
Mobilité historique et hydrogéomorphologie
Mise en contexte et notions théoriques destinées à l'usage de la carte sur la mobilité historique des rivières du nord de la Gaspésie
Pendant près de deux ans, le Conseil de l'eau du nord de la Gaspésie et le Laboratoire de recherche en géomorphologie et dynamique fluviale de l'Université du Québec à Rimouski (UQAR) ont mené une étude sur la mobilité historique de plusieurs rivières du nord de la Gaspésie. Cette étude s'est appuyée sur des notions relevant de l'hydrogéomorphologie (HGM).
Par cette étude, le Conseil de l'eau du nord de la Gaspésie (CENG) espère apporter aux citoyennes et aux citoyens du nord de la Gaspésie, ainsi qu'aux élu.es et à leurs équipes municipales, une meilleure compréhension des phénomènes de mobilité des rivières qui se manifestent sur ce territoire et qui, à l'occasion, peuvent représenter des enjeux de sécurité civile et de pérennisation d'infrastructures pour leurs communautés riveraines.
Le présent guide d'interprétation vise à fournir aux utilisateurs de la carte interactive regroupant les principaux résultats de cette étude une base de compréhension minimale des notions issues de l'hydrogéomorphologie sur lesquelles elle s'appuie et, par celles-ci, des entités présentées à l'intérieur de la carte. Ainsi, différentes notions élémentaires de dynamique fluviale sont abordées sommairement ci-dessous.
La carte interactive présentant les résultats issus de cette étude se concentre sur certaines informations hydrogéomorphologiques propres à chacune des rivières étudiées, en particulier les tracés historiques de ces rivières - témoignant de leur mobilité au fil du temps - mais aussi les formes fluviales observables dans leur paysage environnant et les constats qui peuvent découler de ces informations, tels que les styles fluviaux prévalant le long des tronçons homogènes de ces rivières.
Chacune de ces notions est plus amplement explicitée dans les différentes sections du présent guide d'interprétation.
Territoire d'étude
Cette étude s'est penchée sur onze rivières de la Zone de gestion intégrée de l'eau (ZGIE) du nord de la Gaspésie (voir l'encadré ci-dessous). Ces rivières ont été sélectionnées pour leur intérêt scientifique en terme de dynamique fluviale, mais également parce qu'elles sont parmi les plus habitées de la ZGIE. Différents critères de sélection ont été appliqués - tels que l'abondance et la proximité des bâtiments situés en bordure des cours d'eau - afin de prioriser ces rivières.
De façon globale, le territoire d'étude porte sur des rivières dont la superficie cumulée des bassins versants représentent les deux tiers (66,1%) de la ZGIE et qui englobe cinq des six rivières à saumon exploitées au sein de la zone. Les rivières sélectionnées traversent également les principales municipalités de la zone, notamment les villes de Cap-Chat, de Sainte-Anne-des-Monts et de Gaspé, ainsi que les villages de Marsoui, de Rivière-à-Claude, de Saint-Maxime-du-Mont-Louis et de Grande-Vallée. Les localités de Rivière-au-Renard (Gaspé) et de l'Anse-Pleureuse (Saint-Maxime-du-Mont-Louis) bordent également deux des onze rivières étudiées.
Idéalement - et malgré cette priorisation - le CENG aimerait que les autres rivières habitées de la ZGIE soient ultérieurement étudiées à leur tour.
Consulter la carte interactive avec toutes ses fonctionnalités en cliquant ICI
Approche hydrogéomorphologique
L'approche hydrogéomorphologique (HGM) contribue à une meilleure compréhension de la dynamique des cours d’eau. Cette approche se focalise sur la reconnaissance des formes façonnées par l’eau courante pour mieux comprendre les processus qui les ont mises en place. Elle comporte à la fois une dimension spatiale et une dimension temporelle dans la compréhension des processus et des formes de la dynamique fluviale (Wohl, 2018).
Puisqu'il s'agit d'une approche multiscalaire, l'approche HGM apporte une compréhension des changements et des processus à plusieurs échelles spatiales et temporelles. Elle permet de mieux comprendre les variables de contrôle des dynamiques fluviales.
Les outils et données cartographiques présentées dans la carte sur la mobilité historique des rivières du nord de la Gaspésie s'inscrivent dans cette approche. Celle-ci s'appuie notamment sur les échelles spatiales que sont les bassins versants, les tracés fluviaux et les tronçons homogènes. À ces échelles s'ajoutent une dimension temporelle lorsque les composantes spatiales étudiées changent au fil du temps. Dans la présente étude, l'échelle temporelle d'intérêt a été celui de l'évolution des tracés fluviaux au fil du temps. Par ailleurs, l'identification de diverses formes fluviales - p.ex. les terrasses et plaines alluviales, ainsi que les cônes alluviaux - accompagnent les résultats issus de l'étude des rivières ciblées.
Ces différentes notions - bassins versants, tracés fluviaux, tronçons homogènes et formes fluviales - sont décrites plus en détail s'y dessous. Elles recoupent d'autres notions fondamentales qui y sont présentées également, tels que l'utilisation de « profils en long », la segmentation en « styles fluviaux » et le calcul d'un « indice de qualité morphologique ».
- Bassin versant
Les différents tributaires présents dans un bassin versant convergent vers un chenal principal dont l'exutoire, ultimement, se déverse à la mer. L'ensemble de ces cours d'eau véhicule, outre de l'eau, beaucoup de sédiments, lesquels contribuent à façonner leur lit.
Pour mieux visualiser les processus qui forment le cours d'eau principal d'un bassin versant, l'utilisation de « profils en long » aide à interpréter l’évolution des conditions hydrauliques et hydrosédimentaires de ce cours d'eau. Ces représentations permettent ainsi une première évaluation des dynamiques fluviales pouvant affecter, de l’amont vers l’aval, les tronçons de cette rivière.
Cela dit, l'occupation du territoire faite à l'intérieur d'un bassin versant (p.ex. développements urbains, coupes forestières, réseau de chemins, etc.) peut aussi venir affecter son régime hydrique et, par conséquent, les processus associés à la dynamique de ses cours d'eau.
- Tracés fluviaux
Au fil du temps, les cours d'eau peuvent subir une mobilité verticale ou latérale. En utilisant différentes approches - notamment l'analyse des tracés fluviaux historiques établis à partir de photos aériennes de différentes époques - il devient possible de visualiser les ajustements des composantes morphologiques ou dynamiques d’un cours d’eau sur une période de temps. Ces ajustements se traduisent par des changements de largeurs, de positions, de sinuosité et de profondeurs du cours d’eau.
Ces visualisations offrent un aperçu rapide des changements survenus au fil du temps dans le positionnement et la forme des rivières étudiées et, ce faisant, sont un premier indicateur de la mobilité plus ou moins élevée des différentes portions de ces rivières. L'interprétation des tracés fluviaux peut également contribuer à déterminer des « styles fluviaux » propres à certains segments d'une même rivière et, ainsi, permettre de diviser celle-ci en « tronçons homogènes », lesquels rendent mieux compte du dynamisme fluvial propre à chacun de ces tronçons. Ces notions - tronçons homogènes et styles fluviaux - sont abordées plus en profondeur dans les sections suivantes.
Au-delà de ces observations, l'utilisation des tracés historiques peut également contribuer à déterminer des « espaces de mobilité » et à établir une certaine anticipation de la mobilité future d'un cours d'eau. Les limites de la présente étude n'ont toutefois pas permis d'explorer suffisamment ces aspects pour en rendre public les résultats. Comme l'anticipation demeure un champ d'expertise en développement, le CENG a en effet préféré éviter de créer d'éventuels faux sentiments de sécurité ou d'urgence en exposant des résultats d'anticipation trop approximatifs.
- Tronçons homogènes
Les tronçons homogènes sont des sections délimitées tout au long du chenal principal d'un cours d'eau à l’intérieur desquelles subsiste une uniformité des processus et des morphologies. Plusieurs composantes aident à délimiter ces tronçons, les plus fréquents étant les styles fluviaux, l’indice de qualité morphologique (IQM) ou encore la puissance spécifique. La carte présentée par le CENG contient à la fois une segmentation des rivières étudiées en styles fluviaux et en IQM.
Dans le cas de la détermination des « styles fluviaux », ce sont les changements de largeurs et de taux d'érosion (m/an) obtenus à l'aide des tracés fluviaux historiques qui ont permis de délimiter des tronçons comportant des caractéristiques similaires de dynamisme. Il existe de nombreux styles fluviaux : méandres stables ou dynamiques, chenaux divagants, tressés ou anastomosés, etc.
Dans le même ordre d'idée, l'application de l' « indice de qualité morphologique » permet de vérifier si les formes et les processus naturels associés à différentes portions d'une rivière sont appropriés au maintien de la qualité de l'habitat aquatique et de la gamme des services écosystémiques offerts par cette rivière. Plusieurs composantes sont utilisées pour évaluer la valeur de cet indice, lesquelles s'intéressent à l'artificialité de la rivière (p.ex. la présence de traverses de cours d'eau, de berges artificielles, d'efforts de dragage, etc.), à l'historique d'ajustement du chenal en réponse à des impacts anthropiques (p.ex. des changements de largeur, de styles fluviaux ou de profondeur du lit) et à la fonctionnalité hydrogéomorphologique de la rivière (p.ex. transport de sédiments, connectivité avec la plaine alluviale, etc.).
Plus d'informations sur les différents styles fluviaux existants et sur le calcul de l'IQM sont présentées plus bas.
- Formes fluviales
Les « formes fluviales » - autrement nommées « unités de paysage » - résultent de la présence et de l’évolution d’un cours d’eau dans le paysage sur de longues périodes de temps. On reconnait généralement les plaines alluviales, les cônes alluviaux, les deltas et les terrasses alluviales comme des formes fluviales. Leur identification permet d’exposer les dynamiques fluviales récentes liée à la liberté de mouvement du chenal. Par ailleurs, les sédiments composant ces formes sont sources de sédimentation lorsque remaniés et peuvent contribuer à l’évolution des styles fluviaux.
Plus d'informations sur les différentes formes fluviales identifiées dans la présente étude sont présentées plus bas.
Mobilité historique
L'étude menée conjointement entre le CENG et l'UQAR s'est essentiellement penchée sur la notion de mobilité qui peut être détectée à partir de différents tracés fluviaux établies pour une même rivière, mais à des époques différentes. Tel que mentionné plus haut, l'approche préconisée dans cette étude s'est appuyée sur l'utilisation de photos aériennes de différentes époques.
La carte interactive présente donc les différents tracés historiques des onze rivières étudiées pour les années 1963, 1975, 1986, 1992, 2004 et 2016, ce qui correspond à un tracé fluvial par décennie pour chacune des rivières. Ainsi, l'évolution de ces tracés sur une période d'environ un demi-siècle permet de documenter la mobilité récente dans l'histoire de ces rivières.
À titre d'exemple, l'image ci-dessous permet de visualiser, par balayage, le changement de tracés associée à la rivière Sainte-Anne entre les années 1963 et 2016. Ce changement est le résultat de la mobilité subit par la rivière en quelques décennies et exprime bien la prudence avec laquelle l'occupation humaine en bordure d'une rivière devrait se planifier, de sorte à éviter des enjeux découlant des déplacements du chemin emprunté par une rivière au fil du temps.
Évolution du tracé d'un segment de la rivière Sainte-Anne entre 1963 (en jaune) et 2016 (en bleu).
Un tracé plus récent - pour l'année 2022 - a également été établi, mais une approche différente a été utilisée pour établir ce tracé à défaut d'avoir une photo aérienne récente pour le faire. Cette approche - une modélisation à l'aide d'informations LiDAR - permet néanmoins une visualisation approximative, quoique moins précise, de la position « actuelle » de la rivière.
Entrevue vidéo
Une entrevue vidéo menée avec le Dr Thomas Buffin-Bélanger de l'UQAR - principal collaborateur scientifique au projet mené conjointement entre son Laboratoire de recherche en géomorphologie et dynamique fluviale et le CENG - a été réalisée sur les bords de la rivière de Mont-Louis. Elle permet de couvrir, directement avec lui, bon nombre des notions d'hydrogéomorphologie abordées ci-dessus.
Cette entrevue aborde également la présence de bois mort en rivière, une particularité notamment très présente dans les rivières du nord de la Gaspésie. En effet, le territoire principalement forestier de leurs bassins versants, combiné avec les processus d'érosion naturelle des berges, entraînent un fort recrutement d'arbres déracinés dans les cours d'eau.
Ces arbres sont susceptibles de s'accumuler à certains endroits d'une rivière contribuant à la formation d'embâcles. Ceux-ci sont le plus souvent bénéfiques en terme environnementaux - offrant notamment une diversité d'habitat d'intérêt pour la faune et une nourriture ligneuse pour des insectes à la base de la chaîne trophique aquatique - mais peuvent à l'occasion entraîner des enjeux de sécurité civile.
Pour en connaître davantage sur ce sujet, nous vous invitons à consulter le Guide d'analyse de la dynamique du bois en rivière (2019), réalisé sous la supervision du Dr Buffin-Bélanger et de son homologue de l'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), le Dr Maxime Boivin.
Par ailleurs, l'entrevue offerte par le Dr Buffin-Bélanger permet d'en savoir davantage sur les recherches menées par son laboratoire de l'UQAR.
Nous vous encourageons à l'écouter!
Entrevue entre le CENG et le Dr Thomas Buffin-Bélanger de l'UQAR (2024)
Conclusion
L'étude des rivières par l'approche hydrogéomorphologique - mise de l'avant au Québec notamment par des chercheurs comme Thomas Buffin-Bélanger à l'UQAR - démontre la pertinence de mieux comprendre la dynamique, en particulier de mobilité, de nos rivières nord-gaspésiennes. Ces rivières répondent en effet à des processus qui, déjà naturellement, façonnent leurs trajectoires et démontrent la prudence avec laquelle nous devons vivre à proximité d'elles.
Considérant, de surcroît, que ces processus peuvent être influencés par l'occupation anthropique des vallées fluviales et, plus largement, de l'ensemble de leurs bassins versants, il importe d'autant plus de les comprendre et de les prendre en compte dans l'aménagement du territoire déployé à proximité de ces rivières.
Le Conseil de l'eau du nord de la Gaspésie est fier du travail accompli en collaboration avec l'équipe du Dr Buffin-Bélanger et espère grandement que le partage du fruit de cette collaboration saura sensibiliser les citoyennes et les citoyens de la région à ces phénomènes fluviaux, mais aussi interpeller les décideurs régionaux. La prise en compte, par ceux-ci, des réalités associées au dynamisme de nos rivières nous apparait en effet primordiale, notamment au travers d'exercices de planification liés à l'occupation du territoire.
Cet impératif est d'autant plus crucial dans un contexte de changements climatiques qui pourraient, tout comme les activités anthropiques déployées dans les bassins versants de nos rivières, affecter les processus naturels en cours et, ce faisant, affecter nos collectivités qui se situent dans une large mesure à l'embouchure ou dans la vallée de telles rivières.
Profil en long
Une représentation d'un cours d'eau exprimant son élévation sous la forme d'une coupe verticale de son amont vers son aval.
Cet outil affiche l’élévation - mesurée à l'aide d'une échelle d'altitude - du lit du chenal principal de l’amont vers l’aval (voir le tracé noir sur les graphiques suivants). Ainsi, à chaque distance de son exutoire, il est possible d'y lire à quelle altitude se trouve ce point de la rivière.
L'ajout des tributaires du cours d'eau principal (tracés de couleurs) permet de visualiser leur point de jonction l'un à l'autre, tout en présentant le déniveler de ces tributaires. Quant à la superficie de la plaine alluviale, elle s'exprime par un bâtonnet (en gris) pour environ chaque kilomètre du cours d'eau principal.
Ces informations supplémentaires, ajoutées dans la représentation graphique, contribuent à une meilleure interprétation de la forme du profil en long d'une rivière donnée.
La forme du profil en long est révélatrice de conditions hydrauliques et hydrosédimentaires qui contribuent aux dynamiques fluviales le long du cours d’eau.
Les profils en long en équilibre présentent des formes concaves de l’amont jusqu’à l’aval où se trouve le niveau de base, tel que présentée dans le profil en long de la rivière à Claude.
Lorsqu’un déséquilibre dans la dynamique est présent, on observe des convexités sur le profil.
Dans le cas de la rivière Dartmouth, deux composantes peuvent expliquer cette convexité.
La première est liée à une accumulation sédimentaire. Celle-ci peut découlée de la présence de tributaires apportant une certaine quantité de sédiments. Cet apport sédimentaire - lorsque plus important que le débit liquide - s'accumule à la confluence des cours d'eau et surélève le lit de la rivière.
La deuxième composante est la présence d’un point de rupture situé près de l’exutoire.
Cette discontinuité dans le profil longitudinal est associé à un changement abrupt dans la pente - voir le tracé noir à environ 18 km de l'embouchure - qui peut refléter la présence d’une chute ou d’un barrage.
De plus, la faible superficie de la plaine alluviale à cet endroit peut marquer l'incision de la rivière, c'est-à-dire une érosion creusant en profondeur son lit. C'est la rupture marquée de la pente de la rivière qui provoque ce phénomène d'érosion accentuée à son pied (Fryirs et Brierley, 2013).
Styles fluviaux
Expression morphologique du tronçon d'un cours d'eau déterminée par les caractéristiques dominantes de son chenal d'écoulement.
Les styles fluviaux font références aux morphologies du chenal d’où l’on peut faire l’inférence d’une gamme de processus opérants. La reconnaissance des styles fluviaux permet de mieux cerner le dynamisme du chenal qui façonne la plaine alluviale fonctionnelle.
L’identification des styles fluviaux se fait à partir d’interprétation d’images aériennes mais aussi à partir de composantes physiques telles que la sinuosité et la présence d’unités morphologiques telles que les bancs d’accumulation.
Il existe plusieurs classifications des styles fluviaux.
Celle notamment de Church (2006) présente différents styles fluviaux en fonction des conditions sédimentaires desquelles dépendent la morphologie et la stabilité du chenal d'un cours d'eau.
Cette classification - adaptée dans la figure ci-dessous - est celle qui a été utilisée dans le présent projet.
Les principaux styles fluviaux qu'elle contient et qui se retrouvent au nord de la Gaspésie sont décrits ci-après.
Schéma des styles fluviaux (adapté de Church, 2006)
- Anastomosé
La présence d’îlots végétalisés et de plusieurs chenaux est une caractéristique propre au style anastomosé. La faible énergie de l’écoulement général de ce style contribue davantage à un transport des sédiments en suspension. Ce style, dans la région gaspésienne, est souvent présent à l’exutoire de la rivière. Un débordement de la rivière peut submerger ces îlots et des avulsions peuvent se produire parmi ceux-ci.
- Divaguant
Le style divaguant est grandement dominé par un transport sédimentaire par charge de fond. Là où l’énergie diminue, ces mêmes sédiments vont se déposer et créer des bancs centraux. Ces formes d'accumulation peuvent subir une submersion lors d’épisode de crues et/ou se déplacer vers l’aval. De plus, on peut observer la création de chenaux secondaires. Ces bancs d’accumulation, pouvant être parfois végétalisés, sont une caractéristique propre au style divaguant.
- Méandre dynamique
Les cours d’eau à méandres dynamiques s'identifient par une forte sinuosité et la présence de bancs de convexité non végétalisés. Cette accumulation dans la partie convexe du méandre contribue à une mobilité latérale vers la zone concave. Il s'agit d'un style avec un fort dynamisme de mouvement dans lequel on retrouve une migration de la rivière et des recoupements de méandres. Le transport en charge de fond est très présent dans ce style fluvial.
- Méandre stable
Contrairement aux méandres dynamiques, les méandres stables présentent peu de bancs de convexité sur les berges, lesquelles sont généralement dominées par une végétation riveraine. Le transport sédimentaire est majoritairement en suspension. La présence de végétation riveraine vient stabiliser les berges. Ceci explique la dominance d'une mobilité qui se produit généralement de façon verticale, soit par l’incision ou l’aggradation du lit.
Formes fluviales
Unités de paysage résultant de la présence et de l'évolution de cours d'eau sur une longue période de temps.
Les formes fluviales font références à des entités morphologiques qui se façonnent au fil du dynamisme lié aux cours d'eau et qui s'inscrivent dans les paysages de façon observables. La reconnaissance des formes fluviales permet d'inférer sur les processus dominants à l'origine de leur formation.
L’identification des formes fluviales se fait notamment à partir d’interprétation d’images aériennes ou satellites et, plus récemment, à l'aide de l'imagerie LiDAR, mais aussi à partir de l'établissement du relief d'un paysage entourant un cours d'eau. Les formes fluviales offrent un regard plus large sur les processus entourant une rivière et ses styles fluviaux.
Il existe plusieurs types de formes fluviales.
La carte interactive établit par le CENG et l'UQAR présente notamment les limites des plaines alluviales (en bleu clair) des rivières étudiées, mais également les terrasses alluviales observables (en orange) et les cônes alluviaux délimités (en rouge).
- Plaines alluviales
Une plaine alluviale résulte de l’accumulation d’alluvions (sédiments transportés par le cours d’eau) en fond de vallée. La construction d’une plaine provient de deux processus liés à la dynamique du cours d’eau.
D’une part, la migration latérale laisse en place des sédiments plus grossiers provenant du lit du cours d’eau et progressivement recouverts par des sédiments plus fins.
D’autre part, le débordement de la rivière lors des inondations laisse en place des sédiments beaucoup plus fin sur l’ensemble de la plaine.
La plaine constitue ainsi une zone dans laquelle la rivière va pouvoir se déplacer latéralement. De ce fait, les processus d’érosions des berges se trouvant dans la plaine sont alors plus importants. (Charlton, R., 2007).
Images : Plaine alluviale de la rivière de Grande-Vallée et coupe transversale d'un transect A - A' de la plaine révélant son relief (CENG).
- Terrasses alluviales
Les terrasses alluviales sont reconnaissables par l'observation de surfaces planes surélevées par rapport à la rivière. Elles résultent d’un ajustement du niveau de base ou de changements hydrosédimentaires ayant provoqués une incision du cours d’eau dans sa plaine alluviale laissant ainsi paraitre un étagement pouvant détenir des cicatrices d'anciens chenaux.
En Gaspésie, ces formes sont généralement composées de dépôts fluvio-glaciaires correspondant à la marge de la plaine elle-même. Un cours d'eau s'y trouvant en contact peut remanier ses sédiments et subir un taux de migration annuel plus faible par rapport à un cours d'eau libre dans la plaine alluviale.
Images : Terrasses alluviales de la rivière de Mont-Louis (pointillé) visibles par analyse de l'informations LiDAR et coupe transversale d'un transect A - A' révélant le relief par terrassement de ce segment de la vallée.
- Cônes alluviaux
Les cônes alluviaux résultent d’un dépôt sédimentaire provenant de tributaires se jetant dans la plaine alluviale. Il s'agit d'une forme dynamique présentant plusieurs processus où les enjeux d'aménagement sont bien présents.
L'écoulement sur le cône peut, lors de débits (p.ex. printaniers) plus importants, subir un changement subit de la position du chenal principal, communément appelé avulsion. En tel cas, l'érosion au pied du cône - liée à la migration de la rivière - remanie ses sédiments, lesquels peuvent se déverser à des endroits inattendus (p.ex. sur une route).
Images : cônes alluviaux (en pointillé) associés à deux tributaires de la rivière de l'Anse-Pleureuse visibles à l'aide de l'information LiDAR et coupe transversale d'un transect A - A' associé à l'un des tributaire et son cône révélant son relief; la présence de la route 198 est également visible à l'aide des données LiDAR, laquelle est traversée par chacun des cônes.
Indice de qualité morphologique
Méthode d’évaluation du niveau d’anthropisation des processus physiques d’un système fluvial.
L'indice de qualité morphologique (IQM) permet de s'interroger sur la modification d'un cours d'eau en réaction aux activités humaines. Pour ce faire, il prend en compte les réalités systémiques et dynamiques - tels que les régimes hydrologique et sédimentaire, les processus d'érosion et d'inondation, les ajustements morphologiques, etc. - d'un cours d'eau plutôt que ces caractéristiques écologiques (habitats, espèces, etc.).
Néanmoins, puisque les conditions morphologiques d'un cours d'eau - déterminées par ses formes et processus - forment le milieu naturel supportant les fonctions écologiques de ce même cours d'eau, l'IQM permet d'évaluer le niveau d'intégrité hydrogéomorphologique contribuant à la pérennité des habitats hydriques et des espèces y étant associés.
Référence : Pouliot et al., 2024
La classification de l'IQM
Les résultats issus de l'application de l'IQM sur un cours d'eau permettent de segmenter celui-ci en portions de rivière de qualité analogue.
Les classes de qualité morphologique retenues, en fonction des valeurs d'IQM obtenues, sont les suivantes :
- 0 à 0,3 | Mauvaise à très faible
- 0,3 à 0,5 | Faible
- 0,5 à 0,7 | Modérée
- 0,7 à 0,85 | Bonne
- 0,85 à 1 | Très bonne à élevée
L'IQM se calcule à partir des scores attribués à 28 indicateurs regroupés en trois classes, soit les :
- Indicateurs d'artificialité (12);
- Indicateurs d'ajustement (3);
- Indicateurs de fonctionnalité (13).
Ces groupes d'indicateurs sont brièvement décrits ci-dessous.
Pour plus de détails sur le fonctionnement de l'IQM, nous vous encourageons à consulter le Guide québécois de l'Indice de Qualité Morphologique (IQM) des cours d'eau réalisé sous la supervision du Dr Maxime Boivin de l'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).
- Indicateurs d'artificialité
Ce groupe d'indicateurs se base sur la présence d'interventions ou de structures anthropiques liées au cours d'eau évalué. L'objectif est d'évaluer l'effet de ces facteurs artificiels sur l'altération du fonctionnement hydrogéomorphologique du cours d'eau.
Chacun des douze (12) indicateurs d'artificialité peuvent être à l'origine d'une telle altération, par exemple la présence de barrages ou de réservoirs affectant les débits naturels du cours d'eau ou son transport sédimentaire, ou encore la présence de ponts et de ponceaux, d'enrochements ou de murets, ainsi que le dragage, le retrait du bois mort ou de la végétation riveraine, etc.
Image : Rivière Sainte-Anne - Pont pour sentier VHR, enrochement et embâcle de bois (CENG)
- Indicateurs d'ajustement
Ce groupe d'indicateurs s'intéresse aux ajustements du chenal découlant d'un changement de son style fluvial, de l'élévation de son lit ou encore simplement d'une variation de sa largeur.
Ces indicateurs peuvent témoigner d'une déviation de la trajectoire attendue naturellement d'un cours d'eau occasionnée par des interventions anthropiques. Celles-ci peuvent parfois s'expliquer par les indicateurs d'artificialité précédemment discutés.
Ces changements s'observent en comparant, lorsque possible, la situation actuelle à un état de référence antérieur aux perturbations anthropiques. Cet état de référence s'établit à partir de cartes ou de photographies aériennes disponibles, ou encore sur la base du contexte hydrogéomorphologique.
Image : Rivière Cap-Chat - Ajustement de la largeur du chenal principal par érosion fluviale et par enrochement (Google Maps)
- Indicateurs de fonctionnalité
Ce groupe d'indicateurs vise à confirmer une continuité des processus naturels dans le cours d'eau. Ainsi, les indicateurs de fonctionnalité analysent, par exemple, les processus d'érosion des berges, la configuration du lit du cours d'eau, le transit des sédiments et des débris ligneux et l'état de la végétation fonctionnelle, etc.
Ces indicateurs sont le plus souvent l'analogue naturel des indicateurs d'artificialité. Ils vont permettent de témoigner de l'altération (ou non) des processus naturels d'un cours d'eau en relation avec les artificialités documentées à partir du premier groupe d'indicateurs.
Image : Rivière de Mont-Louis - Berges en érosion naturelle (CENG)
La qualité morphologique des rivières est nécessaire pour maintenir la qualité d'un habitat aquatique et pour assurer une gamme de services écosystémiques provenant des formes et des processus naturels.
Remerciements
Le Conseil de l'eau du nord de la Gaspésie tient à remercier les différents collaborateurs ayant contribués à la réalisation de ce projet, ainsi qu'à la confection de cette carte narrative et de la carte interactive présentant les résultats du projet.
Parmi les contributeurs de l'UQAR, certains membres - étudiantes et étudiants, ainsi que chargé.es de projet - du Laboratoire de recherche en géomorphologie et dynamique fluviale du Dr Thomas Buffin-Bélanger doivent être nommés, notamment :
- Mme Gabrielle BEAUDRY;
- M. Tim JAUTZY;
- M. Samuel LAROCHE;
- M. Maxime MALTAIS.
Du côté du Conseil de l'eau du nord de la Gaspésie, les personnes suivantes ont également contribué au projet :
- M. Yves BRIAND;
- Mme Sophie DELORME;
- M. Pierre-Ludovic LANGELIER;
- Mme Lisa MICHAUD;
- M. Thierry RATTÉ.
Par ailleurs, ce projet a été rendu possible par le soutien financier des partenaires suivants :
- Le ministère de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP);
- Le ministère de la Sécurité publique (MSP);
- L'Université du Québec à Rimouski (UQAR).