La mort à Paris :

Archéologie des espaces funéraires parisiens

Le rapport d’une société ancienne à la mort et aux morts nous renseigne sur sa perception de la vie et du monde l’entourant : les mœurs funéraires sont quelques unes des clefs permettant de mieux comprendre les mentalités du passé. Dans le cas de Paris, sa riche histoire nous lègue de nombreuses traces des pratiques funéraires qui permettent de répondre à plusieurs questions : où sont les espaces funéraires à Paris durant les périodes antiques, médiévales et modernes ? Quelles dynamiques régissent les évolutions topographiques observées ? Quelles étaient les pratiques funéraires des Parisiens et comment celles-ci se traduisent matériellement ?

Les découvertes archéologiques réalisées par Théodore Vacquer dans la seconde moitié du XIXe siècle, puis celles de la Commission du Vieux Paris et du DHAAP ainsi que celles des autres opérateurs nous permettent d’en savoir plus sur les manières dont les Parisiens s’occupaient de leurs défunts, mais aussi comment ils adaptèrent les espaces d’inhumation à la topographie d’une ville en constante évolution, au cours des deux derniers millénaires.


L'Antiquité

Modélisation 3D de Lutèce au IIème siècle de notre ère, par Alban-Brice Pimpaud pour la revue Histoire Antique (Hors-Série n°10), 2006.

Après la bataille de Lutèce au I  er   siècle avant notre ère, la présence gauloise laisse place dès le début du I  er   siècle de notre ère à un nouveau plan de ville quadrillé, organisé autour d’un cardo (axe nord-sud) et de plusieurs decumani (axes est-ouest). La cité des Parisii se densifie rapidement et se pare de monuments civils et d'habitations privées selon la tradition romaine. Cette acculturation implique la création d’espaces funéraires dédiés, puisque l’Antiquité latine est marquée par un interdit d’inhumation intra-muros. La mise en place de normes trouve son origine dans la nécessité de gérer, d’un point de vue sanitaire d’abord, la décomposition des cadavres et ensuite, d’un point de vue symbolique, d’éloigner la mort des vivants. Cela s’exprime, dans l’Antiquité romaine, par une exclusion des défunts (quel que soit le traitement de leur corps) hors de l’enceinte de la ville, dans des espaces leur étant réservés : les nécropoles  – littéralement en grec, la « cité des morts ». A Lutèce, la pratique de l'inhumation est largement majoritaire par rapport à l'incinération, pourtant très courante dans d'autres provinces romaines.

L’emplacement le long des voies principales d’accès à la ville permet aux habitants de s’y rendre facilement, mais aussi de rendre publiquement hommage aux défunts puisque les tombeaux sont exposés aux yeux de ceux qui entrent et sortent de la cité.

La nécropole Saint-Jacques

La nécropole Saint-Jacques est le premier grand espace funéraire de Lutèce. Située hors des murs le long du cardo maximus, en rive gauche, elle est utilisée à partir du I  er   siècle de notre ère. La nécropole s’étend entre les actuelles rue Saint-Jacques, l’avenue Denfert-Rochereau et le boulevard Saint-Michel et couvre à son apogée une zone d’environ 4 hectares. 

Localisation de la nécropole Saint-Jacques à l'extérieur de la ville antique / R&CAP - Carte archéologique de Paris / DHAAP

Dès le XVII  ème   siècle, des sépultures sont découvertes, mais ce n’est que dans la seconde moitié du XIX  ème   siècle, à l’occasion des grands travaux haussmanniens, que les surveillances archéologiques de Théodore Vacquer permettent de comprendre l’étendue et le fonctionnement de cet espace funéraire antique. De mars à avril 2023, des fouilles menées par l’Inrap, sous la direction de Camille Colonna, sur une parcelle de 200m  2   à proximité de la gare RER de Port-Royal ont mis au jour 50 sépultures appartenant à cette vaste nécropole antique. C'est une occasion renouvelée de documenter les pratiques funéraires des Parisiens au II  ème   siècle de notre ère.

Les relevés de Théodore Vacquer, complétés par les fouilles récentes, permettent d’établir qu’il n’y avait pas d’organisation matérialisée au sol : les recoupements et les superpositions de sépultures étaient fréquents. Trois types d’inhumations ont par ailleurs été observés : celles en pleine terre, celles en pleine terre avec brancard et celles en cercueil de bois. Néanmoins, trois sarcophages en pierre ont été découverts dans la nécropole, contenant deux enfants et un adulte. Cette diversité n’est pas liée à une évolution chronologique, mais relève probablement davantage de pratiques de distinction sociale.

Les individus inhumés sont majoritairement orientés suivant un axe nord-sud, sans prédilection toutefois quant à la direction vers laquelle est placée la tête des défunts. Le secteur ouest de la nécropole semble cependant présenter un plus grand nombre de personnes inhumés dans l’axe est-ouest.

Les défunts sont principalement positionnés sur le dos, avec les jambes en extension et les bras le long du corps, et étaient majoritairement recouverts d’un linceul et habillés, comme l’indiquent de nombreux vestiges de chaussures à semelles cloutées. On trouve dans ces sépultures de nombreuses traces de dépôts funéraires : principalement des vases placés à côté de la tête ou des pieds du défunt, mais aussi plus rarement de la verrerie et des statuettes. Dans les cas d’inhumations en cercueil, des traces d’offrandes alimentaires découvertes permettent d’envisager la pratique de repas funéraires rituels pour honorer le mort. Certains défunts ont été inhumés avec une pièce de monnaie : il s’agit de l’obole à Charon, un rite courant dans l’Antiquité consistant à placer une pièce dans la bouche, afin d'assurer au défunt le passage du monde des vivants à celui des morts.

Les crémations – pratique funéraire majoritaire au cours de l’Antiquité dans l’arc méditerranéen  – sont interprétées par les archéologues du XIXème siècle comme minoritaires dans la nécropole Saint-Jacques. Cependant, des analyses récentes du corpus démontrent que la part de crémation a été en réalité équivalente à celle des inhumations.

La coexistence de ces deux pratiques, le mobilier trouvé, la présence de quelques sépultures de chevaux ainsi que d’oboles à Charon peuvent être des éléments de preuves d’une fusion des rites des Parisii dans la culture romaine.

La nécropole Saint-Jacques est progressivement délaissée au cours du IV  ème    siècle de notre ère, avant d'être définitivement abandonnée au siècle suivant, car Lutèce se recentre autour de l'Île de la Cité, éloignant la ville de son principal espace funéraire. De nombreuses petites nécropoles se créent alors autour de l’enceinte insulaire. On peut citer, entre autres, la nécropole dite de la rue Vaugirard, celle de la rue Monsieur-le-Prince et celle des Arènes de Lutèce.

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Nécropole de la rue Vaugirard

Dès 1664, des sépultures antiques sont découvertes : ce sont celles d’individus assez riches, peut-être des marchands et datent de la fin du III  ème   siècle ou du début du IV  ème   siècle. Dans les années 1870, Théodore Vacquer rapporte la découverte dans une rue adjacente de nombreuses sépultures, notamment des sarcophages en pierre, datant de la même période. En 1906, deux autres sarcophages de pierre orientés est-ouest ainsi que des ossements humains épars sont exhumés par Charles Sellier. Le mobilier de ces sépultures est principalement constitué de verrerie, de monnaies et de céramiques, mais également de coussins céphaliques (banquette soutenant la tête des défunts), ce qui indique une importance accordée à la posture de la tête. Ces coussins peuvent en effet permettre de maintenir la mâchoire close, le menton reposant contre la poitrine, ce qui atténue l’aspect morbide du cadavre.

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Nécropole de la rue Racine / Monsieur-le-Prince

Quelques découvertes à la fin du XIX  ème   siècle par Théodore Vacquer et Eugène Toulouze signalent la présence d’une nécropole du Haut-Empire dans ce secteur, avec notamment sept sépultures et une urne cinéraire retrouvées. Les inhumations sont en pleine terre ou en cercueil. Les sépultures ont livré des restes d’animaux domestiques, des fragments de céramique ainsi que des monnaies de la fin du IIème siècle et du début du IIIème siècle. Il s’agit probablement d’une petite nécropole en limite de la ville du Haut-Empire.

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Nécropole des Arènes de Lutèce

Fondées au II  ème   siècle de notre ère, l’amphithéâtre de Lutèce qui accueillait à la fois des représentations théâtrales et des combats de gladiateurs, se situait à l’extérieur de la ville pour des raisons logistiques : il fallait un espace facilement accessible et suffisamment grand pour accueillir tous les spectateurs (environ 15 000). Les gradins des Arènes ont été construits sur le flanc de la colline Sainte Geneviève, permettant ainsi une réduction des coûts de construction. Ce site semble être abandonné au IV  ème   siècle, bien qu'il soit remployé en tant que nécropole. Entre 1870 et 1915, vingt-deux sépultures ont en effet été retrouvées au centre de l’édifice de spectacle. Parmi ces tombes, plusieurs sont des sépultures multiples : on note trois sépultures doubles, une triple et une quintuple. Les défunts sont principalement orientés la tête vers le sud, avec comme mobilier des vases funéraires en céramique, quelques clous, et un collier fait d’or, de perles et de nacre.

Naturellement, ces petites nécropoles ne suffisent pas à accueillir tous les défunts de la cité, un espace funéraire plus important existe en effet depuis le III  ème   siècle : la nécropole Saint-Marcel.

La nécropole Saint-Marcel

La présence d’une nécropole à l’emplacement du boulevard Saint-Marcel est supposée dès le XVIII  ème   siècle, notamment par Henri Sauval qui observe en 1700 et 1724 plusieurs sépultures qu’il interprète comme étant romaines, mais ce n’est qu’à partir des grands travaux haussmanniens du XIX  ème   siècle que l’hypothèse d’une vaste nécropole antique se précise. Théodore Vacquer constate, dès 1846, qu’un grand nombre de corps sont inhumés dans cette zone, notamment à l’emplacement du boulevard Arago. Les archéologues Eugène Toulouze et Charles Magne étendent la zone de recherche à partir des années 1880. Félix-Georges de Pachtère propose, en 1912, un nombre de 500 sépultures minimum, qu’il date du III  ème   siècle de notre ère, grâce aux monnaies retrouvées dans les tombes. Dans les années 1960-1980, après d’autres découvertes, le nombre total de sépultures est estimé à environ 2 000.

Cette nécropole est implantée au croisement du boulevard Arago, du boulevard Saint-Marcel et de l’avenue des Gobelins, qui est l’un des principaux axes d’accès à la ville puisqu’il s’agit de la voie antique reliant Lutèce à Lugdunum (Lyon).

Localisation de la nécropole Saint-Marcel à l'extérieur de la ville antique / R&CAP -  Carte archéologique de Paris  / DHAAP

Plusieurs hypothèses sur la création de cette nécropole, à partir de la fin du IIIème siècle, ont été émises car elle se distingue assez nettement des autres espaces funéraires antiques. Le grand nombre d’objets interprétés comme appartenant à des militaires ou des fonctionnaires a dans un premier temps orienté les interprétations sur la présence d’un camp militaire hors des murs de la cité qui aurait justifié la création de cet espace funéraire. Ces indices confirment tout au plus la présence d’un corps administratif et militaire à Lutèce, comme dans la majorité des cités gallo-romaines.

Par ailleurs, la présence d’épitaphes chrétiennes et l’orientation majoritaire des têtes des défunts vers l’ouest ont constitué les arguments en faveur du caractère chrétien de la nécropole Saint-Marcel, par opposition à la nécropole Saint-Jacques. Bien que la christianisation de la société a pu jouer un rôle dans le déplacement du principal espace funéraire parisien entre le I  er   et le IV  ème   siècle, elle n’en est visiblement pas l’unique raison puisqu’on trouve dans la nécropole Saint-Marcel de nombreuses traces de pratiques « païennes » antiques, telles que l’obole à Charon, alors que les épitaphes chrétiennes n’apparaissent qu’au V  ème   siècle, soit un siècle après sa création.

Il est désormais admis que les nécropoles Saint-Jacques et Saint-Marcel ont été contemporaines durant plus d’un siècle entre la fin du III  ème   siècle (les sépultures les plus anciennes de Saint-Marcel) et le cours du V  ème   siècle (abandon de Saint-Jacques) ; la seconde nécropole, ayant été implantée au plus proche du centre urbain resserré autour de l’Ile de la Cité, à partir de la fin de l'Antiquité.

La caractéristique principale de la nécropole Saint-Marcel repose sur sa longévité puisqu’un nombre important de tombes alto-médiévales, principalement sous la forme de sarcophages de plâtre, ont été mises au jour. La découverte en 1987 d’une sépulture contenant une coquille de pèlerinage dédiée à Saint-Jacques-de-Compostelle a permis d’établir que la nécropole a continué à être utilisée jusqu’au XI  ème   siècle au moins. 


Le premier Moyen Âge (V  e  – XI  e   siècles)

Dès le V ème  siècle donc, des symboles chrétiens apparaissent dans les nécropoles parisiennes, alors que le christianisme tend à se développer en Gaule depuis le IVème siècle, encouragé par l’empereur Constantin qui se convertit au christianisme et promulgue la liberté de culte, en 313. Le passage progressif du polythéisme au monothéisme a des répercussions sur le rapport à la mort qui, bien que déjà perçue comme une étape vers une autre forme d’existence, prend une place centrale dans le dogme chrétien. Cette modification de la perception de la fin de vie physique se traduit dans les rites funéraires, mais aussi dans les normes d’inhumation. 

Les chrétiens ne cherchent plus à être enterrés à l’extérieur de la ville, le long des voies, mais plutôt au plus proche des leurs, s’unifiant en communautés (ecclesia, qui donnera le terme « église »). La présence de sépultures de chrétiens à un même endroit sacralise cet espace, et ainsi se forment les premiers cimetières chrétiens, avec une prédilection pour les lieux proches des tombes des martyrs et des saints. C’est la recherche de la proximité avec le divin (on parle d’inhumation ad sanctos) qui définit le cimetière chrétien.

Des espaces funéraires centrés autour des saints et des rois

Sainte-Geneviève

Occupé par des habitations durant l’Antiquité, le mons Lucotitius abrite à partir du premier Moyen Âge un lieu de culte renommé, érigé par Clovis, roi des Francs : la basilique des Saints-Apôtres, dédiée aux saints Pierre et Paul. Celle-ci devient plus tard l’abbaye de Sainte-Geneviève de Paris, en l'honneur de la patronne de Paris ayant prédit et évité la venue des Huns dans la capitale. En effet, à la mort de la sainte en 502, Geneviève aurait été enterrée au sommet de la colline où une nécropole antique (non datée) aurait préexisté. Quelques années plus tard, Clovis et la reine Clotilde se font inhumer aux côtés de la sainte, à l’intérieur de la nouvelle basilique.

La découverte de quelques sarcophages aux XVII  ème   et XVIII  ème   siècles fait émerger l’hypothèse d’une nécropole aux abords de la basilique – ce qui se confirme en 1807 lorsque les archéologues mettent au jour plus d’une trentaine de sarcophages mérovingiens taillés dans la pierre ou moulés dans du plâtre. De nombreuses fouilles au cours du XIX  ème   siècle, principalement dirigées par Théodore Vacquer, attestent de l’ampleur de cette nécropole alto-médiévale, qui occupait au moins l’espace entre les actuelles rue Valette, rue de l’École Polytechnique, rue Thouin, rue du Cardinal Lemoine et rue Clothilde. 

Localisation de la nécropole Sainte-Geneviève sur le mons Lucotitius / R&CAP -  Carte archéologique de Paris  / DHAAP

La densité de cette nécropole, associée à la concentration des sépultures autour de la sainte et de la famille royale, témoigne de la volonté de certains Parisiens de l’époque mérovingienne de se distinguer socialement jusque dans la mort. Les nécropoles chrétiennes du premier Moyen Âge, comme celle de la montagne Sainte-Geneviève, réutilisent fréquemment des espaces funéraires antiques et effacent progressivement les traces matérielles des cultes polythéistes. 

Saint-Germain-des-Prés

Le site où se trouve l’église Saint-Germain-des-Prés a été dédié aux défunts dès le IV  ème   siècle avant notre ère, comme l’attestent deux squelettes retrouvés en 2015, à l'occasion d'une fouille du DHAAP dirigée par Jean-François Goret. Durant l’Antiquité tardive, cet espace funéraire prend de l’ampleur et s’étend le long de l’actuel boulevard Saint-Germain. 

Localisation de la nécropole du boulevard Saint-Germain / R&CAP -  Carte archéologique de Paris  / DHAAP

Cette petite nécropole antique disparait à la faveur de la christianisation des pratiques funéraires, puisque l’espace d’inhumation se resserre désormais autour de l’église. Cette dernière a été érigée au milieu du VI  ème   siècle sous l’impulsion de Childebert I  er  , et prend alors la titulature éphémère de Sainte-Croix-et-Saint-Vincent. Le roi mérovingien désire la consacrer en nouvelle nécropole royale et s’y fait lui-même enterrer en 558, suivi par deux de ses successeurs. 

Saint Germain, nommé évêque de Paris par Childebert I  er  , y est également inhumé en 576, ce qui renforce l’attractivité de ce lieu qui, comme la nécropole Sainte-Geneviève, accueille de nombreux chrétiens cherchant à reposer au plus près de la famille royale et des saints. Ainsi, la nécropole mérovingienne de Saint-Germain-des-Prés se voit principalement occupée par une population noble, ou pour le moins privilégiée. 

Plus de quatre cents sépultures y ont été découvertes, principalement des sarcophages en plâtre, mais aussi des sépultures en pleine terre. Les sarcophages sont décorés de motifs de croix pattées, de rosaces et de représentations anthropomorphes. Les corps étaient orientés tête vers l’ouest, dans l’axe de Jérusalem comme l’exigent les rites chrétiens. Malgré le peu de mobilier retrouvé, notamment en raison de pillages, il a été démontré que les défunts étaient enterrés habillés comme en témoignent à la présence de fibules, de plaques-boucles et de bijoux.

La nécropole de Saint-Germain-des-Prés perd son statut de nécropole royale lorsque celle de Saint-Denis accueille le corps du roi Dagobert en 639 (voir infra) ; elle reste cependant un lieu d’inhumation important puisque de nombreuses sépultures des IX  ème   et X  ème   siècles ont été découvertes et présentent une plus grande diversité dans les modes d’inhumation : en pleine terre, en cercueil, et en réutilisant des sarcophages mérovingiens.

Saint-Denis

L’espace funéraire de la basilique de Saint-Denis, au nord de Paris, s’inscrit dans cette dynamique de formation de vastes nécropoles mérovingiennes autour de sépultures de saints et de rois : la basilique est érigée au V  ème   siècle par sainte Geneviève pour rendre hommage à saint Denis, premier évêque de Paris. Envoyé par le pape pour évangéliser la Gaule, il est mort en martyr en 250. Le lieu d’inhumation du saint accueille la nécropole royale, après la mise au tombeau du roi Dagobert dans la basilique, deux siècles plus tard.

Bien qu’elle ne soit pas dans l’enceinte de Paris, le prestige et la proximité géographique de la nécropole royale attirent quelques-uns des Parisiens les plus privilégiés – principalement des aristocrates laïcs et ecclésiastiques appartenant à la cour des rois mérovingiens. Malgré le pillage d’une partie des sépultures durant la Révolution, la richesse des défunts transparait dans leurs vêtements, faits de tissus luxueux et brodés de fils d’or. Le mobilier retrouvé lors campagnes de fouilles de la fin du XIXe siècle (Eugène Viollet-le-Duc) puis de la première moitié du suivant (Sumner McKnight Crosby, Edouard Salin, Michel Fleury) – à savoir fibules, plaques de ceintures, bagues, fourreaux d’épées ou de scramasaxes, objets religieux – est aussi richement décoré, avec un total de 1290 grenats sertis sur 131 objets. La découverte de la sépulture intacte de la reine Arégonde (décédée vers 580-590), épouse de Clothaire I er , participe du caractère exceptionnel de ce gisement archéologique. Les pierres, ainsi que les différents types de soies des habits, suggèrent que les réseaux d’échanges commerciaux tissés, durant l'Antiquité, avec des régions lointaines se maintiennent au V  ème   siècle : Chine, Perse, Inde et Sri Lanka.

Les fouilles menées par l’Inrap et l’Unité Archéologique de la ville de Saint-Denis de juin 2022 à mai 2023 ont mis au jour plus de deux cents sépultures mérovingiennes et carolingiennes, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles études sur la population de cet espace funéraire unique. 

La nécropole des rois de France - Basilique de Saint-Denis / © Nota Bene, juin 2023

La nécropole de Saint-Denis reste un lieu d’exception. De nombreux cimetières de proximité pouvant accueillir tous les défunts ont été créés dans Paris, autour des premières églises.

Des cimetières qui se forment autour des églises

Le prieuré Saint-Martin-des-Champs

Martellange, Étienne, « Aspet du Prioré S. Martin des Champs // prins [sic] du clocher de S. Nicolas : Veue du Prieuré de S.t Martin des Champs », mine de plomb et lavis d’encre de Chine, 38,5x44,2cm, 1630, BNF.

Le prieuré Saint-Martin-des-Champs, situé de nos jours rue de Réaumur, est mentionné pour la première fois sous le nom de "basilique Saint-Martin" en 710, par le roi Childebert III, en hommage à l’évêque de Tours, décédé en 397. Avant les fouilles réalisées en 1993, aucun élément matériel ne confirmait la présence d’un espace funéraire mérovingien en ce lieu. La plus ancienne sépulture retrouvée, un sarcophage en pierre, daté de la seconde moitié du VI  ème   siècle - début du VII  ème   siècle, permet d’attester de l’existence du prieuré bien avant la première mention du VIII  ème   siècle. D’ailleurs la majorité des sépultures sont mérovingiennes, comme l’indique la découverte d’une centaine de sarcophages en plâtre, décorés de motifs cruciformes, circulaires, quadrangulaires ou anthropomorphes. 

Ces derniers contiennent parfois des coussins céphaliques, quelques vestiges d’objets en métal et de bijoux mais peu de mobilier funéraire a subsisté en raison du réemploi fréquent des sarcophages. Justifiée par des liens de parenté, la réutilisation des sépultures (jusqu’à cinq ou six individus) implique d’enlever le mobilier déposé précédemment pour gagner de l’espace. Par ailleurs, la pratique de l’obole a été mise en évidence dans un cas seulement, sous la forme d’une monnaie de Charles-le-Chauve (840-877) ; la persistance de ce rituel antique ne semble pas aussi marquée que dans d’autres nécropoles mérovingiennes.

Localisation de la nécropole de Saint-Martin-des-Champs / R&CAP -  Carte archéologique de Paris  / DHAAP

Dans le chœur et la nef du prieuré, une concentration importante de sépultures d’enfants de la fin de l’époque mérovingienne ou du début de l’époque carolingienne a été observée. La continuité d’utilisation du cimetière est attestée par la présence de sépultures médiévales plus tardives, faites de pierre ou de plâtre et contenant des vases à encens. Les défunts les plus récents sont des individus des XVII  ème   et XVIII  ème   siècles, inhumés dans l’église même, avant que le Conservatoire des Arts et Métiers ne s’installe en ses murs en 1798. 

Cimetière des Saints-Innocents

Cimetière le plus important de Paris au cours du second Moyen Âge, le cimetière des Saints-Innocents se constitue dès l’époque mérovingienne. Si la découverte d’un sarcophage en 1899 avait permis de poser l'hypothèse de son ancienneté, c’est lors des travaux d’aménagement pour le centre commercial des Halles, en 1973, que l’excavation fortuite de nombreux sarcophages déclenche des fouilles de sauvetage, révélant alors l'existence d'une vaste nécropole bien antérieure au cimetière médiéval. Une première phase d’inhumation mérovingienne est caractérisée par la présence d’une trentaine de sarcophages en plâtre décorés et d’inhumations en pleine terre, sans aucun mobilier conservé. Une seconde phase, débutant au XII  ème   siècle, présente une plus grande diversité de modalités d’inhumation : sarcophages en plâtre moulés sur place, contenants en bois, et enterrement en pleine terre. De plus, cette seconde phase livre du mobilier, principalement des vases flammulés contenant parfois des morceaux de charbon et des restes d’encens. Les fouilles révèlent aussi des fosses communes, dont la datation n’a pas pu être déterminée.

Il subsiste des incertitudes quant au lieu de culte auquel le cimetière des Saints-Innocents était originellement rattaché. Bien qu’une église dite des Saints-Innocents jouxte le cimetière depuis le XII  ème   siècle, la nécropole mérovingienne semble s’être formée autour de l’église Sainte-Opportune, construite au XI  ème   siècle. L’espace funéraire s’est donc vraisemblablement constitué autour d’une église plus ancienne, Notre-Dame-des-Bois, que les sources écrites rapportent comme ayant été détruite lors des raids normands du IX  ème   siècle.

Les premiers cimetières paroissiaux

Le besoin en espaces funéraires de proximité grandit avec la densification de la ville. Des lieux de culte plus petits que le cimetière de Saint-Martin-des-Champs et celui des Saints-Innocents fondent leurs propres cimetières et accueillent les croyants qui vivent aux alentours, dans l’espace de la paroisse ou de la chapelle, ce qui amplifie le sentiment d’appartenance et de communauté. 

Lieux de cultes accueillant la population dans leurs espaces funéraires durant le premier Moyen Âge.

Les pratiques funéraires chrétiennes s’établissent au cours du premier Moyen Âge, on l'a vu, avec comme trait distinctif la recherche de la proximité avec le divin. La nécessité de l’inhumation ad sanctos s’exprime dans un premier temps par des nécropoles se formant autour des sépultures des saints et/ou des rois, aux marges de la ville. Les mœurs changent, Paris se densifie intensément, et la consécration du cimetière ainsi que la proximité avec un lieu de culte suffisent, entrainant une multiplication des espaces funéraires intra-muros autour des églises paroissiales régulièrement réparties.


Le second Moyen Âge (XI  e   – XVI  e   siècles)

Les morts ont une place importante dans la vie quotidienne médiévale, au sens spirituel comme au sens physique. Aux XI  ème   et XII  ème   siècles, l’augmentation démographique provoque une urbanisation importante, portée en partie par la création de bourgs autour d’églises. Ainsi, les villes et villages se construisent fréquemment autour de l’espace funéraire, associé à une église, ce qui contraste avec les pratiques d’exclusions urbaines antiques et contemporaines : les populations médiévales cohabitent physiquement avec leurs défunts. Le cimetière devient un lieu de vie et de sociabilité. Pour Paris, ce phénomène est à la fois le moteur et la conséquence de l’augmentation de la surface occupée par les espaces funéraires dans la ville.

L'expansion des cimetières paroissiaux

En passant d’environ 15 000 habitants au début du XI  ème   siècle à environ 200 000 habitants au début du XIV  ème   siècle, la densification de Paris provoque une augmentation rapide du nombre de lieux de cultes et de cimetières. Onze nouvelles églises sont fondées à partir du milieu du XIème siècle, et on en compte au minimum 28 dont les cimetières accueillent la population laïque. La majorité de ces lieux de culte possèdent leur propre cimetière, renforçant la présence des espaces funéraires intra-muros dans la continuité du mouvement de la fin du premier Moyen Âge. 

Lieux de cultes dont les espaces funéraires accueillent la population au Moyen Âge. En bleu, les établissements datés du premier Moyen Âge, et en rouge ceux créés lors du second Moyen Âge.

Les Saints-Innocents

Grimer, Jacob. Le cimetière et l’église des Innocents, peinture à l’huile, 60x50cm, vers 1570, © Paris Musées / Musée Carnavalet, Histoire de Paris.

Le cimetière des Saints-Innocents prospère lors de la seconde partie du Moyen Âge et devient le plus grand de la ville. Il accueille désormais une grande partie de la population parisienne, car il est financièrement accessible à tous grâce à la présence de charniers et d’ossuaires depuis le milieu du XIV  ème   siècle. Il atteint jusqu’à 6 000 mètres carrés au XVII  ème   siècle et ses murs sont percés de cinq portes afin d’en faciliter l’accès.

Tout comme les autres cimetières, les Saints-Innocents accueillent les commerçants lors des foires et marchés annuels, qui profitent du cercle d’immunité des espaces funéraires. Cela signifie que les risques d’agressions, de vols ou de violences sont moindres pour les marchands, qui bénéficient d'une zone de commerce privilégiée pour sa centralité et sa protection. Lieu où les liens sociaux se tissent, le cimetière des Saints-Innocents accueille aussi les commerçants des Halles, qui débordent de leurs emplacements d’origine et s’installent entre ses murs lors du marché hebdomadaire.

Localisation du cimetière des Saints-Innocents dans le tissu urbain médiéval (Plan de Berty) / R&CAP -  Carte archéologique de Paris  / DHAAP

 À partir du XV  ème   siècle, l’art macabre  [1]   se développe et le cimetière des Saints-Innocents est l’un des premiers lieux décorés selon ce style : une scène dite « des trois morts et des trois vifs » est sculptée sur l’église des Saints-Innocents et une grande scène de danse macabre est peinte sur les murs des charniers au début du XV  ème   siècle. 

Cependant, la centralité et la taille de ce cimetière finissent par poser des problèmes sanitaires. Les habitants du quartier se plaignent des odeurs et de l'instabilité du terrain, fragilisé par le poids des corps empilés. Il est donc décidé en 1780 de fermer le cimetière. En 1785, les ossements sont transférés dans les carrières de calcaires creusées en rive gauche : c’est la destination première des « Catacombes de Paris », dans la carrière de la Tombe-Issoire, sous la plaine de Montrouge.

Hoffbauer, Theodor. Cimetière des Innocents, lithographie, 24x30cm, entre 1875 et 1882, Brown University Library.

 [1] Bien que l’art médiéval s’intéresse déjà au thème de la mort avant le XIVème siècle, il devient un mouvement à part entière au début du XVème siècle suite aux crises démographiques du XVIème siècle liées à la famine, la guerre et la peste. L’art macabre exprime un sentiment d’universalité de la mort et de crainte plus personnelle du salut de son âme qui s’ancre dans l’essor progressif de l’humanisme.  

Développement des espaces funéraires hospitaliers

La densification de la ville durant le second Moyen Âge occasionne de nouveaux besoins, tel que la création d’établissements spécifiquement dédiés à la santé, tout spécialement à celle des plus démunis en vertu de la charité chrétienne. De nombreux hôpitaux et maisons de soins sont ainsi fondés à Paris et dans sa périphérie, financés par l’Église et les élites en quête de salut éternel. Naturellement, un grand nombre de patients décèdent dans ces établissements, ce qui pose la question du lieu d’inhumation. Les hôpitaux étant majoritairement des institutions ecclésiastiques, ils sont fréquemment rattachés à des églises, permettant donc à certains d’utiliser le cimetière paroissial associé. Par exemple, l’hôpital Saint-Gervais se situait en face de l’église du même nom et inhumait ses défunts dans le cimetière paroissial qui succédait à une nécropole antique et mérovingienne.

L’hôpital médiéval le plus important de Paris est l’Hôtel-Dieu, situé sur l’Île de la Cité à côté de la cathédrale Notre-Dame. Ne disposant pas d’espace pour fonder un cimetière attenant, il fait transporter les malades décédés au cimetière des Saints-Innocents, qui accueille les défunts de nombreux autres hôpitaux parisiens rencontrant la même problématique, mais parfois simplement en raison de leur proximité. C’est le cas pour l’hôpital de Sainte-Catherine situé à l’angle de la rue Saint-Denis et de la rue des Lombards. Ce dernier joue un rôle particulier dans la gestion funéraire à Paris, car les religieuses qui le dirigent ont pour devoir d’enterrer en terre consacrée tous les cadavres qu’elles trouvaient dans les rues, dans les geôles ou dans les eaux de la Seine. 

Cependant, certains établissements fondent leurs propres cimetières. On compte parmi eux les hôpitaux Saint-Jacques-aux-Pèlerins et Saint-Jacques-du-Haut-Pas, situés respectivement au nord et au sud de la ville, destinés à héberger les pèlerins faisant escale à Paris. Autre institution dédiée aux pèlerins, l’hôpital de la Trinité a été fondé vers 1202 par deux nobles allemands. Situé sous l’actuel immeuble Félix Potin, rue du boulevard Sébastopol, le cimetière de l’hôpital de la Trinité est officiellement ouvert en 1353 pour répondre à une crise : l’épidémie de peste décime la population parisienne et le cimetière des Saints-Innocents n’est plus capable d’absorber le flux continu des victimes. Les fouilles menées par l’INRAP en 2015 dans les caves du bâtiment Félix Potin ont mis au jour une fosse commune de 218 individus, datée de cette première vague épidémique. Bien que les corps ne bénéficient pas de sépultures individuelles, les pratiques funéraires classiques sont assurées : ils sont orientés selon un axe est-ouest, inhumés sur le dos avec les jambes en extension et les bras croisés sur le torse, et majoritairement enveloppés d’un linceul. 

Certains hôpitaux sont réservés à des populations spécifiques, comme l’hôpital des Quinze-Vingt destiné à héberger les aveugles et autorisé à avoir son propre cimetière depuis 1282. Lors de fouilles en 1990, une parcelle de ce cimetière a mis en évidence 21 tombes individuelles ainsi qu’une fosse-ossuaire, soit un total de 65 individus dont 33 hommes, 26 femmes et 6 enfants. La moitié de ces individus avaient entre 50 et 70 ans, suivant une prévalence attendue de la cécité chez les personnes âgées ; mais ce ratio indique également une espérance de vie correcte. Toutefois, les sépultures individuelles sont représentatives de la pauvreté des défunts : elles sont toutes en pleine terre et ne contiennent aucun mobilier funéraire.

Un dernier cas intéressant est celui de l’hôpital Saint-Julien-des-Ménétriers, fondé par la confrérie des ménestrels et des jongleurs en 1331. Bien que la fonction hospitalière de l’établissement soit assez restreinte, ce lieu est important pour la communauté qui l’a fondé : de très nombreuses messes y sont célébrées en l’honneur des confrères décédés, et il est probable que cet espace ait servi de cimetière réservé aux membres de leur profession.

Le cimetière du Carreau du Temple

La commanderie parisienne de l’ordre des Templiers s’installe au XII  ème   siècle là où se trouve aujourd’hui le marché du Carreau du Temple, dans le 3  ème  arrondissement. Ils y établissent leur forteresse, mais également une église portant la titulature de Sainte-Marie-du-Temple, à laquelle s’adjoint un cimetière. Entre les années 1911 et 1925, des premières découvertes confirment la présence d’un espace funéraire à cet emplacement, mais ce n’est qu’en 2013 que le cimetière est fouillé dans sa totalité par l'entreprise Eveha, soit 350 m 2 . Les archéologues ont montré que le cimetière a connu deux phases : dans un premier temps, il est actif entre le XII ème   et le XIV ème   siècle – âge d’or de l’ordre du Temple – puis, il est ensuite inutilisé pendant deux siècles avant de reprendre son activité jusqu’au XX ème   siècle.

Pour l’époque médiévale, un total de 180 sépultures ont été fouillées. La présence majoritaire d’hommes adultes dans les tombes et la quasi-absence de femmes et d’enfants, à une époque où la mortalité infantile est pourtant extrêmement élevée, permet d’avancer qu’il s’agit d’un cimetière exclusivement dédié aux Templiers, qu’ils soient chevaliers ou clercs au service de l’ordre. L’état de santé des défunts était assez bon, malgré quelques affections bucco-dentaires classiques pour l’époque médiévale, ce qui dénote d’un accès à des soins de qualité et une bonne hygiène de vie grâce à leur statut. 

Les sépultures sont orientées selon un axe est-ouest, avec la tête toujours vers l’est et le regard dirigé vers le ciel. On recense plusieurs types d’inhumations : en fosse anthropomorphe, en cuves de plâtre, en structures aménagées en divers matériaux solides, ou en contenants en bois. La présence de linceuls ou d’habits a pu être déterminée pour 86 individus, et l’utilisation de dispositifs de maintien de la mâchoire et de la tête a été identifiée dans 18 cas. Les corps sont positionnés selon la norme médiévale : sur le dos, jambes en extension et bras fléchis sur le torse. Quant au mobilier funéraire, on trouve des vases en céramique et plus rarement des éléments en métal, principalement des boucles d’habits. Les sépultures, du moins certaines d’entre elles, étaient signalées par des pierres tombales qui ont été plus tard réutilisées pour bâtir d’autres structures à proximité. 

Les cimetières non-chrétiens

Fragment d’inscription funéraire hébraïque. © Paris Musées / Musée Carnavalet 

Ainsi naissent dans le Paris médiéval des espaces d’inhumations spécifiques à certaines populations, groupées par leur état de santé, leur profession ou bien leur confession. En rive gauche, il existait deux cimetières juifs, celui de la rue de la Harpe (XII ème  -XIV ème   siècle), signalé par de nombreuses stèles gravées d’inscriptions hébraïques, découvertes en 1849 par Théodore Vacquer. Un second cimetière juif était établi rue Galande, mais semble avoir été abandonné à la fin du XIII ème   siècle. Peu de traces des communautés juives ont subsisté, notamment en raison des nombreuses persécutions et expulsions : Philippe Auguste les expulse d’Île-de-France en 1182, avant d’être autorisés à revenir en 1198 puis ils sont bannis en 1306 par Philippe le Bel, et de nouveau expulsés en 1394 sous Charles VI. 

Temple de Charenton. © Société de l'Histoire du Protestantisme Français

La montée du protestantisme en France à partir du XVI  ème   siècle entraine de nombreux conflits sociaux et politiques, et les rites funéraires font partis des nombreux points de divergence entre les deux confessions : les protestants, ne souhaitant pas d’intercesseur entre l’homme et Dieu, refusent la présence de prêtres et inhument leurs morts dans la sobriété, ce que les catholiques perçoivent comme une désacralisation de la mort. En 1570, l’édit de Saint-Germain-en-Laye autorise les protestants à bénéficier d’espaces d’inhumations leur étant propres, tout en leur interdisant les enterrements de jour et les convois de plus de dix personnes. Trois cimetières réformés sont ouverts à Paris (un situé rue des Saints-Pères, un autre dans la rue aux Poules, et une parcelle dans le cimetière de la Trinité,), mais fermés en 1685 en conséquence de l’édit de Fontainebleau révoquant les droits des protestants. Il subsiste cependant les cimetières des Protestants Étrangers, autorisés par le traité d’Utrecht en 1713.


La fin des cimetières intra muros (XVIII  e  -XX  e   s.)

Au cours du XVIII ème   siècle le mouvement hygiéniste, qui promeut l’idée que les aménagements urbains doivent être pensés autour de la préservation de la santé publique, commence à se développer. Les cimetières deviennent alors des problématiques centrales, car les odeurs nauséabondes qui s’en dégagent sont vécues comme vectrices de maladies. Des arrêtés en 1765 et 1776 obligent le transfert des cimetières paroissiaux hors de l’enceinte de la ville : suivant cette nouvelle politique, le cimetière des Saints-Innocents est fermé en 1780 et les ossements sont déplacés dans le nouvel ossuaire municipal, les « Catacombes ». L’exclusion des cimetières de l’espace urbain est réaffirmée par le décret du 23 prairial an XII (23 juin 1804), qui stipule que tout espace d’inhumation doit désormais être établi à minimum 35 mètres de l’enceinte de la ville, rendant illégaux les cimetières intra-muros.

En accord avec les régulations dictées par la loi de 1804, le gouvernement décide la création de quatre nouveaux cimetières hors la ville, alors délimitée par le mur des Fermiers généraux, aux 4 points cardinaux : le cimetière de Montparnasse au sud, celui de Montmartre au nord, celui de Passy à l’ouest et celui du Père-Lachaise à l’est. Les limites de Paris sont officiellement étendues le 1  er   janvier 1860, et les cimetières d’Auteuil, de Belleville, de Bercy, de La Villette, des Batignolles, de Grenelle, de La Chapelle, de Saint-Ouen, d’Ivry et de Charonne passent sous l’administration parisienne. Cette inclusion pose un problème légal car tous ces cimetières, ainsi que les quatre créés aux points cardinaux, sont alors techniquement intra-muros et en infraction avec la loi de 1804, menant à de nombreuses fermetures. Les cimetières parisiens commencent à être saturés suite aux conflits des années 1870-1871, et le Conseil Municipal vote l’agrandissement des cimetières de Saint-Ouen et d’Ivry, extensions qui sont complétées en 1872 et 1874. En 1886, les cimetières de Bagneux et de Pantin sont ouverts afin d’accueillir la population, dont le nombre augmente toujours. 

L’amendement sur la liberté des funérailles de 1886 inclut la possibilité de l’incinération, bien qu’il s’agisse alors d’une pratique très marginale. Malgré une bulle papale condamnant la crémation dans la même année que l’amendement, le premier crématorium français est ouvert au cimetière du Père-Lachaise en 1889. L’interdiction catholique est levée en 1963, mais ce n’est qu’à partir des années 1990 que les chiffres augmentent, notamment en raison de l’ouverture de nombreux crématoriums en Île-de-France, et on estime que le taux de crémation atteint 47% à Paris en 2015.

Paris compte aujourd’hui 20 cimetières : 14 sont situés intra-muros (Auteuil, Batignolles, Belleville, Bercy, Charonne, Grenelle, La Villette, Le Calvaire, Montmartre, Montparnasse, Passy, Père- Lachaise, Saint-Vincent et Vaugirard) et 6 sont extra-muros (Bagneux parisien, Ivry parisien, La Chapelle parisien, Pantin parisien, Saint-Ouen parisien et Thiais parisien). Il existe deux cimetières dans l’enceinte de la ville qui ne sont pas sous la juridiction de la municipalité de Paris : le cimetière de Gentilly, près du Stade Charléty, et celui de Montrouge au niveau de la porte d’Orléans. Le règlement des cimetières de Paris stipule que ce sont des lieux « de mémoire et de recueillement », où une attitude calme est requise ; dans ces espaces funéraires contemporains, dissociés de l’espace de vie urbain, l’accent est mis sur l’aspect solennel du culte aux morts. 

Réalisation Lucie Charrier (stagiaire en médiation) et Émilie Cavanna (archéogéographe, DHAAP).

Pôle Archéologique, avril 2023

Département d'Histoire de l'Architecture et d'Archéologie de Paris

Modélisation 3D de Lutèce au IIème siècle de notre ère, par Alban-Brice Pimpaud pour la revue Histoire Antique (Hors-Série n°10), 2006.

Martellange, Étienne, « Aspet du Prioré S. Martin des Champs // prins [sic] du clocher de S. Nicolas : Veue du Prieuré de S.t Martin des Champs », mine de plomb et lavis d’encre de Chine, 38,5x44,2cm, 1630, BNF.

Localisation de la nécropole de Saint-Martin-des-Champs / R&CAP -  Carte archéologique de Paris  / DHAAP

Grimer, Jacob. Le cimetière et l’église des Innocents, peinture à l’huile, 60x50cm, vers 1570, © Paris Musées / Musée Carnavalet, Histoire de Paris.

Localisation du cimetière des Saints-Innocents dans le tissu urbain médiéval (Plan de Berty) / R&CAP -  Carte archéologique de Paris  / DHAAP

Hoffbauer, Theodor. Cimetière des Innocents, lithographie, 24x30cm, entre 1875 et 1882, Brown University Library.

Fragment d’inscription funéraire hébraïque. © Paris Musées / Musée Carnavalet 

Temple de Charenton. © Société de l'Histoire du Protestantisme Français

Localisation de la nécropole Saint-Jacques à l'extérieur de la ville antique / R&CAP - Carte archéologique de Paris / DHAAP

Localisation de la nécropole Saint-Marcel à l'extérieur de la ville antique / R&CAP -  Carte archéologique de Paris  / DHAAP

Localisation de la nécropole Sainte-Geneviève sur le mons Lucotitius / R&CAP -  Carte archéologique de Paris  / DHAAP

Localisation de la nécropole du boulevard Saint-Germain / R&CAP -  Carte archéologique de Paris  / DHAAP