent et en nature (pain, charbon ou bois), lance des souscriptions en faveur des blessés ou des indigents et sillonne Paris pour faire distribuer des bons alimentaires dans les mairies d’arrondissement.

Pendant le siège de Paris, l’approvisionnement des deux millions d’habitants que compte alors la capitale est impossible. Les scènes de queues devant les magasins d’alimentation ou les cantines municipales sont nombreuses. Wallace fit distribuer des bons de soupe à la population affamée.

Cantine municipale pendant le siège de Paris (1870-1871). Henri Pille. CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris

Richard Wallace fonda deux ambulances (des hôpitaux de campagne) destinés à secourir les blessés, l’une pour les soldats français, l’autre pour les Britanniques restés à Paris, probablement plus confortables que l’ambulance de la presse représentée ici : « installation confortable, alimentation choisie, soins délicats, voilà ce que désirait Monsieur Richard Wallace pour ses hôtes » (Alexandre Piédagnel, Les ambulances de Paris pendant le siège, 1871).

Ambulance de la presse, rue de la pompe, vers 1870. Michel Charles Fichot. CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris

Les arbres de l’avenue de Boulogne coupés pour fournir du bois pendant le siège.

Avenue de Boulogne vue prise de la porte d’Auteuil. Saint Cloud au fond, dévastation du bois de Boulogne. Maxime Lalanne, estampe, xixe siècle, CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris.

Une vie de philanthrope

Richard Wallace avait déjà, bien avant le siège, fait acte de philanthropie. En 1850, il offre un canot de sauvetage à la ville de Boulogne-sur-Mer à la suite du naufrage ayant abîmé le bateau de la ville. Jusqu’à sa mort, Richard Wallace fait preuve de générosité en finançant des hôpitaux et des abris pour les indigents. Il a été pendant 20 ans président du British Charitable Fund, une fondation pour aider les ressortissants britanniques démunis vivant à Paris. En 1879, il inaugure, à Levallois-Perret, le Hertford British Hospital qui est destiné à soigner les Anglais résidant en France dans la continuité de son action pendant le siège de Paris. En 1872, Richard Wallace, de retour à Londres, confie une partie de sa collection d’oeuvres d’art au musée Bethnal Green, tout juste fondé dans un quartier ouvrier de Londres, pour apporter une éducation artistique aux classes populaires. En 1897, sa veuve fait don à la nation britannique de la Wallace Collection (dont des toiles du Titien, de Vélasquez, ou encore Rubens) exposée depuis 1900 dans l’ancienne résidence londonienne de Sir and Lady Wallace, Hertford House.

À partir de juin 1872, et pendant trois ans, Richard Wallace prête sa collection d’art français au musée Bethnal Green, une annexe du Victoria and Albert Museum qui ouvre alors ses portes dans les quartiers ouvriers londoniens d’East End avec une mission didactique de diffusion des arts et des sciences.

Art Connaisseurs at the East End Published in the Graphic, 19 April 1873. © The Wallace Collection

Oeuvre de l’architecte Paul-Ernest Sanson, l’hôpital Hertford, du nom du père de Richard Wallace, est inauguré en 1879. C’est toujours l’hôpital Franco-Britannique à Levallois-Perret.

The Hertford British Hospital, Paris. Coloured wood engraving, 1879. Wellcome Collection. Public Domain Mark

La collection héritée et enrichie par Richard Wallace conservée à Hertford House, l’ancienne résidence des marquis de Hertford, est devenue un musée en 1900 suite à son legs à la nation britannique par Lady Wallace en 1897.

Hertford House, English school, circa 1812-1813. © The Wallace Collection

Hommages à Wallace

Dès les années 1870, les activités philanthropiques de Richard Wallace sont reconnues et célébrées par ses contemporains : à la fin du siège de Paris, l’une des dernières montgolfières de courrier à quitter la capitale, le 7 janvier 1871, porte son nom. Plusieurs médailles sont frappées au lendemain des événements pour célébrer sa générosité, des messages de reconnaissance sont publiés dans la presse.

À gauche : Insigne de commandeur de la Légion d’honneur sous la Troisième République, identique à celui reçu par Sir Richard Wallace. À droite : Médaille célébrant la générosité de Richard Wallace pendant le siège de Paris, 27 décembre 1870.

Le philanthrope a aussi reçu les honneurs officiels en France et en Angleterre : il est nommé commandeur de la Légion d’honneur en juin 1871 et reçoit de la reine Victoria le titre de baronnet le 18 août 1871 pour l’aide apportée aux Britanniques restés à Paris pendant le siège.

L’eau, un enjeu millénaire pour Paris

L’accès à l’eau, un défi accru par la guerre

Dès l’époque romaine, la modestie des ressources en eau à Paris a rendu nécessaires des travaux hydrauliques. Hormis la Seine, la ville ne dispose que de quelques ruisseaux et sources dont l’eau est de qualité médiocre. Quant aux eaux souterraines, elles sont soit très profondes, soit contaminées par les eaux usées. La Seine reste longtemps la réserve la plus accessible mais, à la fois axe de circulation et déversoir des égouts urbains, ses eaux ne sont pas très saines.

Lutèce au Bas-Empire : « aqueduc d’Arcueil » au premier plan, « palais et citadelle » à l’arrière-plan. Fédor Hoffbauer. CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris

Lutèce au Bas-Empire : « aqueduc d’Arcueil » au premier plan, « palais et citadelle » à l’arrière-plan. Fédor Hoffbauer.

Aussi, les Parisiens et les autorités politiques doivent trouver des solutions ingénieuses pour l’adduction d’eau, puits particuliers, rigoles, puis pompes à eau ou à vapeur. Témoin de la pénurie pendant le siège, accrue par les ravages de la guerre sur certains ouvrages d’adduction, et préoccupé par le manque de points d’eau potable dans une capitale dont la population a considérablement augmenté depuis le début du XIX e  siècle, Richard Wallace offre en 1872 à la Ville de Paris cinquante fontaines à boire : les fontaines Wallace.

Des ouvrages hydrauliques ingénieux

Regard de la lanterne, 5 rue Augustin-Thierry (19e)

Regard de la lanterne, 5 rue Augustin-Thierry (19 e ).

Regards et rigoles

Dès le XII e  siècle, l’eau du sous-sol de Belleville est exploitée pour alimenter les grands établissements de la rive droite. Jusqu’à l’époque moderne, un système de rigoles et de regards, comme le regard de la Lanterne (1583-1613), situé dans le 19 e  arrondissement, est mis en place pour diriger l’eau vers les fontaines de la ville. Celui-ci existe encore, il est classé monument historique depuis 2006 et peut être visité lors des Journées européennes du patrimoine.

La Samaritaine, profil du côté du Louvre, vers 1770-1780, Flov. CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet

La Samaritaine, profil du côté du Louvre, vers 1770-1780, Flov.

Les pompes à eau

Sur décision d’Henri IV, la pompe de la Samaritaine, installée en 1608, aspire l’eau de la Seine grâce à un système activé par une roue et dessert le Louvre et plusieurs fontaines de la rive droite. Une deuxième pompe, accolée au pont Notre-Dame, est mise en service en 1673. Elles fonctionnent jusqu’en 1813 et 1853.

Le puits artésien de Grenelle (place de Breteuil). Stanislas Lépine, peintre, vers 1880.

Le puits artésien de Grenelle (place de Breteuil). Stanislas Lépine, peintre, vers 1880.

Les puits artésiens

Les nappes souterraines profondes renferment une eau pure mais difficilement accessible. Le premier puits artésien est foré entre 1833 et 1841 aux abattoirs de Grenelle, suivi de ceux de Passy et de la Butte-aux-Cailles.

Aqueduc de la Vanne, Arcade de Cuy

Aqueduc de la Vanne, Arcade de Cuy.

Les aqueducs

L’aqueduc gallo-romain acheminait l’eau des plateaux au sud de Paris jusqu’au centre de la cité. L’aqueduc Médicis, mis en service en 1623, a repris son tracé en grande partie pour alimenter le Louvre et des fontaines publiques. L’aqueduc de la Vanne, construit de 1866 à 1874, est édifié sur les restes de l’aqueduc Médicis (XVII e  siècle).

Un accès inégal

Jusqu’au XIX e  siècle, puits privés et fontaines publiques sont les principaux points d’accès à l’eau. Paris compte 17 fontaines en 1499, une soixantaine en 1799 mais la qualité et la quantité de l’eau distribuée restent insuffisantes. L’amélioration de l’acheminement permet, au cours du XIX e  siècle, de multiplier les points d’eau grâce notamment aux bornes-fontaines installées par le préfet Rambuteau. Pour se faire livrer l’eau à domicile, les Parisiens peuvent recourir à un « porteur d’eau ».

Au milieu du XIX e  siècle, la croissance démographique et l’exigence d’hygiène nécessitent de nouveaux aménagements. Haussmann et l’ingénieur Belgrand mettent en place un véritable système d’égouts. Ils dissocient le « service public » des fontaines et le « service privé » donnant accès, à partir de 1865, à de l’eau de source sur abonnement aux immeubles d’habitation, d’abord dans la cour puis dans les étages. La croissance du nombre d’abonnés s’accompagne alors de la suppression de certaines fontaines publiques et de la disparition des porteurs d’eau.

À gauche : La fontaine du Palmier (détail), 1810, Étienne Bouhot. À droite : Le Porteur d’eau, XVII e -XVIII e  siècles, Jean-Baptiste Bonnart.

1872, la première fontaine Wallace

Un don plébiscité par les Parisiens

En 1871, les dégâts de la guerre sur le service des eaux sont rapidement réparés. Mais, malgré les progrès dus au réseau mis en oeuvre par Belgrand depuis le début des années 1860, au lendemain de la Commune, l’accès à une eau potable payante reste encore très inégalitaire : environ 40 % des foyers parisiens en sont privés. En outre, nombre d’ouvriers et d’employés de l’agglomération en forte croissance démographique parcourent la ville sans accès, pendant la journée, à une eau potable. C’est le temps des grands travaux. Pour remédier à ce problème, sans doute inspiré par le modèle des drinking fountains qui existaient à Londres, Richard Wallace décide d’offrir à la capitale cinquante fontaines publiques à la fois utiles et ornementales, donnant accès à une eau saine à tous ses habitants et à tous ses visiteurs. La première d’entre elles est installée sur le boulevard de la Villette fin juillet 1872. Dès les premières semaines suivant leur installation, les fontaines à boire sont adoptées par les Parisiens. Très vite, la presse, consacrant l’appellation « fontaines Wallace », rapporte des scènes d’affluence, voire de querelles, lors des fortes chaleurs.

Nouvelles fontaines offertes à la population parisienne par Sir Richard Wallace. Estampes de Trichon et Miranda © Musée Carnavalet / Roger-Viollet

Nouvelles fontaines offertes à la population parisienne par Sir Richard Wallace.

L’essor des préoccupations hygiénistes

En offrant ces fontaines, Richard Wallace répond à une double préoccupation sanitaire : celle de prévenir certaines maladies et celle de limiter la consommation d’alcool. Déjà, après la grande épidémie de choléra de 1832, de nombreuses bornes-fontaines avaient été installées dans un souci d’hygiène. Mais Paris connaît de nouvelles épidémies, ce qui encourage les travaux d’assainissement des années 1860 et l’extension du réseau de raccordement à l’eau courante. Cependant, il reste de grandes disparités d’accès à ce réseau. La vasque surélevée et les cariatides permettent d’éviter l’eau stagnante, source de contaminations. Ainsi, les fontaines Wallace offrent aux habitants et aux travailleurs l’accès à une eau saine, partout dans l’espace public.

Le geste de Richard Wallace s’inscrit par ailleurs dans le mouvement antialcoolique qui connaît un essor après 1871. Le philanthrope est un des membres les plus généreux de la Société française de tempérance fondée en 1872 et espère que les fontaines détourneront les ouvriers travaillant à Paris des débits de boisson.

Jusqu’en 1952, les fontaines Wallace, à cariatides comme à applique, étaient équipées de gobelets en métal à l’usage des passants. Ils furent ensuite supprimés pour des raisons d’hygiène.

Fontaine Wallace, Paris © Roger-Viollet / Roger-Viollet

La générosité de Wallace fait l’objet de dessins et de saynètes dans la presse. Y sont caricaturés les ivrognes déçus par les fontaines ou les quémandeurs - qui d’une dot, qui d’une pension, qui d’une avance pour rembourser une dette - cherchant à abuser de la générosité de Richard Wallace.

« Fable de la fontaine Wallace par Bertall », La Guêpe, 3 novembre 1872. Yves et Barnet. CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet

Passants s’abreuvant à une fontaine Wallace lors d’une vague de chaleur, juin 1914.

Passants s’abreuvant à une fontaine Wallace lors d’une vague de chaleur, juin 1914.

Conception de la fontaine Wallace

Portrait de Charles-Auguste Lebourg (1829-1906) © DR

Portrait de Charles-Auguste Lebourg (1829-1906).

Richard Wallace, nourri par sa connaissance de l’art, a conçu et dessiné deux modèles de fontaines, un modèle mural et l’édicule à cariatides. Il confie la réalisation des prototypes au sculpteur nantais Charles-Auguste Lebourg (1829-1906) avec des préconisations très précises quant à la taille, à l’aspect, aux moyens mobilisés ou aux matériaux utilisés. Richard Wallace offrira à la Ville 40 modèles à cariatides et 10 modèles à applique.

Peintes en vert, comme le mobilier parisien du Second Empire, les fontaines en fonte sont installées par la Ville de Paris, sous la direction d’Eugène Belgrand, dans les lieux de passages les plus fréquentés. Ce sont les services techniques de la Ville qui ont été chargés des travaux de plomberie nécessaires pour les alimenter en eau de source.

Catalogue de la Société des fonderies et ateliers du Val d’Osne, 1892.

Des œuvres d’art dans la ville

Un modèle imaginé par un collectionneur

Grand amateur d’art, Richard Wallace souhaite que les fontaines, outre leur fonction utilitaire, soient aussi un instrument d’éducation artistique et morale. Il puise à plusieurs sources d’inspiration : la nature et le monde aquatique, avec notamment quatre dauphins qui décorent le sommet de la fontaine, mais aussi la mythologie et les décors classiques. Reconnues comme objets d’art, les fontaines Wallace sont rapidement répertoriées dans les guides touristiques. L’édition 1875 du guide Joanne (un guide de référence de l’époque en français) les décrit ainsi : « Dans le premier modèle, l’eau tombe en un jet continu du centre d’une coupole que supportent quatre cariatides, et vient remplir une petite vasque où baignent les gobelets retenus par une chaîne. Dans le second modèle, l’eau sort d’une tête de femme, placée au centre d’un petit fronton circulaire et vient tomber dans une petite coupe appliquée entre deux pilastres. »

De gauche à droite : - Le triton et le trident, symbole de la mythologie grecque. - Les dauphins, protecteurs des mers, surplombent la fontaine. - Les gobelets étaient attachés à la fontaine par une trompe d’éléphant encore visible. - La coquille Saint-Jacques et les perles qui s’en échappent représentent le renouveau et la sagesse. La signature du sculpteur Lebourg est encore visible sur toutes les fontaines. -

La symbolique de la fontaine Wallace

Surnommé le « temple des quatre déesses », le modèle classique de la fontaine a la forme d’un petit monument à base octogonale. Quatre cariatides en fonte (statuettes de femmes remplaçant une colonne) soutiennent un dôme orné d’écailles. Chacune d’entre elles se distingue par la position de ses pieds et de ses genoux ainsi que par le drapé et la façon dont sont nouées les toges.

Les quatre cariatides représentent quatre vertus : Simplicité, Bonté, Sobriété et Charité.

De gauche à droite : - La Bonté, représentée les yeux ouverts et robe fermée, symbolise l’hiver. - La Sobriété, représentée les yeux fermés et robe fermée, symbolise l’automne. - La Charité, représentée les yeux ouverts et robe ouverte, symbolise l’été. - La Simplicité, représentée les yeux fermés et robe ouverte, symbolise le printemps.

Les nouveaux modèles de la fontaine Wallace

Dans les années qui suivent l’installation des premières fontaines, la Ville de Paris poursuit leur déploiement : 54 en 1875, 63 en 1880… souvent à la demande de Parisiens qui adressent des pétitions à leurs élus. En 1877, pour répondre à cette demande, la municipalité fait concevoir par ses ingénieurs une nouvelle bornefontaine, dont les motifs sont inspirés de la Wallace. Les dimensions et le coût réduit de la « petite Wallace » permettent de multiplier les points d’eau dans les parcs et jardins. Les premières sont installées au printemps 1878.

Une trentaine de fontaines à colonnettes, qualifiées de «type Wallace » dans les catalogues des établissements Chappée du Mans qui en sont les fondeurs, sont installées dans la capitale dans les années 1890. Il n’en reste que deux aujourd’hui, une dans le 16 e  (place de Barcelone) et l’autre dans le 17 e  (place Tristan-Bernard).

Fabriquer les fontaines

La fonte décorative : un procédé inventé en France

À partir de 1810, la fonte de fer, limitée jusqu’alors à la production d’objets utilitaires, est choisie pour réaliser des statues monumentales. Ce matériau est en effet moins onéreux que le bronze et très résistant. Parmi les premiers fondeurs à l’utiliser, Jean-Pierre-Victor André crée une fonderie d’art en 1836 au village du Val d’Osne (Haute-Marne), site qui regroupe alors les trois atouts clés pour une activité de métallurgie : un gisement de fer aisément accessible en surface, du bois de forêt (pour le feu) et de l’eau (un ruisseau).

Développant la fabrication de la fonte au sable moulé, il a l’idée de remplacer le fer forgé, cher à produire, par de la « ferronnerie en fonte ». C’est sur cette base qu’il propose un catalogue riche en statues, vases, candélabres, modèles de balcon ou fontaines monumentales souvent dessinés par des artistes célèbres. Sa fonderie devient rapidement la plus importante entreprise de fonte d’art en France sous le nom de « Fonderie d’art du Val d’Osne ».

Après plusieurs changements de propriétaires, elle deviendra en 1870 la Société anonyme des fonderies d’art du Val d’Osne qui fabrique, à partir de 1872, les fontaines Wallace. En 1931, la fonderie est rachetée par son principal concurrent, l’usine de Sommevoire devenue Générale Hydraulique et Mécanique, dite GHM, qui continue jusqu’à aujourd’hui à utiliser le même savoir-faire.

La grille de la porte, combinant différents motifs d’ornementation des modèles courants produits par la maison et conçus par le bureau de dessin.

A droite : La revue générale de l’architecture et des travaux publics, 1873.

La revue générale de l’architecture et des travaux publics, 1873.

Le dépôt des forges et fonderies du Val d’Osne, situé au 58 boulevard Voltaire, se voulait une vitrine de la modernité de l’entreprise. On y trouvait un espace d’exposition, des magasins, des ateliers de montage et d’ajustage et des bureaux. La cour centrale permettait de montrer les statues et les fontaines fabriquées par l’usine. Ces dernières étaient mises en eau été comme hiver.

À droite : La revue générale de l’architecture et des travaux publics, 1873.

La revue générale de l’architecture et des travaux publics, 1873. Source : Bibliothèque de la cité de l’architecture et du patrimoine.

Pour concevoir ses modèles en plâtre, la fonderie fait appel à des sculpteurs célèbres : sur ce catalogue de 1892, sont présentées des œuvres de Mathurin Moreau et d’Auguste Bartholdi.

La technique du moulage en sable

Le processus de fabrication de la fontaine Wallace, composée de 80 pièces fondues puis assemblées, a peu évolué depuis 150 ans. La technique du moulage en sable commence par la création, par un sculpteur, d’un modèle en plâtre à l’échelle. Celui-ci, placé dans du sable tassé, permet la fabrication d’un moule épousant ses contours. Un autre moule, le noyau, modèle réduit de la pièce, est placé au milieu du moule extérieur permettant ainsi de couler la fonte, chauffée à plus de 1 400 degrés Celsius, entre le moule en creux et le noyau. Après un temps de séchage de plus de 30 heures, le sable est cassé et la pièce en fonte dégagée.

De gauche à droite : - étape 1 : La forme de la cariatide est moulée dans le sable. - étape 2 : Fixation dans ce moule, d’un noyau. Ce noyau permet d’obtenir une sculpture « creuse ». - étape 3 : Fermeture du châssis et coulée de fonte via une cheminée : la fonte est coulée entre le noyau et le moule en sable. Elle va ainsi épouser la forme du moule.

De gauche à droite : - étape 4 : Après une trentaine d’heures, ouverture du châssis pour sortir la pièce en fonte du moule : c’est le décochage (il faut casser au burin le sable pour dégager la pièce en fonte). - étape 5 : Extraction de la pièce en fonte du moule en sable. - étape 6 : Cariatide après décochage.

Assemblage et finition de la fontaine

Une fois les 80 pièces moulées, on procède à l’ébarbage qui consiste à polir la pièce et supprimer certaines aspérités issues du processus de fonte. Les pièces sont ensuite ciselées et assemblées avant d’être peintes. Chaque fontaine pèse 90 kg et nécessite 4 semaines de fabrication. 5 à 10 fontaines sont toujours fabriquées chaque année.

Entretenir les fontaines

Un suivi régulier des fontaines

Chaque fontaine Wallace est raccordée au réseau parisien de distribution d’eau potable, le même qui dessert l’ensemble des immeubles parisiens : l’eau qui coule est donc la même que celle du robinet. L’eau du réseau public chemine dans une petite conduite dans le corps de la fontaine, jusqu’au dôme, d’où elle ressort pour être consommée. Richard Wallace l’avait imaginée en jet continu, pour inviter les Parisiens à y boire.

C’est  Eau de Paris  qui s’occupe du bon fonctionnement et de l’entretien des fontaines et qui surveille la qualité de l’eau. Les fontaines Wallace, comme toutes les autres fontaines à boire parisiennes, sont intégralement nettoyées tous les 15 jours. Le nettoyage et les interventions légères sont réalisés sur place. Les réparations et restaurations plus conséquentes se font à l’atelier de fontainerie.

De gauche à droite : - Installation d’une fontaine Wallace au sein du musée Carnavalet au printemps 2022. - Installation de la fontaine Wallace sur le boulevard Richard Lenoir (11 e ) après sa restauration en atelier. - Une trappe a été ajoutée au XX e  siècle dans le socle pour accéder aisément au robinet d’arrêt d’eau. Un point de prélèvement permet le contrôle de la qualité de l’eau et un tuyau facilite le nettoyage de la fontaine.

La restauration des fontaines

La remise en peinture des fontaines s’effectue sans démonter la fontaine. Après un brossage mécanique, trois couches de peinture sont passées et la fontaine est comme neuve pour une dizaine d’années. Avec l’usure du temps, certaines pièces, tout particulièrement les coquilles Saint-Jacques, se fissurent ou cassent. Si elles sont réparables, elles sont démontées et retravaillées en atelier. La restauration complète d’une fontaine nécessite son démontage et son transport à l’atelier de fontainerie d’Eau de Paris. Elle dure environ deux mois. Il faut parfois refaire couler en fonte une des 80 pièces de la fontaine. L’équipe veille à ce que le caractère original soit respecté : décors du dôme, crochets de fixation des gobelets, sculptures, dispositif intérieur.

Chaque année, vingt fontaines bénéficient d’une restauration. En 2022, à l’occasion des 150 ans, 60 fontaines ont été remises en peinture ou restaurées.

Démontage des pièces, décapage, diagnostic des pièces fragilisées, réparation sur mesure et remontage des pièces avant la remise en peinture.

Une fontaine évolutive

Dans le cadre des grands projets municipaux pour une ville durable et résiliente, une expérimentation a été lancée pour économiser l’eau. Cinq premières fontaines ont été équipées en 2017 d’un bouton-poussoir. Elles sont désormais au nombre de 16. Ce dispositif permet d’économiser de l’ordre de 1 400 litres par jour. L’eau coule durant 15 secondes, délivrant environ 25 cl, soit un grand verre d’eau. Parce que les fontaines Wallace sont idéalement réparties dans la ville, et qu’elles contribuent au bien-être des Parisiens, une seconde expérimentation a été initiée avec l’installation d’un système de brumisation. Placée sur le dôme de la fontaine, une couronne équipée de buses projette des fines particules d’eau toutes les 4 minutes pendant 10 secondes. Travaillée en atelier, tout comme le bouton-poussoir, la couronne s’adapte parfaitement à la fontaine sans dénaturer le modèle. Prochaine évolution, l’installation d’un boîtier connecté destiné à piloter à distance la fontaine.

La fontaine Wallace : icône parisienne

La fontaine Wallace, source d’inspiration

Très tôt, la fontaine Wallace est devenue une source d’inspiration pour de nombreux artistes : peintres, chanteurs, photographes, cinéastes… Ils sont nombreux à évoquer la «Wallace » comme un symbole de la vie parisienne, une fontaine devenue un marqueur immédiatement reconnaissable de la capitale française. Dans l’après-guerre encore, les photographes humanistes tels Doisneau ou encore Janice Niepce ont fait de la fontaine Wallace un motif du Paris populaire.

La fontaine Wallace a souvent servi de décor pour des films ou des bandes dessinées comme c’est le cas dans un album de Blake et Mortimer, L’Affaire du collier édité en 1967.

Une fontaine Wallace André Gill, vers 1880.

Fontaine Wallace. Ateliers du Bateau-Lavoir (18 e ), 1984. Photographie de Janine Niepce.

Fontaine Wallace. Ateliers du Bateau-Lavoir (18e), 1984. Photographie de Janine Niepce.

Armand Lourenço (1925-2004), peintre français dans le quartier de Montmartre, 13 place Émile Goudeau. Paris, 6 mai 1967. Photographie de Daniel Lapied.

Armand Lourenço (1925-2004), peintre français dans le quartier de Montmartre, 13 place Émile Goudeau. Paris, 6 mai 1967. Photographie de Daniel Lapied.

Fontaine Wallace, vers 1898-1900 Photographie d’Eugène Atget.

Jeux d’enfants autour d’une fontaine Wallace, place Saint-Sulpice, 1946, Paris, France. Photographie de Robert Doisneau.

La fontaine Wallace a souvent servi de décor pour des films ou des bandes dessinées comme c’est le cas dans un album de Blake et Mortimer, L’Affaire du collier édité en 1967.

Un objet familier

La fontaine Wallace est un élément constitutif de l’identité parisienne. Son élégante silhouette fait immédiatement savoir que nous sommes dans la capitale. Si la couleur verte est celle du mobilier parisien du XIX e  siècle dont la vocation était d’imiter la nature, quelques fontaines Wallace ont été exceptionnellement éditées dans d’autres couleurs, bleu, rose, jaune ou rouge, dans les 13 e  et 20 e  arrondissements. Oeuvre d’art et objet d’utilité publique, elle est un dessymboles de Paris, mise à l’honneur par l’édition d’un timbre en 2001.

De gauche à droite : - Fontaine Wallace dans sa couleur verte traditionnelle située place Laurent Terzieff et Pascale de Boysson (6 e ). - Fontaine rouge située avenue d’Ivry (13 e ). - Fontaine jaune située sur l’esplanade Pierre-Vidal-Naquet (13 e ).

Que je boive à fond l’eau de toutes les fontaines Wallace Si dès aujourd’hui tu n’es pas séduit par la grâce.”

Extrait de la chanson de Georges Brassens, Le Bistrot, 1960

Timbre édité en 2001.

Des fontaines accessibles à tous

Une qualité contrôlée

Outre les 108 fontaines Wallace, de très nombreuses fontaines publiques et points d’eau répartis dans la capitale permettent à tous de boire à volonté. D’excellente qualité, l’eau qui y coule est celle du réseau d’eau potable de la ville, identique à celle distribuée à domicile. Selon les quartiers, les consommateurs bénéficient d’un mélange d’eaux souterraines et d’eaux de rivières potabilisées dont les sources sont situées à plus de 10 km de Paris. Aux portes de la capitale, avant d’être distribuée dans les immeubles, l’eau est stockée dans cinq grands réservoirs : Montsouris, Saint-Cloud, L’Haÿ-les-Roses, Les Lilas, Ménilmontant. Partout dans Paris, c’est Eau de Paris qui assure la mission de distribution de l’eau. Celle-ci fait l’objet d’un suivi rigoureux et permanent. Sa traçabilité est essentielle. Trois millions de consommateurs sont approvisionnés chaque jour en toute sécurité.

Gauche : La source d’Armentières. Droite : Le réservoir de Montsouris dans le 14 e .

L’accès universel à l’eau et l’acte écologique

Les timbales en étain longtemps accrochées aux fontaines Wallace sont aujourd’hui remplacées par l’utilisation des gourdes individuelles. Boire à la fontaine et au robinet est en moyenne 300 fois moins cher que d’acheter de l’eau en bouteille. Par ailleurs, la consommation d’eau sans emballage permet de réduire nos déchets de 7 kg par an et par personne. En 2024, Paris sera la première ville sans bouteille plastique à usage unique, source de pollution des rivières et des océans. En agissant pour le zéro plastique, Eau de Paris a déjà permis d’éviter environ 1,5 million de bouteilles de plastique à travers les événements auxquels elle s’est associée entre 2018 et 2019. Depuis 2021, l’opération Ici je bois l’eau de Paris invite les commerces à se joindre à sa démarche, en laissant un point d’eau accessible ou en remplissant gourdes et autres contenants à la demande.

De gauche à droite : - La nouvelle fontaine Wallace installée rue du Temple dans le 4e arrondissement. - Les fontaines Wallace ont inspiré les élèves de l’école des arts appliqués Boulle, avec notamment ce projet d’une timbale nomade. - Il est désormais possible de remplir sa gourde dans les 600 commerces qui ont rejoint le programme Ici je choisis l’eau de Paris.

Promouvoir l’accès à l’eau à travers le monde

Symbole d’un accès universel à l’eau, les fontaines Wallace ont essaimé dans le monde entier, notamment en Afrique du Sud, au Brésil, au Canada, en Chine, en Israël, ou encore au Japon.

De gauche à droite : - Fontaine Wallace offerte à la ville de Granby, Canada, offerte par la ville de Paris en septembre 1956. - Fontaine Wallace à Burscheid, Allemagne. - La fontaine de Macao (Chine) a été installée en 2004.

Porteuse de cet héritage, la Ville de Paris continue à promouvoir l’accès à l’eau et l’assainissement dans les pays qui en sont le plus privés. Peu de Parisiens le savent mais Paris, en créant dès novembre 2005 un dispositif « Solidarité, Eau et Assainissement », est l’une des premières villes françaises à avoir appliqué la loi Oudin-Santini qui permet aux collectivités de consacrer jusqu’à 1 % de leur budget eau et assainissement pour financer des actions de solidarité internationale. Grâce à la contribution des Parisiens sur leur facture d’eau, Paris a soutenu près de 150 projets dans 45 pays en développement, pour un montant de près de 14 millions d’euros, donnant l’accès aux services essentiels à 4 millions de bénéficiaires. Paris mobilise également son expertise technique pour renforcer les capacités d’autres métropoles mondiales confrontées aux grands défis de l’eau et de l’assainissement. Dans un monde en forte croissance démographique, permettre à tous d’accéder à une eau potable et lutter contre le changement climatique et les pollutions menaçant cette ressource, sont des enjeux cruciaux.

Deux exemples d’opérations menées en 2016 dans l’Ouémé au Bénin (ONG CARE France) et en 2019 dans le Tamil Nadu en Inde (association Kynarou).

En concevant la fontaine qui porte son nom, Richard Wallace avait offert de l’eau à tous les Parisiens de la fin du XIX e  siècle. Son geste généreux doit être salué et nous oblige à tout mettre en oeuvre pour relever les défis de l’eau au XXI e  siècle.

Carte des fontaines Wallace à Paris

Fontaines Wallace à Paris

Exposition

Comité d’histoire de la Ville de Paris et service de développement et valorisation Direction des affaires culturelles de la Ville de Paris

Version web

Service de développement et valorisation Direction des affaires culturelles de la Ville de Paris

Portrait de Richard Wallace, 1872.

Lutèce au Bas-Empire : « aqueduc d’Arcueil » au premier plan, « palais et citadelle » à l’arrière-plan. Fédor Hoffbauer.

Regard de la lanterne, 5 rue Augustin-Thierry (19 e ).

La Samaritaine, profil du côté du Louvre, vers 1770-1780, Flov.

Le puits artésien de Grenelle (place de Breteuil). Stanislas Lépine, peintre, vers 1880.

Aqueduc de la Vanne, Arcade de Cuy.

Nouvelles fontaines offertes à la population parisienne par Sir Richard Wallace.

Portrait de Charles-Auguste Lebourg (1829-1906).

Catalogue de la Société des fonderies et ateliers du Val d’Osne, 1892.

Timbre édité en 2001.