Exilés et sans toit

Hors de leur pays, les réfugiés et les migrants vénézuéliens sont aujourd'hui confrontés à un risque important d'expulsion de leur logement.

L'exode des Vénézuéliens

Depuis 2018, l'Amérique latine est devenue la scène de l'une des plus grandes crises de déplacement au monde. Plus de trois ans après, les Vénézuéliens continuent de quitter leur foyer pour échapper à la violence et à l'insécurité, ainsi qu'au manque de médicaments, de nourriture et de services essentiels. 

À la mi-2021, il y avait plus de 5,9 millions de réfugiés et de migrants vénézuéliens dans le monde. Plus de 80%, soit 4,8 millions, se trouvent en Amérique latine et dans les Caraïbes.

Les déplacements en provenance du Venezuela ont été multipliés par quatre depuis 2018, la Colombie et le Pérou accueillant la majorité des réfugiés et des migrants.

2018 | Le commencement

Au début de la crise, le nombre de demandes d'asile de Vénézuéliens a triplé, passant d'un peu plus de 112 000 en 2017 à près de 349 000 en 2018.

2019 | La situation se détériore

La tendance à la hausse s'est poursuivie en 2019, avec plus de 440 000 nouvelles demandes d'asile déposées. Ces deux années représentent plus de 70% de l'ensemble des demandes déposées par les Vénézuéliens entre 2015 et 2020.

2020 | L'année de la pandémie

Après 2019, les nouvelles demandes d'asile de Vénézuéliens sont passées sous la barre des 200 000 - une évolution liée à l'impact du coronavirus plutôt qu'à une amélioration de la situation. Comme de nombreux réfugiés et migrants dépendaient du secteur informel de l'économie pour gagner leur vie, la pandémie a fortement limité leurs possibilités de revenus, les rendant de plus en plus dépendants de l'aide humanitaire.

« La pandémie de Covid-19 a encore aggravé les conditions de vie déjà désastreuses des réfugiés et des migrants du Venezuela. Outre les graves risques sanitaires (...) la pandémie de Covid-19 a provoqué des perturbations économiques de grande ampleur et exacerbé les problèmes de protection » - Dr. Eduardo Stein, Représentant spécial conjoint du HCR et de l'OIM pour les réfugiés et les migrants vénézuéliens.

Les pays d'Amérique latine ont rapidement mis en place des mesures pour enrayer la propagation du Covid-19. Si ces mesures visaient à améliorer la situation en matière de santé publique, elles ont également eu un impact négatif sur les moyens de subsistance de nombreux ménages, frappant particulièrement les réfugiés et les migrants. En l'absence de toute épargne ou de protection sociale, la diminution radicale des possibilités d'emploi a laissé les familles vénézuéliennes dans l'incapacité de répondre à leurs besoins essentiels, y compris le paiement du loyer.

Famille de demandeurs d'asile vénézuéliens sans revenu après la disparition d'une nouvelle opportunité d'emploi à Santiago en raison de l'urgence liée au coronavirus. ©HCR/Hugo Fuentes

D'abord déracinés, puis expulsés

Entre octobre et novembre 2020, le Pôle de protection régional de la Plateforme interinstitutionnelle pour la réponse aux réfugiés et migrants du Venezuela (R4V)* a interrogé un peu plus de 1200 ménages** déjà expulsés ou risquant de l'être. L'enquête - menée principalement en Colombie, au Pérou et en Équateur, mais aussi au Brésil, au Panama, en République dominicaine et en Guyane - a révélé que 42% des personnes interrogées avaient été expulsées. Parmi celles qui ne l'avaient pas été, 72% étaient menacées d'expulsion, ce qui signifie qu'elles avaient reçu un avis d'expulsion qui n'avait pas encore été exécuté.

Où vivent les réfugiés et les migrants vénézuéliens ?

Contrairement à de nombreuses autres situations de déplacement de grande ampleur où les personnes sont hébergées dans des camps, les réfugiés et les migrants vénézuéliens recherchent des options d'hébergement alternatives telles que des locations, des espaces publics ou des propriétés abandonnées.

Parmi les personnes interrogées dans le cadre de l'enquête, 89% louaient une chambre ou un appartement, souvent sans documents, sans contrat de location officiel et sans connaissance de leurs droits, ce qui les rend plus vulnérables aux expulsions forcées.

Motifs d'expulsion

Dans le contexte de la pandémie, les défis existants se sont intensifiés. Confrontés à des fermetures et à des pertes d'emploi, les réfugiés et les migrants n'ont pas pu payer leur loyer et ont été confrontés à des menaces croissantes d'expulsion tout au long de 2020.

L'impact

Les effets de l'expulsion peuvent être dévastateurs : 75% des personnes interrogées dans le cadre de l'enquête R4V ont identifié le fait de se retrouver sans domicile fixe comme la principale conséquence, ce qui signifie que de nombreuses familles vivent désormais dans la rue, et que beaucoup de personnes à risque connaîtraient probablement le même sort si elles étaient finalement expulsées. 

Le risque accru de contagion au Covid-19, souvent dû à des conditions de vie surpeuplées et insalubres, est également une conséquence commune identifiée par les répondants à l'enquête. Les personnes à la recherche d'un logement plus abordable se retrouvent souvent dans des zones à forte densité et à faible revenu - dont beaucoup sont dépourvues d'infrastructures et de services de base comme l'eau et l'assainissement - et dans des logements surpeuplés.

Ces zones sont également plus susceptibles de correspondre à des endroits où la criminalité et la violence sont plus répandues, ce qui constitue un risque supplémentaire pour les personnes se trouvant déjà en situation de vulnérabilité.

En général, les expulsions sont associées à une multitude de risques additionnels. Il s'agit notamment de l'exploitation et de la maltraitance par les propriétaires, de la violence, de l'abandon de l'école par les enfants ou de leur recrutement par des groupes armés et le crime organisé dans certains contextes, ainsi que d'expulsions répétées.

Des Vénézuéliens et leur bébé expulsés de leur maison à Soacha, une ville voisine et ouvrière au sud de Bogota. ©NRC, Nadège Mazars

La charge supplémentaire des femmes

Les femmes réfugiées et migrantes sont confrontées à des menaces et des défis supplémentaires. Quelque 80% des personnes interrogées dans le cadre de l'enquête qui avaient été expulsées étaient des femmes, dont 22% étaient enceintes ou allaitaient. En outre, 55% des femmes expulsées étaient le principal soutien de leur famille. Parmi les femmes risquant d'être expulsées, 58% étaient également à la tête d'une famille monoparentale. 

Dans les situations de déplacement, les ménages gérés par une femme seule sont souvent plus exposés à la discrimination, au manque d'accès à l'emploi ou à l'assistance, et à la violence sexiste - en particulier dans les sociétés plus patriarcales.

Cette mère de trois enfants a quitté le Venezuela il y a quatre mois et gagne péniblement sa vie en mendiant dans la rue. ©Plan International

Les défis auxquels sont confrontés les ménages dirigés par des femmes deviennent encore plus importants lorsqu'ils sont associés à des besoins particuliers nécessitant une assistance spécifique, tels que les maladies chroniques, la monoparentalité, les handicaps ou la pression liée au soutien d'une famille nombreuse. Parmi les personnes interrogées dans le cadre de l'enquête, près d'un tiers des familles expulsées ou menacées d'expulsion ayant une femme comme soutien de famille comptaient trois enfants ou plus.

Obtenir de l'aide

Seuls 34% des ménages expulsés interrogés et 22% des ménages à risque avaient reçu une forme d'aide pour éviter l'expulsion. 

De nombreuses familles vénézuéliennes ne disposent pas de contrats de location en bonne et due forme, et l'assistance juridique aux réfugiés et aux migrants menacés d'expulsion est limitée. Seuls 15% des répondants à l'enquête ont déclaré avoir bénéficié de conseils juridiques. Les autres types d'assistance d'urgence ou d'autres types d'aide, comme les arrangements de logement temporaire ou les subventions au loyer, sont restés très limités.

Lorsqu'on apporte une aide aux personnes expulsées ou risquant de l'être, il peut y avoir des besoins spécifiques à prendre en compte : appartiennent-elles à des communautés minoritaires ou autochtones ? Le ménage comprend-il des personnes vivant avec un handicap ? Ces éléments comportent leurs propres risques en matière de protection. 

Parmi les personnes interrogées dans le cadre de l'enquête, 13% des ménages comptaient un membre de leur famille atteint d'une maladie chronique et n'ayant pas accès à un traitement, tandis que 10% comptaient un membre de leur famille souffrant d'un handicap physique. Par ailleurs, 17% des ménages sont sous la responsabilité d'un parent seul avec des enfants mineurs.

Atténuer les risques

Que peuvent faire les autorités nationales ?

  • Dans les zones d'habitat informel, les autorités locales doivent veiller à ce que les droits humains soient respectés et que l'absence de documents ou de statut migratoire régularisé n'augmente pas le risque d'expulsion ou ne génère pas de pressions ou d'intimidations.
  • Les organes de contrôle de l'État, tels que les bureaux du médiateur, les bureaux des droits humains ou de la protection publique, peuvent fournir des conseils aux réfugiés et aux migrants vénézuéliens sur la portée et les implications des contrats de logement qu'ils signent. Ils peuvent également dispenser des formations aux agents publics sur le droit des réfugiés et des migrants à un logement adéquat, l'interdiction des expulsions forcées et les techniques de médiation en cas de conflit.
  • Les autorités devraient s'efforcer de concevoir, de diffuser et de mettre en œuvre des lignes directrices et des protocoles pour faciliter l'accès des réfugiés et des migrants au système judiciaire, en mettant l'accent sur le droit au logement et l'interdiction des expulsions forcées. 

Que peuvent faire les membres de la société civile, comme les organisations communautaires ou confessionnelles, et la communauté internationale ?

  • La coopération internationale et les pays donateurs pourraient allouer des ressources spécifiquement destinées à promouvoir le droit à un logement adéquat, soit en facilitant l'accès à celui-ci, soit en garantissant les droits des Vénézuéliens menacés d'expulsion.

Que peuvent faire les réfugiés et les migrants vénézuéliens et leurs organisations ?

  • Concentrer l'aide sur les familles qui ont été expulsées et celles qui risquent d'être expulsées de manière imminente en priorité, ainsi que sur celles qui sont confrontées à de multiples difficultés liées aux groupes armés et au crime organisé, à la santé mentale, aux menaces et/ou à l'intimidation.

Trouver des solutions à long terme

L'objectif de l'aide humanitaire aux populations déracinées est de trouver des solutions durables qui apportent des réponses à long terme aux défis humanitaires. Il peut s'agir d'être relocalisé ailleurs (réinstallation), de retourner chez soi de manière sûre et librement consentie (rapatriement/retour volontaire) ou de se préparer à un séjour permanent dans le pays ou la région d'accueil (intégration locale).

Dans l'enquête R4V auprès de réfugiés et de migrants vénézuéliens, entre 60 et 70% ont déclaré n'avoir aucune intention de quitter le pays d'accueil, bien qu'ils aient été expulsés ou risquent de l'être.

Avec seulement 9% des répondants à l'enquête qui considèrent le retour comme une option viable après une expulsion, l'intégration locale s'impose comme la forme préférée de solution à long terme - et l'officialisation des contrats de logement est une étape clé dans ce sens.

Les étapes vers l'intégration

Les risques associés aux expulsions ont tendance à être encore plus élevés pour les personnes en situation irrégulière dans un pays d'accueil, car elles sont généralement réticentes à faire appel aux autorités pour obtenir de l'aide ou des informations. Par conséquent, la régularisation du statut est également une étape importante pour faciliter l'intégration et atténuer les risques.

La formalisation des contrats de location ne résout cependant pas tout à elle seule. Comme nous l'avons vu précédemment, le risque d'expulsion est associé à d'autres problèmes, notamment le revenu, tandis que les personnes en situation précaire peuvent ne pas avoir accès aux services de base ou se trouver confrontées à des risques sanitaires et à des menaces pour leur sécurité personnelle.

S'attaquer au problème de l'expulsion nécessite donc une approche globale et intersectorielle, qui maintient les droits humains au centre de chaque décision et permet à chacun d'être informé et engagé à court et à long terme.

Contribuez à lutter contre les expulsions !

  • Plaidez au sein de votre organisation pour l'inclusion de mesures de réduction des risques dans la planification et la programmation, et pour des projets qui favorisent un logement adéquat.
  • Promouvez l'allocation de ressources suffisantes pour répondre aux problèmes liés aux expulsions ainsi que pour prévenir le sans-abrisme chez les réfugiés et les migrants vénézuéliens.

Les frontières et les noms indiqués ainsi que les dénominations utilisées sur cette carte n'impliquent pas l'approbation ou l'acceptation officielle par les Nations Unies.

*Cette enquête spécifique est une initiative du Pôle Protection de la plateforme R4V, dirigée par le HCR et l'ONG HIAS, avec le soutien de 21 organisations et 5 universités. Actif depuis novembre 2019, le Pôle régional de protection rassemble 106 organisations dans 17 pays d'Amérique latine et des Caraïbes. Il vise à assurer une réponse coordonnée et cohérente aux besoins de protection des réfugiés et migrants du Venezuela.

**Note méthodologique : Un total de 1810 entretiens a été réalisé entre le 8 octobre et le 11 novembre 2020. Les données ont été examinées à l'aide de High Frequency Checks, un programme dont les normes de qualité de traitement des données sont certifiées par la Banque mondiale et Innovations for Poverty Action.

Après le processus de traitement des données et l'exclusion de trois personnes qui n'ont pas consenti à poursuivre l'entretien, l'échantillon était composé de 1220 entretiens. Parmi ceux-ci, 16,3% n'ont pas été considérés comme faisant partie de la population d'intérêt et leur entretien a été abandonné, laissant un échantillon final de 1021 entretiens complétés.

A ce stade, le premier rapport sur l'enquête régionale a été publié. Un traitement supplémentaire des données au début de l'année 2021 a permis de trouver 200 entretiens supplémentaires utilisables, portant ainsi l'échantillon à 1221. Les chiffres et les analyses figurant dans le présent article sont basés sur l'ensemble des données actualisées. De plus amples informations sur la stratégie d'échantillonnage, le processus de collecte des données et les organisations impliquées sont disponibles  ici .  

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Famille de demandeurs d'asile vénézuéliens sans revenu après la disparition d'une nouvelle opportunité d'emploi à Santiago en raison de l'urgence liée au coronavirus. ©HCR/Hugo Fuentes

Des Vénézuéliens et leur bébé expulsés de leur maison à Soacha, une ville voisine et ouvrière au sud de Bogota. ©NRC, Nadège Mazars

Cette mère de trois enfants a quitté le Venezuela il y a quatre mois et gagne péniblement sa vie en mendiant dans la rue. ©Plan International