
L'expansionnisme chinois en mer de Chine méridionale
Présentation de la crise géopolitique entre la Chine et les pays d'Asie du Sud-est concernant le contrôle de la mer de Chine méridionale.
Introduction
La mer de Chine méridionale se situe à l'est de l'Océan pacifique, encadrée par la Malaisie au sud-ouest, les Philippines à l'est et Taïwan au nord, et également bordée par la Chine, le Viêtnam, Singapour, l'Indonésie et Brunei. Il s'agit d'un carrefour maritime majeur, où les enjeux économiques sont exacerbés par des Zones Economiques Exclusives restreintes, sources de tensions régionales fortes. La présence de ressources halieutiques et énergétiques (pétrole et gaz) attisent les rivalités entre les pays qui l'entourent. La Chine mène depuis plusieurs années une politique agressive d'appropriation d'îlots pour étendre son domaine maritime, non seulement pour faire main basse sur les diverses ressources, mais aussi pour s'implanter physiquement et militairement dans la zone.
Ainsi, on peut se demander quels sont les enjeux du contrôle de la mer de Chine méridionale et par quels moyens la Chine y impose sa souveraineté.
Il convient donc de présenter d'abord la mer de Chine méridionale comme un espace à forts intérêts économiques, puis d'exposer la crise diplomatique dans une zone régit par la droit de la mer. Enfin, un focus permettra d'étudier en détails le phénomène d'expansion territoriale de la Chine.
Fiery Cross
Cette série de photos illustre parfaitement la main mise progressive des autorités chinoises en mer de Chine méridionale. En effet, il s'agit d'un récif (Fiery Cross) au sein des îles Spratleys qui est devenu une base aéronavale chinoise. L'objectif du gouvernement chinois est de consolider ses appuis stratégiques en mer de Chine méridionale, en faisant de l'archipel un avant-poste des côtes chinoises (situées à plus de 1000km). La Chine mène depuis longtemps une forte urbanisation du moindre ilot et récif possible, non seulement pour utiliser ses infrastructures à des fins stratégiques, mais aussi pour légitimité sa souveraineté, puisque l'établissement d'eaux territoriales repose sur la présence de population sur ces terres.

Des enjeux économiques majeurs:
Il faut savoir que 80% des importations chinoises transitent par la mer de Chine méridionale ce qui en fait un enjeu économique majeur. Parmi ces importations, les hydrocarbures en provenance d'Afrique et du Moyen-Orient sont des biens à sécuriser car ils sont essentiels à l'activité du pays. La présence militaire chinoise au cœur de la mer de Chine méridionale peut permettre d'assurer le bon déroulement du transit des pétroliers, dans une zone où la piraterie connait une recrudescence importante. La carte ci-dessus présente les principales routes maritimes de la zone, qui concentre 1/3 du commerce maritime mondial. On y voit aussi les ports les plus importants, notamment celui de Singapour et de Hong-Kong.
Commerce maritime en mer méridionale de Chine
Hydrocarbures en mer de Chine
Les hydrocarbures :
La mer de Chine méridionale concentre l'équivalent de 11 milliards de barils de pétrole, répartis dans les zones représentées en bleu sur la carte ci-jointe. En vert, il s'agit des ilots contestés par les différents pays de la zone. On voit donc une corrélation entre ces revendications territoriales et la présence de pétrole off-shore.
Quels sont les pays impliqués et dans quelle mesure?
Outre la Chine (en rouge sur la carte ci-dessous), les principaux pays qui revendiquent des territoires en mer de Chine sont les Philippines, la Malaisie, le Viêtnam et le Brunei (en bleu).
Carte de la répartition des bases militaires chinoises et américaines en mer de Chine méridionale
Sur la carte ci-dessus, la délimitation rouge marque ce qu'on appel en géopolitique la "langue de bœuf" ou "ligne des neuf traits". Il s'agit de la zone que la Chine revendique de droit comme étant sa zone de souveraineté. Celle-ci n'est cependant pas reconnue par les Nations Unies car elle n'a pas de cohérence géographique valable (voire schéma ci-dessous sur le découpage maritime).
La carte comporte également la répartition de bases militaires chinoises et d'infrastructures permettant le lancement de missiles, ce qui permet de mettre en avant l'intérêt stratégique de l'espace qui offre un avant-poste majeur pour asseoir la souveraineté chinoise en mer de Chine. La présence de bases américaines témoigne de l'intérêt que les Etats-Unis portent sur la zone, notamment pour modérer l'agressivité chinoise. Les pays représentés en bleu sont alliés des Etats-Unis et hébergent lesdites bases. On estime que plus de la moitié de la flotte américaine est présente dans cette zone.
Entre 2006 et 2018, on estime que les dépenses militaires chinoises ont bondi de 375%, contre 206% pour les Philippines, 41% pour le Viêtnam, et 42% pour Taïwan. Ces dépenses peuvent être directement liées à l'augmentation des tensions en mer de Chine méridionale, dans la mesure où l'on assiste à une escalade des contestations des pays impliqués, malgré l'intervention des Nations Unies.
Comment fonctionne la territorialisation maritime et comment le droit de la mer est-il ici détourné?
La territorialisation maritime
Les eaux territoriales correspondent à une zone de 12 miles nautiques après la ligne de base (zéro hydrographique). Elles sont suivies par une zone contiguë qui appartient également au pays, tout comme la ZEE qui s'étend jusqu'à 200 miles. Les eaux territoriales et la zone contiguë sont soumises à la souveraineté entière du pays correspondant; au-delà, l'espace est sous juridiction de la Convention des Nations Unies sur le Droit à la Mer. Dans des espaces maritimes étroits comme en mer de Chine méridionale, les ZEE peuvent se chevaucher: dans ce cas, les pays concernés doivent s'arranger équitablement.
Dans le cas de la mer de Chine méridionale, on observe de nombreux chevauchements mais le contrôle des archipels Paracels et Spratleys, ainsi que de l'attol Scarborough bouscule complètement le droit sur la mer. En effet, comme on le voit sur la carte ci-dessous, la Chine s'impose dans la zone aux mépris du droit international, sous prétexte de son installation physique sur les archipels. Le pays possède déjà une ZEE de 880 000km² mais elle entend bien contrôler également les quelque 3,5 millions de km² en mer de Chine méridionale. Elle s'appuie sur un angle mort du droit à la mer, les "terra nullius" qui correspondent à des territoires sans souveraineté, le plus souvent car ils ne sont pas habités. C'était originellement le cas des archipels Spratleys et Paracels, et de l'attol Scarborough. Les Philippines ont fait appel en 2016 au tribunal de la Haye qui a invalidé la souveraineté de la Chine, mais sans impact réel sur son appropriation.
ZEE
Focus sur les Iles Paracels
Infrastructures chinoises dans les Iles Paracels
Les Iles Paracels sont situées au large du Vietnam et au sud d'ile chinoise de Hainan. Il s'agit d'un archipel d'ilots et de récifs longtemps inhabités mais qui est depuis les années 2010 progressivement investis par des pêcheurs chinois, ainsi que par des militaires sur les bases récemment construites.
On peut voir sur la carte des infrastructures civils comme des ports de pêches, mais aussi des bases miliaires (notamment des héliports), au nombre de 8. L'ile Woody abrite également un système de défense anti-aérien, une batterie de missiles sol-air HQ-9 a été déployée au début de l’année dernière.
Il s'agit donc d'une installation complète et variée, pour asseoir la souveraineté de la Chine d'un point de vu militaire mais aussi économique (pêche et escale maritime).
Enfin, la Chine n'hésite pas à développer le tourisme chinois en mer de Chine méridionale, par des croisières avec escales sur les archipels, et notamment aux Paracels, comme on peut le voir sur la photo ci-contre. Cette forme de "tourisme patriotique" est une nouvelle provocation de Pékin qui incite la population chinoise à exhiber le drapeau national.
Touristes chinois en vacances aux Paracels